Vainqueur du Main Event des WSOP 2010, Jonathan Duhamel n'est pas seulement un grand champion de poker, mais aussi un homme de valeurs. Nous avons eu la chance de le rencontrer à l'occasion de l'EPT de Londres pour une longue interview.
Dans cet entretien le joueur canadien de la Team PokerStars nous parle notamment de son titre de champion du monde et de sa carrière, de l'évolution du poker, de l'incroyable réussite des joueurs québecois, de l'agression dont il a été victime, et de sa passion du sport, tout particulièrement le hockey.
On a l'impression que pour certains joueurs comme Pius Heinz ou Jerry Yang, remporter le Main Event a été une corvée au niveau médiatique. Toi, par contre, c'est plutôt l'inverse, tu es assez disponible. Est-ce que finalement tu as plutôt pris goût à la "célébrité" ?
Disons plutôt que j'essaye de m'amuser en le faisant. Quand tu remportes un titre, la médiatisation fait partie du lot. Quand tu fais pas mal de tournois live, tu sais aussi qu'il y aura des interviews.
Mais bon, moi je m'amuse avec tout le monde, je m'éclate. Je ne vois pas ça comme une corvée, même si c'est sûr que parfois tu préférerais être à la maison. C'est pas forcément que j'aime spécialement ça, mais il faut le faire, alors je le fais, et j'aime autant le faire avec le sourire.
Comment te situerais-tu, en terme de niveau, par rapport aux autres vainqueurs du Main Event ?
Aucune idée, je pense que ce n'est pas à moi de dire ça. Il faudrait que les autres choisissent pour moi. Certains vainqueurs étaient très bons, d'autres étaient plus inexpérimentés...
Pour en revenir aux autres vainqueurs du Main Event, Greg Merson a déclaré qu'il voulait s'investir dans de plus gros cash games. Est-ce que c'est quelque chose qui t'attire, quitte à aller à Macao par exemple ?
Je suis déjà allé une fois à Macao, même si je ne suis pas resté très longtemps. J'aimerais vraiment y retourner, c'est une ville magnifique, mais je ne peux pas te dire si j'y jouerai des cash games. Je prends les choses une semaine à la fois, je planifie rarement. Dans l'idéal, j'aimerais aller jouer un tournoi là-bas et en profiter pour faire quelques cash games.
Pas sur le long terme donc.
Je veux continuer à faire beaucoup de tournois live, donc ça serait difficile à concilier. Je ne peux pas vraiment me permettre de passer un mois entier là-bas si je veux continuer à jouer des tournois.
Le poker semble vraiment être en train d'exploser au Québec en ce moment, avec beaucoup de bons résultats de joueurs qui en sont issus. Quel est votre secret ?
En fait on est un peu comme une famille, on essaye de s'entraider. Quand quelqu'un a des questions sur comment jouer telle ou telle main ou des questions stratégiques, on en parle entre nous.
Et puis le fait de voyager ensemble aide aussi, on passe beaucoup de temps dans l'avion, dans le bus, alors forcément, on parle stratégie.
Rien de magique alors ?
Hé non, rien de magique. C'est juste qu'on est intelligents au Québec. (rires)
Est-ce que tu aurais quelques tuyaux à nous donner sur les joueurs québécois à surveiller ?
Il y a énormément de joueurs québécois qui font de bons résultats depuis un ou deux ans : Marc-André Ladouceur, Chris McClung, Yann Dion, Jonathan Roy qui a gagné le WPT Montréal...
Et puis il y a toujours des petits nouveaux qui viennent se greffer à la liste. Souvent des joueurs qui jouaient uniquement sur Internet, qui se mettent à voyager et qui font de bons résultats. Des joueurs comme Sam Chartier par exemple, qui fait aussi de bons résultats même s'il voyage encore peu.
Bref, je pense qu'il y a encore beaucoup de belles choses en vue pour les joueurs québécois. Vous avez pas fini d'entendre parler de nous. (rires)
Quel est le joueur qui t'inspire le plus en terme de style de jeu ?
