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Triche au Partouche Poker Tour 2009 ?

Triche au Partouche Poker Tour 2009 ?

L’affaire fait grand bruit dans le petit monde du poker français depuis quelques jours. Le vainqueur et son dauphin du Partouche Poker Tour 2009, Jean-Paul Pasqualini et Cédric Rossi, auraient triché.

La présomption d’innocence nous oblige à mettre un point d’interrogation au titre de cet article, pourtant les faits semblent accablants au regard de plusieurs vidéos publiées depuis lundi sur YouTube, ainsi que d’un certain nombre d’autres éléments dont certains ressurgissent après plus de trois ans d’oubli.

Les faits exposés impliquent Jean-Paul Pasqualini, surnom « El Korsico », joueur d’expérience jusque là reconnu et plutôt apprécié, et Cédric Rossi, à la carrière plus modeste. Respectivement vainqueur et deuxième de la finale Partouche Poker Tour 2009 (pour des gains d’1 million et 606.700 €), les deux hommes auraient communiqué par des gestes selon un code bien précis durant la table finale, afin de se communiquer leurs cartes.

Le point central de l’affaire est donc cette vidéo d’un peu moins de dix minutes sur fond de musique du film Le Parrain, où le code décelé par l’auteur du montage de la vidéo concorde avec les mains des joueurs – grattage de tête pour un as, touchage du front pour un roi, grattage d’oeil pour une dame, touchage de nez pour un valet, touchage de bouche pour un 10, touchage du cou pour un 9 ou un 8, touchage du bras pour une petite paire.

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Cédric Rossi.

Outre une orgie de « tells » inconcevable à ce niveau, on décèle également des tentatives pour attirer l’attention de l’autre, ou confirmer le code (surtout du côté d’un Cédric Rossi très agité et rendant une copie peu naturelle).

Plusieurs mains ont les faveurs du plus gros débat, notamment un confrontation AK (chez Pasqualini) contre AA (chez Rossi), où la logique aurait voulu voir Pasqualini aller à tapis face à la relance de Rossi, et s’empaler sur ses as.
Un fold héroïque qui se voit sous un tout nouvel angle après avoir observé un Rossi nerveux se grattant frénétiquement la tête à deux mains, puis semblant faire un léger signe de tête affirmatif, avant que Pasqualini ne jette ses cartes avec un sourire en coin.

Deux autres des mains incriminées dans la vidéo sont l’une qui aura vu Rossi jeter deux paires A-2 sur un flop anodin, et la main finale où Rossi aura suivi avec une poubelle du poker, 7 et 5 dépareillés.
Les esprits les plus attentifs (ou paranoïaques selon le camp où l’on se place) auront également remarqué des attitudes mi-complices mi-tendues des deux joueurs lors de la remise des prix (voir vidéo en fin d’article).

Des finalistes jusque là peu bavards

Troisième du tournoi, le vétéran italien Gianni Giaroni (décédé en 2011), s’était lui-même agacé et plaint d’évènements louches durant cette table finale :

« J’ai vu des gestes étranges pendant les pauses, des signes particuliers à la table et des attitudes plutôt évidentes. Je ne veux accuser personne, je suis satisfait de ce que j’ai gagné. Mais les indices sont si nombreux que je ne peux pas me taire. »
Sans suite.

Le quatrième et seul autre français de cette table finale, Michel Janvier, ne s’est pas montré vraiment intéressé par le débat, ayant même tendance à défendre les deux protagonistes :

« C’est à la Police des Jeux et au groupe Partouche de faire la lumière sur cette affaire. (…) Je suis surpris et scandalisé par ces révélations et accusations non prouvées. (…) Je souhaite vivement que justice soit faite pour eux pour les disculper et que l’intégralité de la finale soit passée au « peigne fin », et pas seulement par le groupe Partouche. Par contre en cas de preuve formelle et condamnation, il est bien évident pour moi et pour les autres finalistes que l’affaire n’en restera pas là.« 

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Michael Tureniec : « J’ai eu mes doutes durant la table finale. J’aimerais maintenant les voir bannis de tout tournoi de poker. »

Septième et joueur le plus connu de cette table finale, le Suédois Michael Tureniec avait lui aussi été témoin de détails étranges. Contacté par PokerListings, il ne s’est toutefois pas étendu longuement sur l’affaire naissante :

