Est-ce que vous vous êtes déjà réveillé avec un marteau-piqueur dans la tête, des bouteilles vides en guise d’oreiller et un écran d’ordinateur indiquant un 0 $ sur votre compte poker ?
C’était ma vie en 2009.
À l’époque, le poker était ma maîtresse. Je passais la majorité de ma vie à faire un boulot que je détestais. Boire du vin rouge tous les soirs m’aidait à l’oublier.
Et quand j’avais un peu de temps libre, je le passais à jouer au poker. Quand je gagnais un peu d’argent, j’en mettais un peu dans le portefeuille de ma femme. Quand je perdais, il n’y avait que le silence.
Avec le temps, cette relation que j’imaginais garder toute ma vie a commencé à se dégrader. Nous nous disputions plus souvent, toujours après avoir bu.
Désespéré, j’ai arrêté de boire pour sauver mon mariage. Ma femme a demandé le divorce. Le papier disait que je passais tout mon temps à jouer au poker.
J’avais 35 ans. J’en avais 11 lors de notre premier baiser.
Une raison d’être
J’ai dit au revoir à mon fils de 10 ans, je lui ai promis que rien ne changerait, et je suis parti vivre chez mes parents. Quelques semaines plus tard, je suis revenu chercher mes affaires.
Là, debout au milieu de 15 ans d’affaires accumulées, j’ai perdu la tête. J’ai appelé un pote pour qu’il vienne récupérer tout ça. J’ai quitté la maison avec une PlayStation et une TV pour les visites de mon fils, mon ordinateur, mon Kindle, mon dictaphone et un sac plein de vêtements.
C’est difficile d’arrêter de boire. Encore plus en plein divorce.
Ajoutez à cela un enfant de 10 ans, et il y a de quoi vouloir se taper la tête contre les murs.
Ma vie ne ressemblait à rien à cette époque-là, qui devait aussi être difficile pour mon fils et mon ex-femme. Et étant donné mes antécédents avec l’alcool et le jeu, j’aurais dû finir dans un caniveau.
Mais j’ai fini par trouver une raison d’être.
Le mardi soir
C’est vraiment étrange d’avoir une famille pendant des années, puis de se retrouver soudain seul. Sans les bruits de pas, les conversations à l’autre bout de la maison, les trous sur le canapé.
La solitude empire, il n’y a plus de connexion entre vous et votre famille parce que vous avez banni de votre vie la seule toxine qui vous liait. L’isolement est une douleur constante.
Une douleur diffuse. Vive. Parfois dans le cœur, parfois dans la tête. Je la ressens dans mes articulations douloureuses, dans le bout de mes doigts.
Depuis la Préhistoire, l’homme a toujours été grégaire. Nous avons eu des tribus, des villages, des villes, des royaumes, des nations, et maintenant Internet.
Et puis il y a eu les mardis soirs.
Des Gallois qui retrouvent goût à la vie
Mes parties de poker locales regroupent le groupe le plus hétéroclite jamais vu. C’était les Nations Unies du poker, avec des origines en Chine, en Iran, en Irlande, en Espagne ou en Écosse, et un groupe de Gallois qui retrouvent goût à la vie lorsqu’ils entendent le son des jetons.
L’alcool n’avait jamais d’impact sur le jeu. Ceux qui buvaient tenaient l’alcool, et ceux qui ne tenaient pas ne buvaient pas.
Je savais que l’alcool ne m’apportait rien, mais j’étais dans une période très difficile de ma sobriété, fragilisé par mon divorce.
Pendant ces parties, personne n’a jamais remis en question ma sobriété. J’ai toujours beaucoup apprécié cela. Sorti de ma cave, j’arrivais à oublier la douleur et à jouer.
Mon alliance. Je continuais à la faire tourner avec mon pouce, je la fixais. Je me demandais si je devrais la retirer.
Qu’est-ce qu’on fait de son alliance ? Certainement pas la balancer ? Mais pas non plus la garder ? Que dire à la prochaine femme qui entrera dans votre vie ?
Le poker, notre lien
Deux des gars de l’équipe ont toujours été à mes côtés quand j’ai arrêté de boire et tout au long de mon divorce. Le poker était notre lien.
Sans ça, je n’aurais jamais pu passer du temps avec eux à parler de tout et de rien.
Je ne parle pas des banalités qu’on se dit après quelques pintes. Je parle de vraies conversations sur le monde.
La vie est une affaire de connexion. Moi, c’est au poker que je l’ai trouvée.
Avant de rejoindre la partie, je connaissais déjà certains des joueurs. Assis au bar, je les jugeais en silence. J’en méprisais certains, en détestaient d’autres. Certains avaient l’air débraillé, d’autres un peu fou.
N’est-ce pas ce que nous faisons tous ? Juger ? Imposer notre vue du monde aux autres sans s’imaginer ce que doit être leur vie ?
Après quelques mois, je prenais et faisais des prêts de centaines de livres. Les gens pensent que cela fait partie du poker, et que sans ça, ces parties ne tiendraient pas.
Mais ce n’était pas le cas.
« Un jeu parfait pour les asociaux »
L’argent qui passait entre nous ne servait pas à continuer les parties. C’était le signe d’une vraie confiance entre nous.
Alors oui, tout n’était pas toujours parfait. Mais comme le disait John Duthie dans une interview récente :
« J’aime tous les joueurs de poker. Je sais qu’il y a des vauriens, mais pour certains, c’est pour cela que je les aime. »
Duthie décrit également le poker comme « un jeu parfait pour les asociaux », et c’est exactement ce que j’étais après mon divorce. Je n’étais pas en état de fonctionner.
Il manquait quelque chose dans mon cerveau, et parfois je me demandais si mon pote ne l’avait pas pris avec lui en même temps que ma collection de CD et ma trilogie Le Seigneur des anneaux.
Je ne savais pas quoi faire : plein de culpabilité et de honte d’être un mauvais mari et père, de m’être réfugié chez ma mère, d’avoir menti.
Mais autour de la table, personne ne me jugeait. On m’aimait.
Et autant dire que ce n’est pas un mot qu’on dit facilement dans ce milieu. Mais c’était le cas.
Les gars me manquent
Ce n’était pas une question d’argent. Dans les faits, l’argent passait d’une poche à l’autre selon les semaines.
Ce qui importait, c’était de lien profond entre des gens qui ne se seraient jamais adressé la parole sans le poker.
Je ne joue plus au poker aujourd’hui, mais les gars me manquent.
Quand j’ai commencé à écrire cet article, je croyais que c’était le poker qui m’avait sauvé la vie. J’avais tort. Ce sont ces gars-là. Et je leur en serai toujours reconnaissant.