Le récent « clash » sur Twitter entre Daniel Negreanu et Jordan Cristos à propos du tanking nous a donné un aperçu de ce que le poker pourrait devenir.
Quand vous jouez à la maison, est-ce que quelqu’un fait exprès de mettre extrêmement longtemps à prendre toutes ses décisions, à chaque tour de chaque main, à tel point que vous avez envie de le secouer ?
Probablement pas. Pourquoi ?
Parce que tout le monde sait bien que c’est très impoli. Parce que tout le monde hurlerait à un tel joueur de se dépêcher. Parce que tout le monde tilterait.
C’est une évidence. Imaginez s’il y avait deux ou trois joueurs comme cela par table !
La partie ne durerait pas, les autres joueurs s’énerveraient et abandonneraient la partie.
Énervant mais génial
Au poker, particulièrement dans le poker professionnel, les joueurs essayent d’exploiter tout ce qui peut leur donner un avantage, aussi petit soit-il, sur leurs adversaires.
Or les faire tilter, de quelque manière que ce soit, est un moyen de prendre l’avantage.
Vous vous souvenez de Jamie Gold aux WSOP 2006 ? Si vous arrivez à regarder cette vidéo en entier, vous êtes probablement totalement immunisé contre le tilt.
Ou encore le Français Lucien Cohen, le « rat man » qui a remporté l’EPT Deauville en 2011. Si vous regardez cette vidéo tournée après sa victoire, vous comprendrez ce que c’est que d’être assis à côté de lui pendant une partie.
Et pourtant, la manière dont Gold arrive à déstabiliser ses adversaires en les faisant suivre alors qu’il a les meilleures cartes et se coucher lorsqu’il n’a rien, est très subtile.
Et surtout, géniale. Très énervante, mais géniale.
Ne rien faire
À l’inverse, le comportement de Cohen était tout sauf subtil. Honnêtement, il a énervé tout le monde.
Certains disent même que les autres finalistes se sont fait éliminer juste parce qu’ils n’en pouvaient plus. (On rigole !)
Mais c’est un fait : un adversaire qui tilte, c’est un avantage énorme. Mais les joueurs se sont rendu compte qu’il faut beaucoup de talent pour être aussi perturbant que Gold, et un caractère très particulier pour agir comme Cohen.
D’autant qu’ils ont découvert qu’il est possible d’obtenir le même résultat en ne faisant rien du tout.
C’est précisément ce dont Negreanu et Cristos parlaient sur Twitter. Cristos admet explicitement que prendre le plus de temps possible pour ses décisions fait partie de sa stratégie et, comme le dit Negreanu sur son blog, il en a tout à fait le droit.
Aucune règle du poker ne s’y oppose, et bien souvent, cela fonctionne. En tout cas ça fonctionne toujours contre moi.
Le tanking est cruellement efficace, c’est un fait. Et pourtant, n’importe qui sait bien que c’est assez impoli et que cela détruirait tout simplement le poker si trop de joueurs l’adoptaient.
La raison ne s’impose pas toujours
Negreanu écrit que si tout le monde se comportait comme Cristos, le poker disparaîtrait.
Malheureusement, la raison ne s’impose pas toujours.
La décision d’organiser la Coupe du monde de football dans un pays désertique où les températures atteignent 50 °C en été est-elle raisonnable ou motivée par l’argent ?
Le fait que le seul pays jamais touché par une attaque nucléaire soit le pays avec le plus de centrales nucléaires au monde est-il raisonnable ou motivé par l’argent ?
Au poker, avoir un avantage, c’est gagner plus d’argent. Alors oui, il devrait y avoir de plus en plus d’adeptes du tanking (le fait de réfléchir, généralement longuement).
On en voit déjà les premiers effets : en tournois, de plus en plus de joueurs viennent avec leurs tablettes pour passer le temps entre les mains.
Ce n’est pas quelque chose que je cautionne, mais cela ne me surprend pas non plus. C’est vrai que parfois on s’ennuie.
Le temps moyen d’une décision de plus en plus long
Il y a quelques années, miser 10 000 $ était une décision qui mettait les joueurs dans des états pas possibles.
Et maintenant, on en est à instaurer des règles pour interdire l’utilisation d’appareils électroniques pendant les tournois.
Si vous jouez quelques tournois en ligne ce soir, vous tomberez forcément au moins sur un joueur qui tanke tout le temps.
Soyons honnêtes, de combien de temps a-t-on réellement besoin pour prendre une décision au poker ? Cinq ou six secondes ?
Si c’était une règle, personne ne jouerait sur plus de dix tables à la fois.
Ils le font actuellement, tout simplement parce que le temps moyen d’une décision s’allonge de plus en plus.
Pas besoin qu’une majorité de joueurs pratiquent le tanking pour que cela affecte le poker de manière globale. Comme partout, il suffit d’un ou deux éléments perturbateurs pour discréditer le reste.
Une pendule au prix lourd
Il existe bien évidemment un moyen de se défendre contre le tanking à excès : demander le time.
Pourtant, la grande majorité des joueurs sont bien trop polis pour le faire systématiquement, ou assez souvent pour que cela devienne une habitude.
Le tweet suivant du joueur Amit Makhija à l'adresse de Negreanu résume ce que pensent beaucoup de joueurs :
« Ceux qui tankent sont très énervants, mais je déteste que le fait de demander le time soit considéré comme malpoli par certains. »
Alors quelle est la solution ? Quel est le seul outil qui permettra de réduire le tanking ?
