Pour gagner au poker, il faut de la stratégie, du sang-froid... et aussi un petit peu de chance. Certains joueurs se mettent alors en tête d'influencer le cours du destin, quitte à suivre une voie qui les mènera à coup sûr vers le bad beat : la superstition.
« La superstition est l'art de se mettre en règle avec les coïncidences. » – Jean Cocteau
Pourquoi les joueurs sont-ils superstitieux ?
La superstition n'est pas de la bêtise. Elle est, au contraire, le produit de notre intelligence. D'ailleurs, quand on regarde son étymologie, on s'aperçoit que ce mot signifie « surmonter », « se tenir au-dessus », « dominer ».
Mais surmonter quoi ? La réponse est simple : il s'agit de lutter contre notre anxiété face à tout ce que nous ne maîtrisons pas.
En fait, notre cerveau cherche une parade pour avoir l'impression de contrôler le hasard et l'incertitude liée à notre condition humaine.
Alors, plus les individus se trouvent dans des situations stressantes, plus ils ont tendance à devenir superstitieux. C'est notamment le cas des artistes, des sportifs de haut niveau... et des joueurs.
Chacun a son gri-gri ou ses petites manies. Et la fréquentation des casinos explose le vendredi 13 ! (+40% en moyenne). Le jeu est en effet un terreau fertile pour la superstition puisqu'il cumule à la fois le hasard et l'argent, la pression augmentant avec le niveau des joueurs et l'importance des enjeux financiers.
Les risques liés à la superstition
La superstition peut devenir une prison psychologique.
« Les superstitieux sont dans la société ce que les poltrons sont dans une armée : ils ont, et donnent des terreurs paniques. » – Voltaire
En soi, il n'y a pas un rituel superstitieux pire (ou meilleur) qu'un autre. Le problème vient de leur fréquence, de leur nombre et surtout de leur caractère indispensable.
Certains joueurs de poker finissent par s'enfermer dans une véritable prison psychologique. Ils se sentent obligés d'accomplir tel ou tel acte pour pouvoir jouer, ou perdent leurs capacités si un « présage » s'accomplit.
Cela peut d'ailleurs les mener très loin. Quand un joueur renonce à une partie parce qu'il ne porte pas son caleçon fétiche, les conséquences de son comportement irrationnel restent limitées. Mais lorsqu'il pense avoir une main fétiche ou être dans un bon cycle de chance et qu'il engloutit des sommes folles, la situation est nettement plus problématique !
Dans tous les cas, la croyance irrationnelle conduit le joueur à prendre de mauvaises décisions.
Des exemples de superstition au poker
« Mieux vaut toucher de l'argent que du bois, car l'argent conjure plus sûrement le mauvais sort que le bois. » – Henri JeansonLes mains "fétiches"... et "maudites" : un grand classique.
Solliciter une intervention divine
De nombreux joueurs récitent une prière ou brûlent un cierge avant un tournoi ou une partie de premier plan pour s'attirer les faveurs du Tout-Puissant. Isabelle Mercier elle-même s'adonne à ce rituel (on la voit faire dans le documentaire « That's Poker » de Martin Delpierre).
Cette pratique est d'ailleurs assez étonnante quand on sait ce que les religions pensent du poker ! (à ce sujet, voir notre dossier Jeu et poker : qu'en pensent les religions ?).
Avoir des mains fétiches
Une main fétiche est une main qu'un joueur pense favorable car il a déjà gagné grâce à elle.
A contrario, il y a des mains qui sont considérées comme portant la poisse. Le joueur est alors persuadé que la suite de la partie se déroulera sous de bons ou de mauvais auspices (selon sa main)... et il se plante (le plus souvent sans se rendre compte que c'est sa croyance qui est en cause).Konstantin Puchkov et son polo "porte-bonheur".
Porter un vêtement fétiche ou posséder un grigri
Certains joueurs ont besoin de porter un vêtement ou un accessoire fétiche, qu'ils avaient lorsqu'ils ont gagné une partie importante, pour être dans de bonnes conditions pour jouer. Cela peut être très handicapant sur les tournois : si le joueur perd ses bagages, il va se mettre à paniquer et il perdra.
Un certain Patrick Bruel confiait par exemple un jour avoir toujours un billet de 5 dollars plié en quatre dans sa poche.
Niveau vestimentaire, on se souvient aussi de Konstantin Puchkov et son polo fétiche porté depuis sa victoire aux WSOP.
