Parlons donc des tells, ceux du poker live. Car beaucoup de choses ont été écrites à propos des tells.
Une bonne partie d'entre elles est un peu stupide, une bonne partie est assez géniale.
Je vais éviter de m'attarder sur le côté stupide, pas la peine de donner à quiconque des raisons de me détester.
par Arthur S. Reber
Saluons donc simplement la « bonne came » et ses deux principaux auteurs : Mike Caro et Joe Navarro.
Le Book of Tells : utilité limitée
Le Book of Tells de Mike Caro dresse un inventaire des tells classiques et de la façon dont ils se manifestent.
Il a écrit ce livre au début de l'explosion du poker, du coup l'ouvrage a pris un petit coup de vieux, bien qu'il soit toujours plus qu'utile pour les débutants.
Navarro, dans son Read 'em and Reap : a Career FBI Agent's Guide to Decoding Poker Tells (wow !), dévoile une approche unique et plus moderne, basée sur son expérience du « monde réel ».
Dans le cadre de ses missions au sein du FBI, Navarro a mis au point des techniques de détection des mensonges, subterfuges et techniques de diversion. Contrairement aux conclusions de Caro, celles de Navarro ont une base scientifique.
(voir notre critique du livre en français)
Si vous êtes curieux, allez sur Google, recherchez « Paul Ekman » et voyez où cela vous mène. Ekman est un éminent psychologue qui fut l'un des premiers à se pencher sur la façon dont se manifestent nos émotions.
Cependant, et c'est le véritable but de cet article, c'est uniquement en combinant les approches de Caro et de Navarro, que l'on peut arriver à une véritable science des tells.
Caro a développé son approche fort d'années passées à affronter les adversaires les plus coriaces du circuit.
Son savoir est basé sur son expérience personnelle. Du coup, cela peut être difficile pour un débutant ou un joueur n'ayant pas énormément d'expérience de bien saisir tout ce qu'il dit.
Par exemple, de nos jours on voit rarement le tell des « doigts qui tremblent » lors d'une énorme main.
La dernière fois que je l'ai vu, c'était même complètement inutile : le gars se mettait à trembler dès qu'il était stressé, c'est à dire à chaque fois qu'il misait plus du double de la grosse blind !
Read 'em and Reap : de l'importance de l'intuition
Navarro, lui, s'est servi d'expériences menées sur la gamme de réactions auxquelles a recours l'être humain pour exprimer ses émotions et la façon dont, avec de l'expérience, on peut arriver à les déchiffrer.
Ces études ont démontré que des individus formés à cela, comme au FBI ou aux Services Secrets, repéraient bien plus facilement les comportements suspects qu'un individu lambda.
Ils se sont avérés particulièrement doués pour repérer les indices liés au comportement général, au langage et aux mouvements.
Étrangement, le plus souvent ils n'étaient même pas conscients de ce qu'étaient ces comportements en question, ils avaient simplement cette impression qu'il y avait « quelque chose de bizarre ».
Il y a quelque temps, j'avais parlé dans un article de l'importance de l'intuition au poker, c'est à dire le fait de savoir quelque chose que l'on est pas conscient de savoir.
Navarro essaye de pousser ainsi le joueur moyen à aiguiser son intuition et à apprendre à repérer les indices pendant le jeu et à deviner s'il peut s'y fier ou pas.
Les tells : pas forcément ce que vous croyez
Le problème, c'est qu'il n'est pas si simple d'acquérir ce genre de talent, cela prend du temps.
Ironiquement, cela demande le genre d'expérience qu'a eu Mike Caro et qui l'a mené à écrire son livre.
La première chose à savoir et à accepter, c'est que la plupart du temps vous ne repérerez pas les tells consciemment.
Un jour j'en ai remarqué un. C'était tellement étrange que j'ai pensé que c'était n'importe quoi.
Ce gars misait avec sa main droite, sauf lorsqu'il bluffait, il utilisait alors sa main gauche !Je n'ai joué avec lui qu'une ou deux heures, donc je n'ai jamais su si c'était fait exprès pour entourlouper les gens comme moi ou si c'était vrai, mais après des années et des années passées à jouer, je n'ai jamais rien revu de tel.