La pendule. Le chrono. Ou encore "shot clock".
Et bien que de nombreux joueurs se soient prononcés en faveur de cette mesure, elle pourrait bien faire plus de mal que de bien au poker.
Pourquoi ? Tout simplement parce qu’elle pourrait dissuader de nombreux de joueurs de venir jouer en live dans les casinos.
Que voulez-vous, les gens sont égoïstes et ont une vision à court terme. Le tanking ne diminuera pas tant que la pendule ne sera pas en place.
Alors, une fois que le nombre de joueurs des tournois aura diminué comme peau de chagrin, peut-être que les gens commenceront à se remettre en question.
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Mike "Timex" McDonald et les joueurs qui gagnent du temps
(publié en décembre 2015)
Tenter de gagner du temps à l’approche de la bulle est l’un des plus gros problèmes du poker live.
Le joueur canadien vainqueur du Super High Roller à 25 000$ du dernier EPT Malte Mike "Timex" McDonald a quelques idées pour le résoudre.
McDonald est l’un des joueurs les plus brillants de sa génération ces dix dernières années, avec 74 places payées et 12,5 millions de dollars de gains en tournois dans le monde entier.
Et s’il n’est pas en tête du classement des joueurs canadiens les plus riches, c’est simplement à cause de deux hommes : Jonathan Duhamel et Daniel Negreanu.
Qui de mieux qu’un joueur dont le pseudo sur Internet fait référence à un chronomètre pour nous parler des joueurs qui tentent de gagner du temps ?
Penses-tu que les joueurs qui tentent de gagner du temps sont un problème de plus en plus important dans le poker ?
Le problème vient de la structure des tournois live. Si vous jouez au poker, vous voulez prendre les décisions les plus rentables possibles.
Et si vous êtes proche de la bulle, vous devez choisir entre faire quelque chose de pas très éthique et perdre beaucoup d’argent.
Plus le poker progresse, plus les gens ont tendance à laisser l’éthique de côté.
Comment changer cela ?
Déjà, on pourrait se contenter de donner une estimation des prix sans dire aux joueurs combien ils vont gagner exactement, ni où sont les paliers.
Ensuite, peut-être pas dans les Main Events mais dans les tournois où il y a principalement des professionnels et des habitués, on pourrait avoir un min-cash inférieur au montant du buy-in.
Je ne pense pas qu’on ait besoin du min-cash pour garantir un profit. On pourrait facilement commencer en payant 40% du buy-in, puis 70% du buy-in, etc.
En tant que joueur professionnel, je trouverais que gagner 2 000$ dans un tournoi à 5 000$, c’est déjà pas mal. C’est quand même 2 000$.
Certes, ce n’est pas un profit, mais au moins on se débarrasse de cette pression de la bulle. Pour l’instant, le min-cash pour un tournoi à 5 000$, c’est 8 000 ou 9 000$. Pour l’hyper turbo à 5 000$ de l'EPT Malte, c’est même 14 000€.
Quand on passe de trois buy-in à rien, il est évident que stratégiquement, il vaut mieux ne pas jouer beaucoup de mains et risquer ses jetons. Alors autant faire le mort et ne jouer aucune main.
Est-ce bien réaliste d’imaginer des prix « secrets » ? On a du mal à imaginer le Main Event des WSOP sans information sur ce que gagne le vainqueur.
Ce serait probablement plus facile dans les tournois auxquels participent principalement des professionnels. On pourrait aussi tester cela en ligne.
Ce que je suggère, c’est qu’au lieu d’avoir un pallier toutes les 10 mains par exemple, on pourrait sélectionner un nombre entre 1 et 10 après chaque pallier pour voir combien de joueurs étant sortis pourraient être payés au pallier supérieur.
Ce serait peut-être difficile à mettre en place sur le circuit live, mais c’est très facile à faire sur Internet.
Que penses-tu de l’implémentation d’un chronomètre pour accélérer le jeu ?
Personnellement, j’adore les tournois chronométrés, alors même que je suis un joueur assez lent. Je les trouve géniaux.
Je titre avantage de pouvoir lire mes adversaires en live, et je tire aussi avantage de jouer plus de mains par heure.
Penses-tu que nous ayons besoin de plus de règles - ou de nouvelles règles - pour éviter les pertes de temps ?
Je dirais que les règles actuelles ne résolvent pas vraiment le problème.
Que fais-tu lorsque tu as un joueur comme ça à ta table ?
Ça dépend, c’est moi ou un autre joueur ?
Un autre joueur.
Alors je demande le chrono.
Il y a donc bien une règle qu’on peut utiliser.
Je trouve que ce n’est pas assez agressif. L'autre jour, pendant le Main Event, un joueur aurait pu prendre une décision en un clin d’œil.
J’ai demandé le time au bout de 10 secondes, mais les employés m’ont dit que je devais attendre 2 minutes. C’est comme ça qu’un joueur peut utiliser 180 secondes plutôt que 10, alors qu’il n’en avait besoin que d’une.
Les règles ne peuvent rien contre ça. Par contre, on pourrait limiter ça, sinon l’éliminer, en faisant payer les joueurs pour utiliser plus de temps.
Imagine qu’on garde les petits jetons en jeu et que toutes les 5 secondes il faille payer un quart d’ante par exemple.
Il faudrait ajouter de l’argent au pot pour utiliser plus de temps. Que chacun paye et que cela profite aux joueurs rapides.
Je suis convaincu qu’un système de ce genre fonctionnerait.