C'est compliqué ça, il y en a beaucoup. J'ai tendance à beaucoup regarder les autres joueurs québécois, vu qu'on parle souvent de stratégie ensemble, donc je dirais Marc-André Ladouceur.
C'est vraiment un super bon joueur, et stratégiquement il est excellent. J'adore parler avec lui, j'ai l'impression qu'il y a une vraie émulation entre nous. C'est un des joueurs que je respecte le plus au monde.
En terme de personnalité, je crois que je dois dire Daniel Negreanu, pour son rôle d'ambassadeur du poker. Il fait tellement de choses pour le poker en général, honnêtement, si j'en faisais la moitié je m'estimerais heureux.
C'est quelqu'un d'accessible, il a toujours le sourire avec les journalistes, il est très populaire, et il travaille beaucoup au développement futur du poker.
Maintenant que tu fais vraiment partie du circuit live et en jouant un peu partout dans le monde, est-ce que tu restes quand même un passionné de poker en ligne ?
Je dirais que oui. Récemment je me suis mis à jouer beaucoup de mixed games et d'Omaha pour essayer d'être plus complet et de devenir le meilleur joueur possible.
Alors peut-être que si je jouais toujours au No-Limit Hold'em je m'ennuierais un peu, mais là je joue à plusieurs jeux différents, je joue dans le monde entier, ça permet de se sentir toujours stimulé mentalement.
J'avais lu dans de précédentes interviews que tes parents t'avaient inculqué très tôt la valeur de choses et de l'argent. Comment arrive-t-on à concilier cela avec les sommes insensées souvent en jeu dans le poker ?
En fait, je pense qu'il ne faut pas penser à l'argent. La seule vraie question, c'est combien représente le buy-in par rapport à ton bankroll.
Après, ce ne sont que des jetons, le nombre de big blinds que tu as, le nombres de big blinds qu'a ton adversaire, que ce soit un tournoi à 100 $ ou à 100 000 $.
Il faut oublier le reste. Du moment que tu as le bankroll suffisant pour jouer, il faut rentrer dans le tournoi et oublier l'argent.
Comment as-tu vu le poker évoluer depuis ton titre de Champion du monde ?
Le niveau de jeu s'est énormément élevé. Les bons joueurs deviennent meilleurs, ceux qui sont moins expérimentés engrangent de l'expérience.
Globalement, je trouve que le poker va dans une bonne direction. Il est de plus en plus populaire, et il n'y a pas de raison de penser que ça va s'arrêter dans les années à venir.
Est-ce que tu as parfois du mal à te sentir à ta place dans ce milieu qui peut parfois être un peu "bling-bling" ?
Non, en fait la plupart des joueurs sont plutôt normaux. C'est vrai qu'à la table je suis plutôt calme, mais en dehors je suis complètement différent.
Il y a beaucoup de personnages hauts en couleurs dans le poker, mais je trouve ça plutôt drôle. Les voir faire un peu les fous, ça met un peu d'ambiance... Sans eux, on s'ennuierait.
Comment te vois-tu dans 5 ou 10 ans ? Toujours en train de jouer au poker ?
Aucune idée. Comme je le disais, je prends les choses au fur et à mesure, une semaine à la fois.
Pour l'instant c'est clair que j'adore le challenge, le jeu est de plus en plus relevé, donc j'ai toujours envie de m'améliorer, de travailler ma stratégie. Tant que j'aurai cette passion-là, je continuerai.
Est-ce que tu peux nous parler brièvement de ton livre, Cartes sur table ? Est-ce que tu envisages d'en écrire un nouveau ?
Pour l'instant, non. Mon livre est sorti il y a presque un an, en anglais il y a 4 ou 5 mois, et pour l'instant je veux vraiment me concentrer sur les tournois et sur mon jeu. À vrai dire, j'ai pas vraiment le temps d'écrire un livre, mais bon, on ne sait jamais, je ne dis jamais non à rien, alors tout est possible.
