« Je suis l’as de trèfle qui pique ton cœur, Caroline... » Qui ne se souvient pas de cette superbe phrase de MC Solaar citant les quatre catégories de cartes de nos jeux ?
Officiellement appelées enseignes ou couleurs (en anglais on trouvera suits, seeds ou encore pips), cette catégorisation facilite l’identification des différentes cartes. La plupart du temps chaque carte porte ainsi un symbole pour indiquer à quelle enseigne elle appartient.
Sauf mention contraire dans une règle de jeu et certains cas très spécifiques (par exemple au Stud), toutes les couleurs se valent et il n’existe donc aucune hiérarchie entre elles.
En France, les enseignes des jeux de cartes classiques sont cœur et carreau (en rouge) et trèfle et pique (en noir). Mêmes si ces quatre couleurs sont les plus utilisées dans le monde actuellement, vous trouverez souvent des variantes locales en fonction du pays dans lequel vous jouerez aux cartes.
Il faut savoir que ces quatre couleurs n’ont pas toujours été la norme, même dans notre propre pays. Si les hypothèses sur l’origine des couleurs sont très nombreuses, elles ne sont pas toujours vérifiables historiquement ; mais elles semblent logiques et pertinentes et souvent très intéressantes. Après avoir ainsi essayé de percer le mystère de l’origine des figures des jeux de cartes français, nous vous proposons cette fois-ci de mener l’enquête pour nous aider à mieux comprendre les origines des motifs présents sur les meilleures cartes à jouer.
Quelques faits historiques
Les historiens pensent que les toutes premières cartes au format papier sont chinoises et qu’elles datent environ du IXème siècle. Elles seraient elles-mêmes dérivées soit d’un jeu de dés divinatoires indiens soit d’un système monétaire chinois.
Les motifs représentés symbolisaient divers arrangements de pièces de monnaie rondes. Elles étaient représentées soit individuellement, soit en « paquets ordonnés » (un peu comme nos rouleaux de pièces actuels), qui pouvaient fort bien être pris pour des bâtons par les non-habitués. Le papier étant un matériau fragile, on n’a jusqu’à présent retrouvé aucune trace d’un tel jeu…
Mais c’est justement grâce à un jeu complet de 56 cartes retrouvé miraculeusement intact à Istanbul (en 1938, au palais de Topkapi) que l’on a pu obtenir une première datation d’un jeu de cartes : celui-ci remonterait au XIIème - XIIIème siècles et serait originaire du Sultanat mamelouk (Egypte et Syrie actuelles). Les cartes de ce jeu étaient réparties de manière égale en 4 enseignes : coupes, pièces, épées et bâtons de polo.
Dans l’ouest de l’Europe, les premières cartes à jouer font leur apparition dans la seconde moitié du XIVème siècle (c’est en 1371 qu’on trouve la première référence historique à un jeu de cartes à Venise) et se répandent rapidement, à tel point que l’Église et les autorités civiles les interdisent tout aussi rapidement, que ce soit à Bâle, à Florence ou à Ratisbonne. Elles sont alors jugées « contraires à l’usage modéré des passions. »
Une évolution permanente des couleurs
A ce moment-là, les enseignes présentes sur les cartes ont déjà évolué vers les enseignes dites latines représentant des bâtons (le type masse de combat remplace le bâton de polo, sport inconnu à l’époque en Occident), deniers (ou boucliers ou écus), épées (ou cimeterres)et coupes. Certains y voient les « accessoires » des Sarrasins et des Croisés. Il est intéressant de noter que ces motifs sont toujours présents sur les jeux dits espagnols utilisés en Italie, en Espagne et dans le sud-ouest de la France.
Puis au XVème siècle, les fabricants de cartes allemands testent différents systèmes d’enseignes destinés à remplacer les couleurs latines. Plusieurs courants voient alors le jour : en Suisse, vers 1450, apparaissent les boucliers, roses, glands et grelots. En Allemagne, vers 1460, les cœurs et les feuilles remplacent respectivement les roses et les boucliers des jeux helvètes. Enfin, les cartiers français auraient développé vers 1480 des cartes représentant ces fameux trèfles, cœurs, carreaux et piques.
Les historiens s’accordent à dire que ces motifs découlent d’une nécessité de simplification des enseignes pour garantir un processus de production reproductible, simple et moins coûteux : Quatre formes simples, deux rouges et deux noires, faciles à reconnaître et à identifier par toute la population, quel que soit le niveau d’éducation.
Cela est aussi tout à fait adapté pour la production en masse de cartes par xylographie (procédé qui consiste à imprimer avec des caractères de bois ou avec des planchettes de bois, dans lesquelles sont taillées les lettres ou des dessins).