Jouer en fonction des « cycles de chance »
C'est peut-être la superstition la plus agaçante car elle semble s'appuyer sur un fondement « scientifique ». Elle a d'ailleurs considérablement été popularisée par Patrick Bruel : le chanteur et champion de poker semble ponctuer toutes ses interventions d'une référence aux « cycles de chance ». Est-ce pour s'affranchir des propos de Patrick que Winamax a mis en ligne une page expliquant pourquoi il ne faut pas croire à ces fameux cycles ?
Seule certitude : un cycle de chance (une série de bad beats ou un rush) ne peut être constaté qu'a posteriori. Et le déroulement d'une série est totalement imprévisible. La seule chose qui compte est la façon dont vous jouez. Alors quand un joueur pense avoir deviné l'existence d'un cycle de chance, il perd sa lucidité et ses réactions vont être faussées.
Comment en finir avec la superstition ?
«Pour moi, il n'y a que d'heureux présages : car, quoi qu'il arrive, il dépend de moi d'en tirer du bien. » – Épictète
D'abord, il faut commencer par prendre conscience que certains comportements sont uniquement dictés par des superstitions. Faites une petite introspection et étudiez votre attitude quand vous allez disputer un tournoi et quand vous jouez. Vous serez sans doute surpris du résultat !
Ensuite, il faut évaluer votre degré d'addiction à vos superstitions. Certaines sont anodines : si jouer avec tel ou tel gri-gri vous rassure et vous aide à vous sentir mieux, il faut l'accepter avec bienveillance et lucidité.
Mais si vous sentez que cela va plus loin et que vous ne pouvez plus empêcher d'accomplir vos rituels personnels, il vous faut réagir avant de vous laisser enfermer dans une superstition. Habituez-vous à changer d'habitude et à regarder ce qui se passe. Faites le test plusieurs fois pour qu'il soit probant : vous verrez vite que même si vous jouez avec un tee-shirt bleu au lieu du noir, il ne se passe rien de spécial.
Si cela ne fonctionne pas, alors qu'il n'y a plus qu'une solution : se faire accompagner par un psychothérapeute. Ne prenez pas l'habitude d'être angoissé si vous n'accomplissez pas vos rituels : cette situation est non seulement dévastatrice au poker mais elle peut vraiment vous gâcher la vie.
Et vous, quelles sont vos superstitions ?
Faut-il croire aux "rush" au poker et jouer là-dessus ?
Tout vous sourit, vous accumulez les bonnes mains, vous touchez tous vos flops et même vos river. La chance est avec vous et vous vous sentez invincible : Vous êtes en rush. Faut-il en profiter ou garder la tête froide ?
par Arthur S. Reber
On est tous passés par là.
On gagne quelques mains d’affilée, et voilà : on commence à faire des blagues, à se taper dans les mains et à empiler nos jetons en se vantant de notre génie à qui veut l’entendre (ou pas).
C’est inévitable. On est en plein « rush ». On plane totalement. On se sent invulnérables. On imagine que c’est notre talent qui nous a ramené tous ces jetons.
La réalité finit par reprendre ses droits, mais peu importe. Alors évidemment, il n’y a aucun problème avec ça. C’est génial de gagner plein de jetons, et si on ne peut pas profiter de ces moments-là, alors à quoi bon ?
Mais très souvent, un joueur en plein rush fait ensuite quelque chose de très intéressant.
Il regarde ses cartes, suit une relance d’un joueur serré et dit : « Faut bien que je joue mon rush » pour justifier ce qu’il sait être un très mauvais choix stratégique.
Est-ce sensé ? Est-ce intelligent de vouloir « jouer son rush », est-ce que c’est rentable ? Ou bien est-ce que ça vous coûte de l’argent sur le long terme ? En bref, les rush sont-ils réels ?
La réponse est complexe. Je peux penser à au moins trois raisons qui poussent quelqu’un à jouer son rush, mais elles ne sont pas toutes convaincantes.
1. Je joue mon rush parce que je suis sur un bon run
La plupart des joueurs de poker pensent que c’est vrai. Ils ont tort. C’est faux. Et voilà de quoi vous en convaincre : on ne voit ses rush qu’avec le recul. Vous gagnez une grosse main. Génial. Est-ce que c’est un rush ? Non.
Bon, vous en gagnez deux d’affilée. Un rush ? Peut-être. Trois ? Quatre sur cinq ? Vous finirez forcément par penser que c’est un rush. Mais vous ne le saurez que rétrospectivement. Vous gagnez très souvent une main. Vous gagnez rarement la deuxième. Pas de rush.Il n'y a pas de mal à être en réussite. Ne comptez juste pas à ce que ça dure forcément.