J'ai aimé le faire parce que j'aime toujours essayer de nouvelles choses. Si j'écrivais un autre livre, il n'y aurait plus l'attrait de la nouveauté. Donc disons que ce n'est pas prévu dans les deux prochaines années, c'est sûr, mais à plus long terme, qui sait.
J'aurais voulu qu'on aborde un peu l'affaire Theo Jorgensen, qui se rapproche un peu de ce qui t'est arrivé. Est-ce que ce problème de joueurs agressés à leur domicile est en train de prendre de l'ampleur ?
Je pense que ça reste des cas isolés, mais les gens pensent toujours qu'on va avoir des millions de dollars chez nous, alors que c'est pas le cas. Quand on gagne un tournoi, on en repart pas avec une enveloppe de cash, l'argent va directement à la banque.
Tout ce qu'on peut faire, c'est essayer de se protéger et être conscients que ce genre de chose peut arriver. C'est la vie, il faut faire avec.
Comment se remet-on d'une telle épreuve ?
Pour moi, l'essentiel c'est de se recentrer sur ses proches. Dans ces moments-là tu vois tes vrais amis, ta famille, tu t'entoures des personnes que tu aimes, tu passes du temps avec eux et puis tu finis par réaliser que la vie continue et qu'il faut tourner la page.
Est-ce que justement tu penses que tu n'arriveras à tourner complètement la page qu'une fois que l'affaire sera allée au bout juridiquement ?
C'est sûr. Là c'est pas encore réglé, ça fait presque un an et demi que ça dure. Mais bon, je ne m'en occupe pas trop, je fais ce que j'ai à faire, je fais mes tournois et je laisse mes avocats s'en charger.
Pas près de pardonner ton ex donc j'imagine ?
Ah ça non, je crois pas.
Parlons un peu du hockey, ta passion. Les Habs ont l'air plutôt bien partis pour faire les play-offs cette année.
Ah ouais, ouais, c'est bon ça. L'an passé on avait terminé 29ème sur 30, là on est 3ème ou 4ème, donc ça nous change.
C'est sympa de voir ça, même si avec les voyages c'est pas toujours facile. Quand on est en Europe par exemple, les matchs commencent à une heure du matin. Mais bon, on essaye de les regarder quand même.
Ça risque d'influencer ton planning poker ?
S'ils vont loin, c'est possible, oui. Les play-offs risquent d'être fin mai-début juin, à peu près en même temps que le début des World Series, donc on verra.
Mais par contre s'ils vont en finale de la Stanley Cup, comme ça fait vingt ans que c'est pas arrivé à Montréal, je vais sûrement essayer d'y être, c'est clair.
Tu es un vrai fan de sports : hockey, football, golf, baseball... Est-ce qu'il y a UN sport que tu n'aimes pas ?
Il y en a un ! Enfin j'aime le regarder, mais pas y jouer, c'est le basket-ball. Je suis assez petit, donc je suis vraiment pas bon.
Mais c'est vrai que j'ai fait du sport toute ma vie et que j'aime vraiment ça. J'en fais un peu moins maintenant, forcément, du coup quand j'ai la chance d'en faire, je l'apprécie d'autant plus.
Qu'on joue au badminton, au bowling ou à n'importe quoi, je dis oui parce que ça m'éclate, ça maintient en forme, et puis ça permet de passer du temps avec ses amis.
Du coup, est-ce que tu serais tenté par des défis comme ceux que font ElkY ou Eugene Katchalov ?
Ouais mais ils s'entraînent tous les jours, eux ! Ils sont bien mieux préparés que moi.
Et puis ça me tente un peu moins. Je préfère le côté social du sport, surtout les sports collectifs entre amis.
Peut-être sur un sport que tu connais bien...
Oui, je les prends quand ils veulent au hockey sur glace ! (rires)