Ces innovations techniques permettent aux cartiers français (installés soit à Rouen soit à Lyon) de s’imposer sur le marché européen puis mondial. Les cartes se diffusent alors au gré des migrations, d’abord vers l’Angleterre puis vers le Nouveau Monde, ce qui explique que ces cartes françaises soient aussi les ancêtres des motifs anglo-américains actuels.
Des utilisations diverses au quotidien
Voyons maintenant plus en détail tous les secrets, les légendes et le côté parfois mystique qui peuvent se cacher derrière les quatre couleurs de notre jeu français actuel.
Tout d’abord, il semblerait que les cartes aient pu être utilisées dès le Moyen-Age comme support d’enseignement : en effet les dessins variés et soignés auraient servi à faire connaître la biologie, les blasons, la géographie, la faune (certains jeux représentaient sangliers, ours, lions, chiens de chasse, lièvres, oiseaux), la flore (roses et autres fleurs) et des objets du quotidien (coupes, pièces, trompettes, épées).
Après la Révolution Française, les cartes servent à nouveau à instruire le peuple sur des points comme le calendrier révolutionnaire, la déclaration des droits de l’homme ou le nouveau système métrique. Pour l’historien Jean Tulard « les collections de cartes nous offrent un raccourci de l’histoire de la Révolution »
Ensuite, il ne faut pas écarter les anciennes philosophies, comme la cosmologie et la théorie d’Aristote, qui s’appuient sur les éléments constitutifs de tout corps. Est-ce un hasard si les enseignes des jeux de cartes sont au nombre de quatre ? comme les quatre éléments - Eau, Air, Feu et Terre - qui traduisent des propriétés métaphysiques (surtout dans les jeux de tarot du XVème siècle). On peut également faire le lien avec les quatre saisons. Les jeux les plus courants comportent 52 cartes… soit une carte pour chaque semaine de l’année. Quant aux 13 cartes de chaque suite, ne pourrait-on pas y voir les 13 cycles annuels de la lune ? Troublant non ?
Une représentation de la société
Enfin, et c’est la théorie la plus répandue, il semblerait que les enseignes européennes soient une représentation des différentes classes de la société.
Pour certains historiens, c’est Étienne de Vignolles (1390-1443) qui serait à l’origine du jeu de cartes à 4 enseignes afin de pouvoir les utiliser dans un jeu qu’il aurait inventé : le jeu de Piquet (jeu de chevaliers basé sur des symboles représentants la guerre et des centres de pouvoir). D’ailleurs ce n’est peut-être pas non plus un hasard si ce personnage, premier chevalier du roi Charles VII qui a combattu aux côtés de Jeanne d’Arc, est plus connu sous le nom de La Hire… le valet de cœur !
Mais l’association sans équivoque entre les couleurs et les classes de la société, est plus tardive et remonte au début du XVIIIème siècle, sous Louis XIV. On la doit à Claude-François Ménestrier, un jésuite historien à l’origine de la science héraldique, autrement dit l’étude complexe des blasons. Il considère que « le jeu de cartes représente un état politique composé de quatre corps » (les ecclésiastiques, la noblesse militaire, les bourgeois et les paysans).
Enfin, pendant la Révolution Française, sur les cartes qui étaient surtout devenues des instruments de propagande ou d’éducation républicaine, on associait les enseignes à des valeurs révolutionnaires et des vertus républicaines - Tempérance, Prudence, Justice et Force…
Enfin, petite anecdote amusante qui ravira les amateurs de jeux vidéo : les couleurs des cartes à jouer peuvent être associées à la classification des joueurs obtenue grâce au « test de Bartle ». Cette classification (inventée en 1996 par Richard Bartle) se base sur une trentaine de questions pour distinguer quatre personnalités de joueurs : ceux qui recherchent le prestige suite à la réalisation d’une tâche (les Achievers), ceux intéressés par les découvertes (les Explorers), ceux qui sont attirés par les échanges avec les autres joueurs (les Socializers) et ceux uniquement motivés par la compétition (les Killers).
Voyons maintenant ce qui se cache derrière chaque symbole !
Ce que signifie le cœur (ou coupe)
Initialement, c’est une coupe qui figurait sur les cartes. On peut aussi y voir un calice, qui est un « vase sacré de la liturgie chrétienne, présentant la forme d'une coupe évasée portée sur un pied élevé ». De là à faire le lien avec le Saint Graal, il n’y a qu’un pas…
Sans équivoque, la coupe est donc le symbole du clergé, de l’église. Comme les ecclésiastiques étaient considérés comme des gens de cœur, de saints hommes vertueux et courageux, le symbole du cœur leur a été naturellement associé. N’oublions pas qu’à certaines époques, le clergé représentait le niveau social le plus élevé d’une société.
