Entretien exclusif avec Dag Hardyson, expert poker pour l’Agence suédoise des impôts, et coordonnateur de plusieurs projets européens sur les taxes et impôts financés par l’UE.
La taxation des gains des joueurs de poker et la question des impôts est un sujet épineux qui revient fréquemment depuis un certain nombre d'années. Elle inquiète aussi les joueurs, surtout depuis que certains d'entre eux reçoivent des injonctions de payer et redressements qui peuvent survenir des années après.
Mais la France n'est pas un cas isolé, et d'autres pays font également la chasse à cette "évasion fiscale" (ou simple ignorance).
PokerListings a pu interroger l'un des experts dans le domaine, travaillant pour le centre des impôts suédois faisant partie de l'IOATA (Organisation intra-européenne des administrations fiscales), Dag Hardyson.
Ils nous en dit plus sur le fonctionnement de son service, et sur certaines des techniques utilisées pour traquer les joueurs échappant aux impôts.
Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur votre rôle ? En quoi consiste-t-il exactement ?
Je travaille pour l’Agence suédoise des impôts, dans le département technique à Göteborg. J’ai d’abord travaillé moi-même sur les aspects techniques, mais je suis désormais leur porte-parole.
Avant de commencer dans ce nouveau rôle, j’ai été chef de projet pour deux grands projets nationaux sur les joueurs de poker en ligne.
Le premier contrôle a eu lieu en 2003, et il y en a eu deux autres en 2007 et 2008.
À quoi ressemble une journée typique ?
Il y a beaucoup de projets internationaux. Je travaille actuellement sur trois projets au sein de l’Union Europeénne, tous liés à l’affiliation.
L’un d’entre eux porte sur « les outils de lutte contre la cybercriminalité financière et économique », pour lequel nous collaborons avec d’autres pays européens. L’objectif de ce projet est principalement d’établir une plateforme de lien entre les autorités de police européennes et les services fiscaux.
Il semble que les joueurs de poker suédois vous connaissent déjà bien...
Honnêtement, je n’en ai aucune idée. Je pense qu’ils sont au courant de nos projets et savent que l’on surveille les forums, blogs et bases de données de poker.
Parfois, mes collègues me font remonter ce qu’on écrit sur moi. C’est assez drôle, parce que je ne suis que le porte-parole de ces projets, pas celui qui fait les contrôles.
Les médias me contactent parce que j’ai beaucoup d’expérience sur ces questions. J’ai un côté « senior », comme on dit en entreprise.
C’est si simple que ça, l’évasion fiscale ?
Pour faire simple : je travaille sur Internet depuis 1998, ce qui signifie que je suis l’un des premiers et des plus expérimentés dans le domaine. Le jeu en ligne est arrivé assez rapidement, et juste avant le changement de millénaire, nous pensions qu’il serait impossible de le contrôler.
L’Agence suédoise des impôts a longtemps gardé cette même approche, mais nous avons réussi à mener trois inspections de grande envergure.
Je peux vous dire qu’il est aujourd’hui très difficile d’échapper aux impôts. Beaucoup de joueurs de poker pensent qu’il est facile de passer entre les gouttes, surtout lorsqu’ils n’ont jamais reçu d’avertissement des autorités. Mais ça ne marche pas comme ça. Nous effectuons des contrôles rétrospectifs, allant parfois jusqu’à cinq ans en arrière.
Aujourd’hui, nous collaborons étroitement avec d’anciens paradis fiscaux, de sorte qu’il est de plus en plus difficile de ne pas se faire prendre.
À quoi ressemble ce genre de procédure ?
Je vais vous en donner un bon exemple. En 2012, nous avions 500 pseudonymes dans une base des données. Sur ces 500 joueurs, nous avons réussi à en identifier plus de 300. Pour cela, nous avons utilisé les forums, les sites, les bases de données et les classements de poker. Après avoir collecté assez de données, nous avons comparé notre base de données à leurs revenus déclarés.
Dans ces cas-là, s’il y a une grande différence nous devons en informer l’Autorité du crime économique (Economic Crime Authority, ECA). Là par exemple, l’ECA a délivré plus de 10 mandats de perquisition. Nous avons également pris la décision d’envoyer 136 demandes à des joueurs de poker en ligne.