Bien sûr il y a quelques signes révélateurs de stress bien connus : par exemple regarder en l'air ou fixer quelque chose qui n'a rien à voir.
C'est quelque chose que vous verrez souvent lorsqu'un joueur mise gros et doit attendre la décision de son adversaire.
Il devient alors nerveux, et comme la plupart d'entre nous sommes incapables de garder une pose à la Hellmuth ou à la Ferguson très longtemps, il va regarder le plafond, la télé, fixer une serveuse qui passe ou jeter un coup d'œil à sa montre.
Il est important de garder à l'esprit que ceci est un signe d'émotion mais qu'il est impossible de vraiment savoir si votre adversaire est si stressé parce qu'il bluffe ou parce qu'il a une super main.
C'est exactement la même chose qu'avec le soi-disant « détecteur de mensonges » ou « polygraphe ». Il ne détecte pas les mensonges mais l'agitation, et c'est précisément pour cela que ses résultats ne sont pas valides devant la justice.
Mettre en pratique ce que vous avez appris dans les livres
Un tell classique est à la fois complexe et très intéressant psychologiquement parlant.
En général, on le remarque inconsciemment, intuitivement, parce qu'on détecte certaines façons de se comporter ou de parler et surtout de parier.
Notre façon d'agir est faite de constantes : dans telle situation nous nous comportons de telle manière. Ce sont ces constantes qui deviennent des indicateurs pour le bon joueur de poker qui saura les utiliser.
Plutôt que quelque chose de spécifique, les tells sont en général des comportements globaux.
Il n'y a pas de manière de se tenir ou de s'exprimer qui soit typiquement révélatrice d'une grosse main.
Par contre la façon dont un individu en particulier à tendance à se tenir ou à s'exprimer lorsqu'il a une très bonne main ou qu'il bluffe le sera. Un joueur aura tendance à se pencher en avant, un autre à s'adosser d'une manière qui se veut décontractée.
Il n'est certainement pas facile de détecter et de déchiffrer ces tells, et il n'y a pas de formule magique.
Il faut de l'entraînement et de l'expérience, à la fois du jeu et contre ce joueur en particulier.
La chasse aux tics
Vous vous êtes déjà demandés pourquoi les meilleurs des pros aiment demander aux autres joueurs (en particulier aux joueurs amateurs moins expérimentés) quelle est leur main ?
Faites-y attention la prochaine fois qu'un adepte de ce stratagème, comme Daniel Negreanu, y a recours.
Il énumère différentes mains que son adversaire peut avoir, à la recherche du moindre changement d'attitude ou « tic » à la mention d'une main en particulier.
Cette petite astuce est en réalité l'une des plus utiles dans l'arsenal des fins limiers des douanes ou des agents de la CIA. Comme eux, ce n'est pas une réaction en particulier que guette Negreanu, sinon une qui soit différente.
La leçon du jour : toujours la même chose, « de l'entraînement et encore de l'entraînement ». Il vous faudra y passer du temps.
Plus vous passerez de temps à jouer, plus vous développerez votre sensibilité à toutes ces subtilités, même si vous aurez du mal à expliquer aux autres ce que vous apprenez.
Et puis bien sûr, il est important de prêter attention. Les joueurs qui sont concentrés sur le jeu et sur le comportement de leurs adversaires améliorent leur intuition plus rapidement et sont plus à même de repérer les tells.
----------
Pourquoi les experts en psychologie se plantent complètement à propos des Tells
Depuis quelques années, Zach Elwood a révolutionné la manière dont les gens voient les tells.
Son livre, Reading Poker Tells, a fait sensation dans le monde du poker et s'est attiré les louanges de personnalités aussi notables que Kathy Liebert, Max Steinberg ou encore Mason Malmuth.
Alors que la plupart des livres sortis ces cinq dernières années sont consacrés à l'aspect mathématique du poker, Elwood a pris la tendance à contre-pied en s'intéressant aux tells et en donnant des conseils pratiques pour les détecter.