« J’étais bien sûr très mécontent quand j’ai vu la vidéo. J’ai eu mes doutes durant la table finale et même après , particulièrement comme ils ont fini premier et deuxième. (…)
[à propos de la main AA-AK] Pasqualini aurait le plus probablement du monde dû être éliminé en 8ème place. Pasqualini était le plus petit tapis, et Rossi l’un de plus gros et surtout clairement le plus agressif. (…) Je pense que ce genre de collusion arrive fréquemment, particulièrement en live, mais malheureusement c’est difficile à déceler, et beaucoup sont réticents pour accuser de triche d’autres joueurs sans ête absolument sûr. (…) J’aimerais les voir bannis de tout tournoi de poker dès à présent, et une action en justice de la part de Partouche.« 

Un soutien aux airs nauséabonds

D’après les éléments recueillis cette semaine, notamment sur le forum du Club Poker, une demande d’enquête aurait été formulée auprès du groupe Partouche après la diffusion de cette table finale. Celui-ci aurait affirmé avoir revisionné les rushes de l’émission, et rien constaté d’anormal.

Si l’on imagine que Partouche aurait tout à fait pu couvrir les deux hommes pour étouffer l’affaire dans l’oeuf (afin d’éviter toute mauvaise publicité), cela semble insuffisant pour convaincre. Et ce même si l’année suivante, en 2010, ce même groupe Partouche aura disqualifié le joueur allemand d’origine turque Ali Tekintamgac, beaucoup moins médiatique et ayant terminé « seulement » 10ème du tournoi, pour une affaire de triche similaire avec cette fois l’aide d’un journaliste.

Sur le banc des accusés, Pasqualini se sera fendu d’un droit de réponse (façon Lance Armstrong diront certains) que vous pouvez lire ici, justifiant notamment ses gestes par la chaleur sur le plateau, et concluant par un « J’ai remporté ce tournoi d’une manière honnête.« 

Le joueur corse aura ensuite rapidement reçu le soutien de ses amis, dont une majorité de ceux que l’on appelle les « livetards », ces dinosaures du circuit live (Guillaume Darcourt, Alain Roy, Philippe Ktorza, Roger Hairabedian, …), pour certains liés à Partouche.

Tous préfèrent pointer du doigt la faible durée de la vidéo comparé à la longueur de la finale (quelques 15 heures), et le fait que son auteur, Nordine Bouya, l’aurait surtout fait pour créer le buzz dans son propre intérêt (ancien joueur de poker, Bouya est aussi écrivain, ayant sorti « Coups de Poker : La gloire ou la mort« , un roman autobiographique, en septembre dernier).

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Nordine Bouya, celui par qui le scandale a éclaté.

Dans une interview donnée à ClubPoker.net suite à cette affaire, Bouya a eu le mérite de ne pas nier sur ce dernier point : « A un moment quand tu écris une chanson, il faut bien que tu passes à la télé non ? Ca fait partie du jeu. Les médias font partie du jeu. Mais seuls les faits sont importants.« 

D’aucuns lui reprocheront aussi d’avoir attend deux ans pour avoir dévoilé l’affaire (il affirme avoir eu connaissances des faits depuis 2010). Bouya s’explique sur ce point en ayant espéré que quelqu’un le fasse avant lui avec « tant de gens au courant ». Discutable.

Autres morceaux choisis : « J’ai joué à plusieurs reprises avec Cédric Rossi en cash game. J’ai vu son manège, je ne suis pas un idiot. Quand j’ai vu les images de la table finale, j’ai constaté qu’il refaisait la même chose. C’était tellement gros… (…) Je n’ai rien contre Jean-Paul Pasqualini. Je l’ai croisé deux ou trois fois, c’est un gars gentil. Mais le problème c’est que les tournois dont on parle, j’y ai participé. Si ça se passe comme ça, je ne suis pas d’accord.« 

Les éléments additionnels ou suspicieux ajoutés à la polémique

Outre les signes, regards, et coups étranges entre les deux hommes, d’autres éléments – pouvant certes être sujets à une seule interprétation – sont venus se greffer au débat, qui « passionne » de nombreux joueurs / observateurs. Chacun se fera son opinion.

– Dans son droit de réponse, Jean-Paul Pasqualini dit qu’il ne connaissait pas Cédric Rossi avant cette table finale (reportée de plusieurs mois après sa constitution à l’instar des WSOP). Mais au moment de la remise des prix, Pasqualini aurait déclaré qu’il était « heureux de gagner le tournoi avec son ami Rossi à la deuxième place ». Certaines rumeurs font d’ailleurs état d’une rencontre des deux hommes dans des parties de cash game au Maroc quelques mois auparavant.

– Les commentateurs français s’étaient à l’époque étonnés d’une partie incroyablement sans faille de Pasqualini, presque comme nanti d’un sixième sens.