Du point de vue de la symbolique ésotérique, le cœur est associé à l’élément Eau, aux émotions, à la famille, aux relations, aux cérémonies et à la spiritualité.
Dans les jeux vidéo, le cœur est associé au joueur dit « socialisateur » (Socializers), c’est-à-dire celui qui apprécie les jeux vidéo pour leur aspect social ou pour leurs interactions avec les autres joueurs.
Ce que signifie le carreau (ou losange)
Il semblerait que le motif initial était une pièce de monnaie (ronde), ou un écu (pièce de monnaie du Moyen-Age, mais aussi bouclier orné des armoiries d’un prince) : Cet argent symbolise évidemment la richesse. A cette époque, c’est souvent la classe marchande qui est la plus riche.
En anglais, carreau se dit « diamond », ce qui signifie aussi diamant, autre symbole indéniable lié à la valeur. La forme du carreau rappelle la forme des dalles de pavage, qui symboliseraient elles aussi le groupe des artisans commerçants, pourvoyeurs de biens matériels.
Mais le carreau peut également représenter une tête de flèche, qui symbolise les archers (des vassaux du roi).
Du point de vue de la symbolique ésotérique, le carreau est associé à l’élément Terre, au matériel, à l’argent, à la propriété, au commerce (ainsi qu’à la santé et au temps).
Le test de Bartle attribue le carreau aux joueurs « qui réussissent » (Achievers), qui aiment engranger des points, passer des niveaux ou relever les défis qui se présentent dans leur partie.
Ce que signifie le trèfle (ou bâton)
A l’origine, c’est un bâton qui apparaissait sur les cartes : On a évoqué le bâton de polo, qui s’est rapidement transformé en bâton de combat, ou en masse, du fait de la méconnaissance de ce jeu en Occident. Le terme anglais pour bâton est « club », mais il signifie également « trèfle ».
Ce symbole peut donc être interprété de deux manières différentes : le bâton pour marcher et le gourdin, arme caractéristique de la classe paysanne, à qui le port de l’épée était interdit ou bien le trèfle (le gland dans les jeux allemands et suisses), associé à l’agriculture et donc aux travailleurs de la terre.
Du point de vue de la symbolique ésotérique, le trèfle est associé à l’élément Feu, au travail, aux projets, à la créativité (et à la sexualité).
Dans le test de Bartle, les joueurs à qui l’on attribue le trèfle aiment la compétition et prennent plaisir à détruire physiquement l’environnement virtuel du jeu vidéo. En d’autres termes, ce sont les « tueurs » (Killers).
Ce que signifie le pique (ou épée)
Le pique (ou spade en anglais) est dérivé du mot grec puis latin « spatha » signifiant épée longue. Les épées représentent la justice. Elles permettaient aussi d’identifier la noblesse à pied (par opposition à celle qui possédait une monture) et la noblesse provinciale. Certains nobles étaient armés de piques. Comme le motif du pique symbolise entre autres les pointes des lances (ou les piques elles-mêmes), il représenterait donc aussi les chevaliers. Il est intéressant de noter que « spade » signifie en outre le tranchant de la pelle ou de la bêche (qui sont des outils de jardinage).
Du point de vue de la symbolique ésotérique, le pique est associé à l’élément Air, à la résolution de problèmes, à la politique, aux lois, au gouvernement (mais aussi à l’intellect, à la psychologie, à la paperasse et aux études !)
Enfin, le test de Bartle associe le pique aux joueurs qui adorent creuser autour d’eux et découvrir de nouvelles zones, ou bien qui cherchent à en savoir plus sur des bugs ou des messages secrets cachés dans les jeux (easter eggs). Vous aurez compris que ceux-ci sont bien des explorateurs « Explorers ».
Onze siècles plus tard, elles fascinent toujours !
Vous l’avez vu, les cartes à jouer n’ont cessé d’évoluer au cours des époques ; elles ont servi (ou desservi) de nombreuses causes et sans doute véhiculé de nombreuses symboliques. Alors, il n’est sans doute pas sûr que les symboles français soient devenus si populaires uniquement parce qu’ils étaient faciles à identifier et à reproduire…
Il est indéniable que les interprétations romantiques des cartes, faites par les Français en particulier, ont contribué au cours des siècles à renforcer leur aura de mystère et à développer cette sorte de mythologie qui les entoure.
Encore actuellement, les cartes peuvent être utilisées de diverses manières, que ce soit pour communiquer avec vos amis, pour escroquer vos ennemis, pour étonner des inconnus ou même pour prédire l’avenir !
Simples et complexes à la fois, peu encombrantes et faciles à transporter, parfois pleines de couleurs et de détails mais toujours emplies de symbolismes… : Les cartes fascinent toujours autant que lors de leur apparition, et ce, même onze siècles après leur invention !
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