Nouvel épisode de notre série consacrée aux meilleures lectures des plus grands joueurs de poker et les tells qu'ils parviennent à déceler. Aujourd'hui : le Danois Theo Jorgensen.
En septembre 2012, Theo Jörgensen a atteint la table finale du Grand Prix de Paris à 7 500 € à l’Aviation Club de Frace.
Il avait déjà remporté ce tournoi deux ans plus tôt, il était donc particulièrement à son aise à Paris.
Alors qu’il n’y avait plus que cinq joueurs en lice, il s’est lancé dans un duel avec Mohsin Charania et a fini par risquer tous ses jetons avec une paire de 10.
Est-ce que c’est une main suffisante pour ça ? Nous avons retrouvé Jörgensen lors du récent EPT Grand Final pour lui poser la questions dans le cadre de notre série sur les tells.
La main s’ouvre sur une mini-relance de Charania, à 60 000. Tu surrelances. Pourquoi ne pas simplement suivre ?
Pour plusieurs raisons. Si ça avait été Matt Salsberg, j’aurais suivi. C’est un joueur beaucoup plus serré. Mais Moshin peut miser, et même relancer, avec pas grand-chose.
Je n’ai aucune idée d’où je me situe par rapport à lui, donc je relance parce que n’importe quel tableau pourrait me mettre en danger.
Tout le monde se couche et tu surrelances, mais Charania fait la même chose. Ça veut forcément dire quelque chose, non ?
En général, oui. Mais dans ce cas-là, j’ai estimé que les chances qu’il ait une meilleure main que moi, des valets ou au-dessus, ne sont pas plus élevées que les chances qu’il bluffe.
Pourquoi faire tapis si tu penses qu’il bluffe ?
Parce que si je ne fais que suivre, il ne me reste qu’un pot à miser. J’avais l’avant-dernier stack, ça m’aurait trop engagé.
Si je suis et qu’il y a un as au flop, est-ce que je peux encore me coucher ? J’ai réfléchi et décidé que je prenais la bonne décision, en toute logique.
S’il se couche après mon shove, je suis content. Et peut-être que je peux même le faire se coucher avec une main comme KJ, ce qui serait bien.
Et là, il suit très rapidement.
Apparemment il avait déjà décidé qu’il s’était trop engagé.
N’as-tu basé tes décisions que sur les mathématiques ?
À cet instant, je me prépare à lâcher ma main si je pense qu’il a vraiment quelque chose et que je remarque un tell.
Tu en as vu un ?
Non.
Juste dans cette main ou en général ?
Quand tu es assis avec des joueurs pendant longtemps, tu arrives souvent à déceler quelque chose, mais Mohsin est trop bon pour cela.
À cette table, je savais que je pouvais finir par passer pour un idiot, mais lui aussi.
Cela étant dit, je pense vraiment que les tells sont sous-estimés. C’est marrant de voir à quel point la plupart des joueurs ne se regardent même pas.
Je pense que c’est une question d’éducation. C’est considéré comme tellement impoli que personne ne veut vraiment le faire, alors qu’au poker c’est quelque chose de normal.
Qu’est-ce que tu recherches ?
Tout. Le grand classique chez les joueurs amateurs, c’est d’essayer d’avoir l’air solide quand il est en position de faiblesse, et vice-versa.
Il faut savoir qu’on est tous mal à l’aise quand on bluffe, parce que mentir n’est pas naturel.
L’important, c’est de déceler ce malaise. Parfois, j’ai du mal à déterminer quel élément en particulier me fait dire que quelqu’un est mal à l’aise.
Mais ce qui est sûr, c’est qu’il n’y a que l’observation qui peut m’y aider. Il n’y a pas de tell « typique », sinon tout le monde l’utiliserait.
Ce que je sais par contre, c’est qu’il est difficile de faire semblant d’être nerveux.
Est-ce que tu prends des notes sur les autres joueurs ?
Non, j’ai du mal à retenir les noms. J’ai même du mal à me souvenir des mains, même celle-ci. Mais par contre, je suis fier de dire que je me souviens probablement de presque tous les tells que j’aie remarqués.
Donne-nous un exemple.
Il y a des années, je jouais avec Brian Hastings dans la Bobby’s Room. Quelqu’un lui avait manifestement fait remarquer qu’on avait tendance à mettre de la distance entre soi et ses cartes lorsqu’on n’est pas content de sa main, et qu’à l’inverse on se rapproche de la table lorsqu’on est content.
Brian était déjà allé à tapis, mais il s’est rapproché de la table d’une manière tellement crispée que j’ai suivi son tapis de 17 000 $ à la river, alors que j’avais une main marginale. Et j’ai gagné : il bluffait.
Une autre fois, je faisais un tournoi à Aruba avec UltimateBet, donc autant vous dire que c’était il y a longtemps. J’ai remarqué qu’un joueur à ma table levait toujours la main pour toucher sa casquette à chaque fois qu’il avait une main énorme.
On a tous tendance à faire certains gestes quand on est à l’aise. Je suis convaincu qu’il ne se rendait pas compte de ce qu’il faisait, parce qu’il n’observait pas.
Observer est essentiel au poker. Et heureusement, parce que c’est ce qui fait que le poker n’est jamais ennuyeux.
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