Avec l'expérience, on ne voit plus les choses de la même façon. Si l'on pouvait rencontrer son soi du passé, on lui prodiguerait sans doute de nombreux conseils. Quels seraient-ils pour le poker ?
Fut un temps, jouer au poker nous procurait à peu près les mêmes sensations que ce que ressent un toxicomane au moment où son doigt appuie sur la seringue.
« Imagine qu’on puisse faire ça toute notre vie... »
C’est ce qu’imaginait un joueur qui participait à nos petites parties locales, Terry « The Run » Welsh. Il était cinq heures du matin et la plupart d’entre nous devaient aller travailler quelques heures plus tard.
Aucun d’entre nous ne voulait partir. Je me revois, assis dans ma camionnette de fonction, à pleurer parce que je détestais mon emploi. Je voulais démissionner, mais je n’arrivais pas à franchir le pas.
J’ai fini par trouver le courage de le faire, grâce à ma femme.
« Imagine qu’on puisse faire ça toute notre vie… »
Neuf mots qui me hantaient. Je ne pensais qu’à ça. Je me devais de tenter le coup. On ne vit qu’une fois après tout, non ?
Je n’ai pas réussi. Et c’est tant mieux. Mais si je pouvais remonter le temps, voilà ce que je ferais différemment :
1 - La recherche
Je n’étais pas préparé. Récemment, j’ai discuté avec Niall Farrell, vainqueur de Main Event sur l’EPT, qui m’a dit :
« Le poker attire des jeunes qui pensent qu’ils n’ont rien à faire pour gagner des tonnes d’argent. »
Ok, je n’étais pas jeune. Mais inconsciemment, je cherchais le chemin le plus facile. Et je pensais que c’était le poker.
J’aurais dû faire plus de recherches. Un psychologue suédois, Dr K. Anders Ericsson, a écrit qu’il faut 10 000 heures pour maîtriser une discipline.
Est-ce que je me serais lancé si j’avais su ça ? Je n’avais aucune idée de ce qu’il fallait pour réussir.
J’aurais dû discuter avec un pro pour comprendre les défis auxquels je faisais face.
2 - La passion
Si je m’étais renseigné, j’aurais compris la différence entre « aimer quelque chose » et « être passionné. »
Si vous regardez le documentaire Kid Poker (disponible sur Netflix), vous verrez ce qu’est la vraie passion. Je n’ai jamais ressenti cela pour le poker.
Mais comment réussir sans passion ?
3 - L’état d’esprit
Dans son livre Mindset: the new psychology of success, Carol Dweck écrit :
« Pour changer son état d’esprit, il ne suffit pas de changer quelques détails ici et là. Il faut changer sa perspective.
Quand les gens se mettent dans un état d’esprit de croissance, ils passent d’une perspective juger-et-être-jugé à une perspective apprendre-et-aider-à-apprendre.
Ils se dévouent à grandir, et grandir demande beaucoup d’efforts, de temps et de soutien. »
Je pense que je ne suis jamais sorti du « juger-et-être-jugé ». Aujourd’hui encore, j’ai du mal à être naturellement tourné vers la croissance.
Mais s’il y a bien quelque chose de frappant chez tous les joueurs de poker, c’est leur inébranlable conviction qu’ils vont réussir.
C’est être têtu, au point parfois d’être ridicule. Mais je pense que c’est quelque chose d’essentiel pour devenir un bon joueur de poker.
Je n’ai jamais pensé ainsi. J’ai toujours été bouffé par les doutes. Je n’ai jamais eu les tripes de croire en moi.
4 - Du temps
Avec ma bankroll et mes angoisses, je n’avais qu’un an pour réussir. Ce n’est pas suffisant.
5 - Trouver un mentor
J’aurais trouvé un mentor beaucoup plus tôt, et j’aurais religieusement suivi ses pas.
Pas seulement au niveau du jeu, mais aussi au niveau émotionnel et de l’hygiène de vie.
Même lorsque j’ai commencé à faire partie du monde du poker en tant que journaliste, je n’ai jamais réussi à être pris sous l’aile de quiconque.
Trouver un mentor est essentiel, dans la vie comme au poker. Je n’arrive pas à croire que j’ai raté cette opportunité.
6 - Trouver un clan
Qui vous entoure ?
C’est une question importante. On est ceux qui nous entourent.
Mon clan poker, c’était un groupe de bons gars qui se retrouvaient une fois par semaine pour jouer.
Employés des chemins de fer, dealers, employés d’usine...
Comment est-ce que j’aurais pu devenir joueur professionnel ?
7 - Mieux choisir les jeux
J’ai continué à jouer des cash games en ligne, alors que je me faisais massacrer, parce que c’était la solution de facilité. J’étais un flemmard.
Un mec plus intelligent aurait fait des cash games live. Je notais mes gains et mes pertes. Je savais où je gagnais le plus d’argent.
Et pourtant je continuais à retourner à mes tables virtuelles comme un vulgaire toxicomane.
Il y a aussi eu cette possibilité d’apprendre les mixed-games au plus haut niveau. Le Dealers choice marchait très bien dans mon entourage, et personne ne nous apprenait la théorie.
Tout ce qu’on savait, on l’apprenait à table. J’aurais pu me donner un avantage décisif, mais je ne l’ai pas fait.