Elwood a écrit en exclusivité pour PokerListings ce billet dans lequel il explique pourquoi les experts en psychologie comme Joe Navarro se trompent à propos des tells.
par Zachary Elwood
Les gens ne réagissent pas au poker comme ils réagissent dans la vie de tous les jours.
Je vois sans cesse des spécialistes du « langage corporel » essayer d'appliquer des principes généraux au poker. Or, à moins qu'ils ne soient aussi spécialistes du poker, ils sont condamnés à s'y casser les dents. Le poker est un environnement à part avec des situations à part.
Vous allez sûrement me demander : « Et les interrogatoires alors ? ». Vous partez peut-être du principe qu'un criminel qu'on interroge est après tout semblable à un joueur tentant un bluff : il essaye de cacher quelque chose et ne veut pas être percé à jour.
Vous me direz aussi peut-être que Joe Navarro a fait partie du FBI, qu'il a écrit un livre très connu sur les tells au poker et qu'il doit donc bien y avoir des points communs entre les deux situations.
Effectivement, on peut trouver quelques similarités entre le poker et un interrogatoire. Après tout, le comportement humain ne peut pas être complètement différent d'une activité à l'autre. Mais il ne faut pas oublier qu'il y a surtout beaucoup de différences entre les deux domaines.
En appliquant des principes aussi généraux à la table de poker, on a surtout beaucoup de chances de se planter.
Je vais me baser sur des exemples tirés de Read 'Em and Reap (écrit par Joe Navarro et Marvin Karlins, présenté par Phil Hellmuth), parce que selon moi ce livre rassemble un certains nombre de clichés qu'on rencontre très souvent lorsqu'on essaye d'appliquer la science du comportement au poker.
Le poker, c'est comme un interrogatoire de police ?
Commençons par cette idée selon laquelle il y aurait beaucoup de points communs entre un interrogatoire de police et une partie de poker.
Vous pensez sûrement qu'un joueur tentant de bluffer se comporte comme un criminel qu'on interroge. Les deux essayent de cacher quelque chose en trompant leurs « adversaires ».
Cependant, il y a une énorme différence entre les deux : une personne qui subit un interrogatoire, qu'elle soit coupable ou innocente, n'a pas à se soucier de paraître nerveuse, stressée ou peu sûre d'elle. Un coupable aura même peut-être intérêt à avoir une telle attitude, afin de paraître innocent.
À l'inverse, un joueur tentant un bluff tentera instinctivement de tout faire pour ne pas paraître nerveux, stressé ou peu sûr de lui. Quelqu'un qui bluffe (ou tout simplement un joueur avec une main un peu faible) veut à tout prix éviter d'avoir une attitude qui pourrait laisser penser qu'il est vulnérable.
La voilà la différence, et elle est loin d'être négligeable. Un spécialiste des interrogatoires pourrait penser que les sentiments humains se manifestent de la même façon à la table de poker que dans la salle d'interrogatoire. C'est oublier que le poker est un environnement bien à part avec ses propres règles.
Penchons-nous sur quelques exemples tirés de Read 'Em and Reap dans lesquels cette idée est exploitée.
Serrer les lèvres, se mordiller la lèvre
D'après Navarro, avoir les lèvres serrées et se mordiller la lèvre indiquent qu'une personne est stressée. Bien que cela soit vrai en général, il est très rare de voir ce genre de comportement à la table de poker lorsqu'un joueur est en situation d'inconfort, et encore moins s'il essaye de bluffer.
En réalité, dans mon livre Reading Poker Tells, je dis même qu'un joueur ayant les lèvres serrées a probablement une main forte. Instinctivement, les joueurs en position de force auront tendance à vouloir paraître plus faibles et peuvent donc se mordiller la lèvre ou garder les lèvres serrées.
C'est une des façons dont se manifeste (souvent inconsciemment) la volonté des joueurs en position de force d'apparaître plus faibles. Ils auront également tendance à s'avachir dans leur siège, à secouer la tête et à faire le « tss, tss » si typique de Mike Caro, etc.