Cette opération a très bien marché. Plusieurs personnes sont venues d’elles-mêmes corriger leurs déclarations d’impôts lorsque les médias ont annoncé nos inspections.
Utilisez-vous des programmes et/ou outils spécifiques pour identifier ces personnes ?
Oui, nous utilisons un logiciel plus ou moins automatisé. Mais il y a aussi beaucoup de travail à faire en amont. Nos employés écument les blogs et les forums « à la main ». Le logiciel, lui, nous permet de conserver les adresses web.
En parlant du poker en ligne, comment arrivez-vous à surveiller les joueurs dont les revenus proviennent de pays non-européens ?
Tout est régulé par des contrats et accords entre les pays. En général, nous envoyons simplement une demande au pays concerné. Ensuite, il se doit de nous transmettre les informations requises.
Combien de temps une telle procédure peut-elle prendre ?
Ils peuvent nous faire parvenir les données en à peine quelques jours. La procédure peut prendre jusqu’à six jours, et elle est très efficace.
Mais les salles de poker sont-elles obligées de divulguer les informations concernant leurs joueurs ?
Non, nous ne contactons jamais les salles de poker. Si nous avons besoin d’informations sur les joueurs, nous envoyons toujours une demande au pays concerné.
Quelles sont vos relations avec les fournisseurs d’accès à Internet ? J’imagine qu’ils vous transmettent des adresses IP, etc.
Je ne peux pas m’exprimer au nom de toute l’agence, mais je ne suis pas au courant d’une telle coopération.
En gros, seules trois choses nous intéressent : les organisateurs, les plateformes et les joueurs de poker. Ils doivent payer des impôts, même s’ils masquent leur adresse IP.
Nous nous penchons également sur l’affiliation.
Vous voulez dire qu’un joueur suédois ne devrait pas pouvoir jouer avec une adresse IP au Costa Rica par exemple ?
Il peut, mais il doit tout de même payer des impôts sur ses gains.
Collaborez-vous également avec d’autres autorités fiscales européennes ?
Oui, nous faisons partie de l’IOATA, une grande organisation fiscale internationale. Beaucoup de pays y participent, même en Europe de l’est : l’Ukraine, le Kazakhstan, la Géorgie, l’Azerbaïdjan et l’Arménie par exemple.
Il y a quelques années, le jeu en ligne était encore tout nouveau pour eux. Maintenant qu’ils sont plus familiers avec tout ça, leur approche a radicalement changé. Il y aussi une délégation qui vient du Portugal. Ils veulent en savoir plus sur les jeux et les impôts.
Ce qui est bien avec ce type d’organisation, c’est qu’il y a une sorte d’émulation, on apprend beaucoup. Il suffit d’un ou deux ans pour comprendre comment fonctionne l’industrie dans un pays donné.
Est-ce facile de coopérer avec d’autres pays de l’Union européenne ?
Jusqu’à un certain point, oui. Mais je pense qu’il ne faut pas oublier les pays d’Europe de l’est, même s’ils ne sont pas dans l’UE. Ils sont très intéressés par le jeu en ligne.
Si un joueur de poker gagne quelque chose et décide de transférer ses gains sur PayPal ou Skrill, est-ce que cela rend les choses plus difficiles pour les autorités fiscales ?
Ça dépend. Je ne sais pas si je devrais vraiment en parler. Tout ce que je peux dire, c’est que c’est possible. Mais les porte-monnaie électroniques rendent les choses plus difficiles.
Et si un joueur binational suédois a des gains, où doit-il payer ses impôts ?
C’est une bonne question. Dans ce cas-là, cela se règle entre les pays concernés. C’est arrivé ils y a quelques années avec une célébrité. Quand le fisc lui a posé la question, elle a répondu qu’elle était « citoyenne du monde ».
Remarque : Sur 500 pseudonymes, l’Agence suédoise des impôts a réussi à identifier 300 joueurs ayant des gains provenant de pays hors-UE. Le fisc a également récupéré plus de 15,3 millions de dollars d’impôts non-déclarés. Il reste entre 50 et 60 dossiers non-résolus et le montant total devrait donc grimper encore. En plus des inspections menées sur des joueurs suédois, l’Autorité suédoise des impôts veut renforcer la collaboration avec les autres pays de l’UE.