Vous vous êtes déjà demandé comment les grands joueurs de poker réussissent des coups qui semblent géniaux mais difficilement explicables ?
Nous oui. Alors lorsqu’on a l’opportunité de demander aux meilleurs joueurs comment ils y arrivent, on la saisit.
Lors de l’EPT Barcelone 2013, Jake Cody s’est retrouvé dès le Jour 2 face à l’étoile montante du poker canadien Xuan Liu.
À cette époque, Liu comptait déjà 11 places payées depuis sa table finale du PCA 2012. Cody savait donc qu’elle n’était pas là par hasard.
Après avoir relancé en première position, il a parfaitement démontré que même les joueurs hyper agressifs peuvent jouer serré s’il le faut.
Une question d’instinct
Alors comment un joueur aussi agressif que Jake Cody a-t-il réussi à se réfréner ? Il nous l'explique :
« Pour être honnête, quand j’arrive à lire un adversaire, c’est plus une question d’instinct. Il n’y a pas ces tells qu’on voit dans les films, avec un joueur qui se gratte le nez quand il bluffe.
Quand tu joues assez longtemps avec quelqu’un et que tu sens qu’il se passe quelque chose sur une main en particulier, c’est qu’ils ont soit une main excellente, soit très faible. Il n’y a pas de juste milieu. Soit ils bluffent, soit ils ont de quoi gagner.
On jouait l’un contre l’autre depuis quelque temps, et je savais qu’elle était assez serrée pré-flop, du coup je ne pensais pas du tout qu’elle rentrerait dans le coup dans cette situation. Et le tableau touchait parfaitement son éventail de call pré-flop.
Si elle m’avait juste suivi, j’aurais probablement perdu plus tard, mais sa relance au flop m’a perturbé. Elle trahissait trop sa main.
Elle aurait pu faire ça avec A-Q ou un brelan, mais c’est bizarre de faire ça avec des as, ça décourage même les grosses mains comme A-K.
Il n’y avait pas énormément de mains qui pouvaient me pousser à continuer, mais j’avais exactement la main dont elle pouvait tirer profit. »
Savoir se coucher
« C’était une accumulation de petites choses. J’avais misé 2 200 jetons et elle avait relance de 6 700. Une relance plutôt élevée.
J’ai repensé à ce que j’avais lu avant le flop et quelle stratégie elle pourrait employer contre moi. J’ai cette image de joueur un peu fou, donc en général les joueurs ont tendance à ne pas trop me suivre s’ils n’ont pas de super main.
Avec un tirage comme celui-ci, sa relance donnait vraiment l’impression qu’elle voulait me faire payer, plutôt que me faire peur avec un bluff. Me coucher était un choix assez évident en fait.
Si je m’en souviens bien, je pensais qu’elle avait un brelan plutôt que les as. Mais si elle relance comme ça pour des as, elle le ferait certainement pour un brelan aussi. »
Les mains et le souffle
« Les facteurs qui m’ont poussé à me coucher sont :
- nos mises pré-flop ;
- la façon dont elle me voit et la façon dont je la vois ;
- la taille de sa relance ;
- et quelques tics.
Il n’y a rien de très précis, mais une impression instinctive. Lire les gens, c’est en grande partie dans l’inconscient, c’est pour cela que c’est difficile à expliquer.
Cet instinct, on le développe en prêtant attention à tous les coups. C’est comme ça qu’on s’habitue au comportement des gens. C’est d'ailleurs souvent plus dans les mains que sur le visage. La plupart des joueurs sont concentrés sur leur visage, quitte à en oublier leurs mains.
Tout le monde veut avoir une “poker face” mais oublie le reste de son corps. C’est surtout vrai pour les amateurs, pas les pros comme Xuan Liu, même si les pros aussi ont des tells.
Les mains et le souffle sont les tells les plus efficaces. La respiration qui s’accélère, c’est souvent signe d’excitation par exemple.
Mais il faut aussi garder à l’esprit que chacun est unique, on ne peut pas faire de généralisation sur les tells. Un même mouvement peut signifier des choses complètement différentes chez deux joueurs.
Je regarde attentivement chaque joueur de la table pour étudier leurs gestes. Je ne peux évidemment pas me focaliser complètement, mais on peut facilement arriver à observer deux joueurs sur une même main pour obtenir le plus d’informations possible.
Je prends même des notes quand il se passe quelque chose d’intéressant.
Je pense honnêtement que si j’ai du succès dans le poker, c’est parce que j’ai trouvé l’équilibre entre théorie et instinct. Je suis plus matheux que les gens ne l’imaginent.
Je suis convaincu que tout le monde peut apprendre à détecter les tells. Certains ont un talent naturel pour ça, mais tout le monde peut apprendre et progresser.
D’ailleurs, personnellement je dirais que j’ai plus appris avec l’expérience que grâce à un quelconque talent naturel. Je lis mes adversaires bien mieux qu’il y a cinq ans.
Même si normalement en poker tu es forcément meilleur en tout qu’il y a cinq ans. »
- Retrouvez aussi le premier volet de notre série des Tells expliqués par les Pros avec Chris Moneymaker