8 - Ma femme
Ma femme ne m’a jamais totalement soutenu dans le poker, et qui pourrait lui donner tort ?
J’ai abandonné une des carrières les plus stables pour devenir joueur de poker pro.
Elle n’a jamais vraiment compris l’intérêt du poker. Pour elle, c’est comme si je passais mon temps à jouer à un jeu vidéo, pendant qu’elle travaillait, s’occupait de la maison et prenait soin de notre fils.
Pour en revenir à la règle des 10 000 heures, comment passer autant de temps sur quelque chose que votre famille ne soutient pas ?
Quelques années plus tard, les papiers du divorce ont matérialisé les problèmes qui étaient apparus parce que j’avais préféré passer des heures sur mon ordinateur.
9 - La bankroll
Quand je gagnais, je donnais beaucoup d’argent à ma femme pour qu’elle s’achète des choses. Quand je perdais, je ne lui donnais que du silence et des bouderies.
Je jouais toujours la peur au ventre, "scared money" comme on dit. J’avais un an pour réussir, et une bankroll de 10 000 £.
Quand perdre te met en colère, très en colère, c’est que tu as peur. Il est temps d’arrêter.
Je devais gagner assez pour entretenir ma bankroll, payer mes factures et avoir une vie. Et je n’y arrivais pas.
10 - La pleine conscience
Aujourd’hui, je pratique la méditation deux fois par jour. Je fais du yoga, des étirements, des exercices de respiration. Tout cela m’a permis de diminuer ma colère.
J’étais un volcan actif. Aujourd’hui il est endormi.
Mon jeu aurait énormément progressé si j’avais fait plus attention à mon état mental qu’à ma technique.
11 - Du sport
J’étais un flemmard. Je passais mon temps assis à jouer.
Un pro ? Plutôt un amateur. Je ne faisais aucun sport, je tenais à l’adrénaline. Ce n’était pas suffisant.
12 - Un régime
J’avais déjà arrêté l’alcool à cette époque, mais je mangeais tout de même n’importe comment. Je me nourrissais exclusivement de fast-foods et de plats à emporter.
J’étais accro au sucre. Ajouter à cela le manque d’exercice physique, et vous comprendrez pourquoi je ne risquais pas d’être professionnel en quoi que ce soit.
Ce n’est qu’en ayant un régime adapté que vous pouvez connaître vos réserves d’énergie. Alors que vous ne saviez même pas qu’elles existaient.
13 - Regarder des vidéos de coaching en ligne
Si je pouvais revenir dans le temps, je me conseillerais de regarder des vidéos de coaching en ligne.
Je suis convaincu que voir Phil Galfond jouer en cash game en ligne a détruit mon jeu. Je ne comprenais même pas les bases du poker, et j’essayais d’être Phil Galfond.
Quand je bluffais, on me perçait à jour. Quand j’avais de bonnes cartes, on se couchait.
J’avais l’impression d’être un enfant à la tête d’une armée équipée de bombes nucléaires. Au moindre geste, je faisais tout exploser.
14 - Se coucher
Mais pourquoi, pourquoi, pourquoi personne ne m’a-t-il appris à me coucher ?
15 - Le bluff
Je me dirais d’arrêter de bluffer. J’étais très bon pour évaluer mon jeu. Ma plus grande faiblesse, c’est que je bluffais sans pouvoir m’arrêter.
C’était mon plus gros point faible, et j’étais incapable d’y remédier.
Évidemment, ne jamais bluffer rend le jeu assez plat, mais j’aurais eu de bien meilleures chances de réussir si j’avais su optimiser mes mises et me coucher quand il le fallait.
J’aurais toujours pu apprendre à bluffer plus tard.
16 - Dieu
J’aurais commencé à croire en Dieu et à prier pour que les choses se passent bien dès le début. J’ai très mal commencé ma carrière “professionnelle”.
Chaque année, quand je viens aux World Series of Poker (WSOP), il se passe la même chose. Je perds tellement d’argent au début que lorsque je commence à gagner, soit je n’ai plus d’argent, soit je réussis à peine à rentrer dans mes frais.
On en revient à Carol Dweck et à l’état d’esprit. Je pensais que j’étais un loser, donc je perdais.
Tout le monde n’est pas fait pour ça
Avec l’expérience, j’ai appris quelques petites choses. D’abord, que je n’aime pas le poker autant que je le croyais. Je ne joue même plus aujourd’hui.
Et jusqu’aux enseignements de Raising for Effective Giving (REG), je me serais posé beaucoup de questions sur mon choix de carrière.
J’avais peur de tout, à cause du poids des responsabilités. J’avais une femme, un enfant et un crédit. Et des dettes.
J’aurais dû utiliser l’argent pour régler mes dettes et me concentrer pour trouver ma voie. Peut-être que si j’avais été célibataire vivant chez mes parents les choses auraient été différentes.
Mais tout le monde n’est pas fait pour ça.
Comme dans tous les autres domaines, il faut a) avoir de la chance dès le début, b) être passionné et c) avoir la patience, le courage et les moyens de faire des erreurs, d’en tirer des leçons et de progresser.
Je n’avais aucune chance. Et c’est pour ça que je suis là, à écrire ce papier.