A priori, on imagine mal que le métier d’ergothérapeute et le fait d’être mère d’un enfant de deux ans soient compatibles avec une carrière dans le poker.
C’est parce que la Canadienne Adrienne « Talonchick » Rowsome n’est pas une pro comme les autres.
Elle est bien plus que cela.
Après 10 ans dans le poker et presque 5 ans déjà dans la Team Online de PokerStars, Rowsome est une spécialiste des Mixed-Games. Et ses performances en ligne et sur le circuit sont impressionnantes.
Nous l’avons récemment rencontrée aux Bahamas, quelques heures avant sa victoire dans le tournoi de Pot-Limit Omaha Hi-Lo à 2 200 $ du PCA 2016. Un tournoi qu’elle a remporté devant 33 autres joueurs, pour un gain 22 240 $.
Il y a eu beaucoup de changements dans l’équipe pro de PokerStars. On dirait que chacun a un rôle particulier. Quel est le tien au sein de la Team Online ?
D’un côté, je représente les joueurs expérimentés, puisque je joue sur PokerStars depuis maintenant une dizaine d’années.
Mais d’un autre côté je représente aussi les joueurs un peu atypiques. Je joue beaucoup en Mixed Games comme le 8-Game et en Limit, avec une préférence pour le Omaha Hi-Lo Split.
Mon parcours aussi est assez atypique, puisque j’ai fait des études et que je suis ergothérapeute. Le fait de travailler quelques heures par semaine me permet de maintenir un bon équilibre entre le poker et mon travail.
Tu es également maman. Comment arrives-tu à gérer tout cela ?
J’ai un mari exceptionnel. Ses parents et lui s’occupent souvent de mon fils. Tout est une question d’équilibre.
Je suppose que j’ai de la chance, parce que le poker m’a toujours beaucoup amusée. Je n’ai jamais vécu cela comme une corvée ou une obligation.
Au PCA, j’ai commencé par jouer deux des tournois à 300 $. Ils ont un côté un peu vintage, à l’ancienne.
Ils restent compétitifs, mais ils ont un côté convivial. On cherche toujours à gagner, évidemment, mais tout le monde aime aussi ce côté sympa, comme si on passait juste un moment à jouer aux cartes.
Ton état d’esprit est radicalement différent de celui des autres joueurs. Est-ce que ton style de jeu s’en ressent ?
Oui, c’est évident. Le poker, c’est très dur. Personne n’aime perdre de l’argent. J’ai énormément travaillé sur mon mental ces dernières années.
J’ai notamment fait beaucoup de méditation guidée, ce qui m’a permis de me rendre compte que je ne peux contrôler que ma part. Le reste, il faut savoir faire avec et l’accepter.
Il y a quelque temps, j’ai participé à un tournoi de PLO split à 1100$. Après un gros check-raise, mon adversaire a traîné au moins cinq minutes avant de prendre sa décision. C’est très long. Mais je me sentais très calme. Indifférente.
J’étais contente de ce que j’avais fait et je savais que quelque soit le résultat, je l’accepterais. J’avais fait le meilleur choix possible.
Tu n’es plus affectée par les bad beats ?
Je n'en suis pas encore là. Je peux gérer un bat beat. Mais parfois ils ont tendance à s’enchaîner, ça a forcément un impact.
Donc non, je ne suis pas immunisée. Mais je me force à prendre du recul : si je ne suis en colère que contre moi-même, alors je peux gérer.
C’est quoi le « mental » au poker ?
Au poker comme dans la vie, le mental permet de gérer toutes les situations, quel que soit le niveau de stress.
Par exemple pendant les 20 heures de trajet pour aller aux Bahamas avec un bébé de 19 mois. Mais on était bien préparés, et même si on n’avait pas tout anticipé, cela nous a permis d’y faire face assez sereinement.
C’est la même chose au poker. On ne peut pas se jeter la tête la première dans un tournoi sans réfléchir à la manière de gérer certaines situations.
Il faut se poser quelques questions. « Qu’est-ce que je vais faire à table ? Est-ce que je vais regarder ma tablette et passer du temps sur Facebook ? Est-ce que je vais parler aux autres joueurs pour essayer de mieux les connaître ? »
Si vous ne faites pas ce travail, vous vous privez de cette dimension mentale.
Donc ça n’a presque rien à voir avec les cartes elles-mêmes ?
Tout à fait. Le poker est un jeu assez répétitif. Certains situations se produisent à chaque partie. Mais il faut être préparé à celles auxquelles on ne s’attend pas.
Vu ton parcours, on imagine que tu es très investie dans les initiatives visant à promouvoir le poker auprès des femmes. C’est quelque chose qui t’intéresse ?
Oui, en effet. Sur Internet, je participe au Women Sunday Tournament et à d’autres « Ladies Events » quand j’en ai la possibilité. J’essaye aussi de m’impliquer loin des tables de poker.
Je fais partie de beaucoup de groupes de mamans. Elles me demandent souvent des informations sur le poker. L’idée de pouvoir être mère au foyer tout en gagnant quelques centaines d’euros par semaine les intéresse souvent beaucoup.
Elles veulent aussi savoir ce que ça fait de jouer, ou bien si j’avais peur de me lancer. Je pense que ça les rassure beaucoup d’apprendre que oui, j’avais très peur au début, comme n’importe quel autre joueur, mais qu’aujourd’hui je suis très à l’aise.
Les peurs qu’a n’importe quel joueur de poker débutant sont exacerbées pour les femmes.
En tant que femme, lorsque tu t’assois à une table de poker tout le monde te remarque. Aucune erreur ne passe inaperçue.
Estimes-tu que les femmes ont une vision du poker différente ?
On dit souvent, même parmi les joueurs, que les femmes prennent moins de risques et jouent « à un autre jeu ».
Je comprends ce point de vue, mais personnellement je vois ça comme une excellente raison d’avoir plus de femmes dans le poker.
Parce que si elles détestent tant prendre des risques, pourquoi jouent-elles aux machines à sous beaucoup plus que les hommes ?
Ça, c’est risqué. Donc je ne crois pas du tout à cette théorie.
C’est une question d’environnement. Si vos premières expériences dans une salle de poker ne se passent pas très bien, vous avez peu de chances de revenir.
Pourtant il paraît que le poker est « le grand égalisateur » ?
Les femmes sont élevées différemment. J’étais très bonne en maths quand j’étais petite, mais il n’y avait que des garçons dans ma classe.
On n’encourage pas les filles à développer leurs compétences mathématiques. Ça a des conséquences considérables.
Mais en termes de capacités intellectuelles ou physiques pures, non. Je ne pense pas du tout qu’être une femme soit un obstacle.
Le problème, ce sont les barrières environnementales. Il y a quelques années, j’ai eu une horrible expérience dans une salle de poker, à cause d’un croupier. Il m’a délicatement fait comprendre que ça devait être sympa de jouer avec l’argent de mon mari. Déjà, à l’époque j’étais célibataire.
Mais je peux vous promettre que chaque joueuse de poker a une histoire de ce genre à raconter. Pas étonnant qu’elles abandonnent.
Les joueurs hommes aussi se font humilier. Penses-tu que la situation est différente ?
C’est beaucoup plus personnel pour les femmes. On critique les hommes pour leur niveau de jeu, les femmes pour leur physique.
On fait comprendre aux femmes qu’elles ne sont pas à leur place.
Je sais que beaucoup de joueurs subissent ce genre de choses, mais entre mon mari et moi, il n’y a pas photo.