Vous comprenez ? Les rush ne peuvent pas être prédits, et leur fin non plus. Alors quand vous dites « je joue mon rush », ça veut dire que vous estimez que ce qui s’est passé va continuer. Et logiquement, c’est faux.
Chaque main est aléatoire. Toucher deux couleurs d’affilée ne change pas la probabilité de base d’en toucher une sur la prochaine main. Elle est exactement la même.
Chaque main est indépendante de la ou des précédentes, et les probabilités ne sont pas influencées par les succès ou échecs passés.
Cet argument est donc totalement faux. La probabilité de remporter la main suivante n’augmente pas parce que vous êtes « sur un bon run », tout comme la probabilité de perdre si vous êtes dans la situation inverse.
2. Je joue mon rush parce que je suis plus perspicace quand je gagne
Cet argument est un peu plus solide. La plupart d’entre nous jouons mieux quand nous gagnons que quand nous perdons. Gagner booste la confiance et augmente votre agressivité. Il peut donc être pertinent de jouer un rush si vous jouez de manière plus affutée quand c’est le cas.
Mais cet argument n’a en fait rien à voir avec le rush. Il est simplement basé sur le fait que vous avez tendance à mieux jouer au poker quand vous gagnez que quand vous perdez.Un fait : vous avez tendance à mieux jouer quand vous gagnez que quand vous perdez.
Il est pourtant essentiel de réussir à maintenir un haut niveau de jeu même lorsqu’on se fait malmener. Si vous voulez jouer un rush parce que vous jouez comme un dieu, tant mieux, mais soyez conscients que le « rush » n’y est pour rien.
3. Je joue le rush parce que je peux dominer cette table
Là, on parle sérieusement. Ce dernier argument est beaucoup plus proche de la réalité. Mais là encore, le rush n’y est pour rien. C’est la perception qu’ont les autres du rush qui importe. Ça fonctionne parce que la plupart des joueurs de poker ne comprennent pas les deux arguments précédents.
Comme la plupart des joueurs sont persuadés que les rush existent, ils pensent qu’ils continuent. À coup de remarques prophétiques, ils se persuadent que vous êtes invulnérable.
Remarquer que vous êtes sur une bonne série n’a pas beaucoup d’importance. Mais cela peut pousser les joueurs à ne pas aller contre vous.
Quand vous êtes en « rush » et que quelqu’un agit comme ça, vous savez à 100 % que vous pouvez le dissuader avec une simple relance.
Vous le contrôlez parce qu’il est persuadé que votre rush est mystique, réel et durable. Il a donc peu de chance de répondre à votre agression.Vous pouvez avoir le contrôle de vos adversaires s'ils pensent que votre rush tient de la magie.
Et encore une fois, si ça fonctionne, ce n’est pas parce que les rush existent, mais parce votre adversaire le croit. C’est la clé : la croyance bat la réalité.
Conclusion sur les rushs du poker
Au final, la réponse à la question « Est-ce que je dois jouer mon rush ? » est à la fois « oui » et « non ».
Si vous adversaires ont lu cet article, alors non. S’ils croient au pouvoir des rush, alors oui. Tout simplement parce qu’ils auront peur de vous et ne joueront pas leur meilleur poker. La clé, ce n’est pas que les rush existent ou pas, mais que les autres le croient.
Un petit aparté sur la « main chaude »
Les rush du poker ont des cousins dans d’autres sports : la soi-disant « main chaude ».
On la retrouve au basket, au baseball, etc. On a tendance à faire rester plus longtemps sur le terrain un joueur dans cette situation.
Au poker, les joueurs qui pensent « être sur un bon run » ont tendance à participer à plus de tournois.
Ces dynamiques sont-elles réelles ? Peut-être. Ou peut-être pas.
Arrêtez de faire l’oiseau !
Vous voulez progresser de la manière la plus simple qui soit ? Ne soyez pas aussi bête qu'un pigeon, arrêtez les superstitions.
J’ai commencé à jouer au poker bien avant de devenir un chercheur en psychologie. La majorité de mes plus grands souvenirs à la table de poker sont ceux qui rassemblent mes deux univers.
J’apprécie tout particulièrement de voir des joueurs se montrer superstitieux.