– Les deux hommes ont réussi ensemble une performance presque similaire lors d’un tournoi au Maroc en 2011, le Mazagan Deepstack à 84 joueurs. Pasqualini remportait le tournoi, Rossi terminait 3ème.

– Cédric Rossi aurait déjà été impliqué dans une affaire de tricherie au casino de Gruissan (jetons ajoutés durant une pause), qui lui vaudrait actuellement 3 ans d’interdiction de casinos en France.

– La table finale de ce Main Event du PPT 2009 était à huis-clos.

– Les vidéos de la saison 2 du Partouche Poker Tour de 2009 ont disparu du site du groupe. Alors diffusée en léger différé sur Eurosport, des bouts de table finale sont accessibles en commentaires russes sur la toile. Mais Nordine Bouya affirme avoir conservé l’intégralité de l’enregistrement.

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Gianni Giaroni, 3ème du tournoi, avait constaté le manège mais ses plaintes étaient restées lettre morte.

– D’autres cas de « softplay » (joueurs convenant de ne pas s’attaquer) impliquant Pasqualini sont évoqués sur le sujet autour de l’affaire sur le forum de Club Poker. Une pratique malheureusement plus courante qu’on ne le croit en live.

– Quelques mois seulement après le scandale de la dotation garantie de son Partouche Poker Tour (une histoire qui s’est conclue par l’annonce de la suppression définitive du tour par Patrick Partouche), le groupe Partouche fait le mort et n’a pour l’instant pas souhaité communiquer officiellement.

Et maintenant ?

Même si l’affaire n’enlève rien à la qualité de joueur d’un Pasqualini, les faits sont là, et ils tâchent. Ils ne tâchent pas seulement ces deux tricheurs potentiels ou le groupe Partouche qui ne semble pas tout blanc non plus, mais malheureusement le poker dans son ensemble. D’autant que certains médias généralistes commencent à s’intéresser eux-aussi au buzz et à l’affaire.

Aujourd’hui les amateurs de poker, les gens honnêtes, attendent des réponses. Ils attendent les réactions d’autres joueurs, qui on peut éventuellement le comprendre de leur point de vue, sont jusque là restés discrets sur cette affaire. Ils attendent qu’une véritable enquête soit diligentée sur cette finale de 2009, une enquête objective par un organisme indépendant et au-delà de tout soupçon de camouflage de la vérité.
Enfin, ils attendent des sanctions si la tricherie est officiellement établie.

Et nous, ce qu’on aimerait, pour que les choses se terminent d’une meilleure manière plutôt que de voir l’affaire s’enterrer si les faits sont avérés, serait de voir les protagonistes avouer, s’excuser publiquement, et en guise de mea culpa et de bonne volonté, offrir un certain pourcentage de leur gain commun de l’époque (1,6 million d’euros donc) à la famille du défunt Gianni Giaroni.
Un geste qui à défaut de tout faire oublier, permettrait aux joueurs d’en ressortir grandis, et de conclure cette fâcheuse histoire sur une meilleure note (puisqu’il n’y a il faut bien le dire guère d’espoir à voir des suites judiciaires à cette affaire).

En attendant l’affaire reste à suivre, et nous ne manquerons pas de vous communiquer ses suites.

Vous pouvez retrouver les vidéos de Nordine Bouya ci-dessous, ainsi qu’une vidéo plus longue avec commentaires russes.


> A lire aussi :
L’interview de Matthieu Escande, spécialiste en droit des jeux
.


Mise à jour du 14 février :
Le Global Poker Index (GPI) a décidé de suspendre les deux joueurs de son classement global des joueurs de poker. Par la voix de son Dirigeant Alexandre Dreyfus, la société a notamment déclaré : « Nous avons passé beaucoup de temps à analyser les faits, en vérifiant la véracité de la vidéo et de ses sources. Nous avons aussi demandé l’avis des 50 joueurs en tête du classement GPI. (…) En prenant cette décision nous ne disons pas que nous savons qu’ils ont triché (…). Nous sommes convaincus qu’il n’y a pas eu d’équité à la table. Tout comportement déloyal ne sera pas promu via le Global Poker Index. Cela va à l’encontre de ce que nous essayons de faire pour promouvoir le poker, les joueurs et les évènements.« 


La vidéo originale


Vidéo avec les commentaires français live de l’époque


La sortie de Gianni Giaroni en troisième position. Visiblement agacé, il refuse de serrer la main de Pasqualini, et s’entend dire par ce dernier qu’il n’est pas fair play.

 

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Les seules vidéos plus longues de la table final disponibles à l’heure actuelle (commentaires russes)