Et si parfois vous remarquez effectivement un joueur aux lèvres serrées, c'est le plus souvent à un moment où cela n'a pas vraiment d'importance, par exemple au moment où le joueur regarde pour la première fois ses cartes et se prépare à se coucher ou lorsqu'un joueur hésite au moment du dernier tour entre suivre et se coucher.
Se ronger les ongles
Navarro indique également qu'un joueur qui se ronge les ongles est probablement en situation de stress et que cela indique une « main médiocre voire faible ».
Encore une fois, si cette remarque est valable dans la vie de tous les jours, vous avez quand même peu de chances de voir un joueur impliqué dans un gros pot, qu'il soit en position vulnérable ou en train de bluffer, se ronger les ongles.
Comme dans le cas de l'exemple précédent, la plupart des gens sont conscients que se ronger les ongles est un fort indicateur de stress, alors pourquoi le feraient-ils lorsqu'ils sont en mauvaise position ? (Par ailleurs, je me suis aussi demandé avec quel genre de personnes Navarro joue au poker pour voir ce genre de comportements fréquemment).
Les comportements pacifiants
Navarro liste un certain nombre de « comportements pacifiants » qui trahiraient une personne stressée.
Ces attitudes qui permettent au joueur de se calmer incluent : se masser le cou, le front, expirer profondément les joues gonflées, se toucher le visage, jouer avec le lobe de l'oreille, siffler et essayer de se donner de l'air (en desserrant par exemple sa cravate).
Une nouvelle fois, on imagine aisément un criminel agissant ainsi pendant un interrogatoire pour atténuer sa nervosité. On a un peu plus de mal à imaginer un joueur de poker, et encore moins un joueur en train de bluffer, faire de même.
Tout simplement parce que tous ces comportements sont beaucoup trop évidents et connus. Tout joueur de poker ayant un minimum d'expérience les évitera instinctivement lorsqu'il a une main assez faible. Là encore, il est même plus probable qu'un joueur ayant une main forte se comporte ainsi pour feindre une certaine nervosité et/ou déception.
En résumé : le poker est un environnement unique
Il est possible qu'à des limites très basses et en jouant contre des adversaires débutants certains des comportements listés ci-dessus apparaissent et puissent effectivement être exploités. Mais en règle générale, vous avez peu de chances de voir des joueurs en position difficile se comporter ainsi.
Je suis convaincu que si vous analysez les milliers d'heures de poker télévisé disponibles sur Internet, vous ne verrez jamais un joueur qui bluffe ou en position vulnérable agir ainsi au beau milieu d'une main.
Il me semble que l'erreur que commet Navarro est assez typique des experts en science du comportement qui essayent de transposer leurs connaissances au poker.
Navarro avait déjà signé un livre consacré au langage corporel (What Every Body Tells) avant qu'il rencontre Phil Hellmuth et Annie Duke, trouve un nègre et publie Read Em' and Reap.
Les gens se sont sûrement dit qu'entre son expérience au sein du FBI, son expertise en langage corporel, quelques termes de poker apportés par Marvin Karlins et l'image de Phil Hellmuth, ils arriveraient sûrement à sortir un livre de référence.
Cependant, je crois que les problèmes que j'ai soulevés dans cet article montrent bien que le poker est un univers complètement à part, sur lequel on ne peut pas se contenter de plaquer des principes généraux de science du comportement.
Quelques livres en français sur les tells :
- Poker Tells, lisez dans leurs pensées (Navarro/Hellmuth)
- Poker Code (Montmirel)
D'autres articles sur les tells :
- Le top 5 des tells de poker en ligne
- Les 5 tells physiques à éviter et comment réduire vos tells
- Identifier les faux tells
- Stratégie : le tell inversé
- 10 tells sur lesquels vous appuyer
- Comment Maria Ho a utilisé un tell mythique aux WSOP 2007
- Les tells expliqués par les pros : Chris Moneymaker
Pour aller plus loin :