Quand ils demandent à changer de table après un horrible bad beat. Quand ils suivent en début de parole avec Q♥ 9♥ parce que c’est leur « main fétiche et porte-bonheur ». Quand ils marmonnent quelque chose qui ressemble étrangement à une prière à un moment crucial (je pense par exemple à Jerry Yang).
Il existe une expérience psychologique très connue qui en dit beaucoup sur tout cela. Elle a été menée avec des pigeons il y a quelques années par le psychologue comportementaliste B. F. Skinner.
Promis, on va parler de poker. Ne partez pas en courant.
Pigeons et relation de causalité
Skinner a réuni un groupe de pigeons et les a placés dans des petites boîtes, chacune équipée d’une lumière, d’un abreuvoir et de rien d’autre.
Les pigeons ne sont pas les oiseaux les plus intelligents, autant dire qu’ils sont difficiles à ennuyer. Skinner a passé des années entières à étudier comment nous (les pigeons, les rats, les humains) répondons au renforcement. Si un pigeon reçoit de la nourriture après avoir tapé du bec un disque lumineux, il apprend que c’est une bonne chose."C'est fou, chaque fois que je fais cette tête tout le monde se couche."
Jusque-là, pas de problème. Les pigeons sont capables d’identifier la relation de causalité entre ce qu’ils font et l’arrivée de nourriture. On peut d’ailleurs imaginer le pigeon discuter avec un de ses potes pigeons et dire « Je l’ai vraiment bien conditionné celui-là. À chaque fois que je touche ses clés, il me donne à manger. »
Du point de vue du pigeon, ça a l’air juste, mais Skinner ne serait peut-être pas d’accord. Lui, on l’imagine discuter avec un collège : « Je l’ai vraiment bien conditionné celui-là. À chaque fois qu’il touche ce disque, je lui donne à manger. »
Tout est une question d’interprétation. Du côté du pigeon, elle est claire. Il est persuadé d’être en charge, et tous les événements semblent lui donner raison.
Skinner, à l’inverse, est également persuadé qu’il est en charge et qu’il dirige tout.
Tous les deux ont une vision assez verrouillée de la réalité. Bon, en toute honnêteté je ne suis pas sûr que les pigeons puissent comprendre ce genre de concepts, mais peu importe.
Ce qui m’importe ici, c’est que chacune des parties a une vision qui est supportée par toutes les données disponibles. Vous savez (ou êtes persuadé) que le point de vue de Skinner est le bon, mais dans ce cas précis, cela n’a aucune importance.
Une affaire de programmation
Ces expériences ne sont que la base d’une expérience bien plus intéressante. Un jour, Skinner a décidé de programmer les distributeurs de nourriture pour qu’ils libèrent quelques graines de temps en temps peu importe ce que faisaient les pigeons.
Plus besoin de toucher le disque ni quoi que ce soit. Ils auraient pu rester assis.
Skinner a mis les pigeons dans leurs boîtes et est rentré chez lui. Que pensez-vous qu’il ait vu en revenant au bureau ?
Si vous pensez que les pigeons étaient tranquillement assis en train d’attendre la nourriture, vous avez tort.
Dans l’une des boîtes, un pigeon levait une patte et se penchait légèrement. Dans une autre, il faisait le tour de la cage l’aile droite déployée. Dans la suivante, le pigeon hochait la tête. Et ainsi de suite.
Que se passait-il ? Revenons au point de vue du pigeon. Skinner ferme les cages et part. Les pigeons font leur petite vie de pigeons, déploient leurs ailes, secouent la tête, etc.
Quand soudain, de la nourriture arrive. « Hmmm », se dit le pigeon. « J’ai levé l’aile et de la nourriture est arrivée. Je vais réessayer. » Et effectivement, de la nourriture continue d’arriver.
Dans la boîte suivante, la nourriture est arrivée pendant que le pigeon hochait la tête.
Alors la prochaine fois que vous avez envie de demander à changer de place parce que vous pensez que c’est pour ça que vos cartes ne sont pas bonnes, ou à changer de table parce que vous avez eu quelques bad beats, que vous remplacez la prise de décision par des prières, ou que vous voulez jouer une main médiocre parce que vous pensez qu'elle vous fait gagner, prenez cinq minutes et pensez aux expériences de Skinner. Arrêtez de faire l’oiseau.
Biographie de l’auteur des deux dernières parties de cet article :
Arthur Reber joue au poker depuis quarante ans. Il est l’auteur de The New Gambler’s Bible et le co-auteur de Gambling for Dummies. Il était encore récemment professeur de psychologie au Graduate Center de l’Université de New York.