Maria Konnikova a déjà écrit deux livres scientifiques très populaires sur le fonctionnement de notre cerveau et la manière dont il peut être trompé.
« Mastermind: How to Think Like Sherlock Holmes » et « The Confidence Game: Why We Fall for It... Every Time » ont rencontré énormément de succès dans le monde entier.
Maria Konnikova est également diplômée de Harvard, avec mention, et écrit régulièrement pour le New York Times.
Après s’être plongée dans la littérature, elle utilise désormais ses compétences psychologiques (associées au talent de certains des meilleurs joueurs de poker du monde) pour maîtriser le poker et son utilité en tant que métaphore de la vie.
PokerListings l’a récemment rencontrée en plein travail à Monaco pour en apprendre un peu plus.
Maria, présente-nous ton nouveau projet.
L’idée c’est de suivre mon parcours avec Erik Seidel, de zéro à héros, enfin j’espère. Je pars avec zéro connaissance en poker.
J’utilise le No-Limit Hold’em comme une métaphore de la vie. Je veux déterminer quelle est la part de la chance et du talent. Cette question me fascine depuis très longtemps.
On sait que le processus de prise de décisions est limité, mais il est possible de l’améliorer.
La plupart des gens parlent des choses qui se passent mal, pas de la manière dont on peut les améliorer. C’est comme ça que j’en suis venue au poker.
C’est donc la psychologie qui t’a amenée au poker.
Oui. Quand j’ai commencé à me renseigner sur le poker, j’ai compris que le No-Limit Hold’em était la métaphore parfaite pour la vie : dans le poker comme dans la vie, tu peux aller à tapis à n’importe quel moment.
Après, il y a deux grands types de joueurs de poker. Les matheux et les psychologues.
Les maths sont en vogue en ce moment, la plupart des jeunes joueurs sont des spécialistes des statistiques. Mais quand je me suis lancée dans l’aventure, je savais que je voulais un coach qui pourrait s’appuyer sur ma force : la psychologie.
Impossible que je devienne un génie des maths en un ou deux ans, donc il fallait pouvoir s’appuyer sur autre chose. Je voulais aussi quelqu’un de sympa, parce que je connais beaucoup de joueurs qui sont assez imbuvables.
C’est vrai qu’en cherchant « gentil » sur Google on pourrait tomber sur Erik Seidel.
(rires) En fait j’ai regardé beaucoup de vidéos de poker, et c’est comme ça que j’ai découvert Erik. Alors évidemment, je n’ai pas tout compris à son jeu, mais j’ai senti que c’était le genre de joueur qu’il me fallait.
Je l’ai contacté et il a accepté. Je pense que c’est aussi un défi pour lui, et que ça lui plaît.
Cette vision du poker comme une métaphore de la vie n’est pas nouvelle. Quel est ton angle ?
C’est vrai que ça n’a rien de nouveau. Mais moi, je l’aborde en tant que débutante totale. J’arrive dans le poker avec une perspective totalement fraîche.
Maintenant, j’adore le poker. Je trouve que c’est un vrai défi stratégique et intellectuel. Et puis je suis spécialiste de la prise de décision. Je ne connais aucun autre psychologue qui ait fait ça.
Le poker devrait-il être obligatoire dans les études de psychologie ?
En psychologie et dans d’autres domaines ! Non seulement je suis devenue passionnée, mais plus je joue, plus je me rends compte que c’est un super outil pour apprendre aux gens à prendre de meilleures décisions dans la vie.
J’ai même expliqué à certains politiques que le poker devrait être enseigné à l’école primaire, parce que ça permettrait aux enfants de comprendre comment fonctionne la prise de décisions.
Mais ils sont mineurs, donc c’est impossible.
Le problème, c’est que les gens continuent de voir le poker comme un jeu de hasard, alors que ce n’est pas le cas. J’ai vraiment envie de dissiper ce mythe.
Oui, on y joue souvent dans les casinos, blablabla. Mais le fait est que le poker n’est PAS un jeu de hasard.
Je suis aussi persuadée que le poker est bien plus efficace que les échecs pour apprendre la prise de décisions : comme le poker, la vie est un jeu à information incomplète. Aux échecs, l’information est complète.
Et puis la chance n’a aucune place dans les échecs, non ?
Non, il y a un peu de chance dans les échecs, comme dans la vie. C’est vrai qu’il y a toujours une « bonne » décision aux échecs. Mais la chance peut se manifester sous d’autres formes, comme le fait qu’un des joueurs soit fatigué, etc.
Au poker, c’est différent : l’information est incomplète. Et c’est pour ça que les échecs ont été résolus par les ordinateurs, mais pas le No-Limit Hold’em.
Est-ce que tu es ici pour faire un peu de recherche « sur le terrain » pour ton livre ou pour progresser ?
Les deux ! L’objectif c’est de progresser, parce que c’est ce qui permettrait de valider mon concept.
Si je ne progresse pas, ça veut dire que le coaching ne fonctionne pas.
C’est censé être un cercle vertueux : utiliser la psychologie dans le poker, pour pouvoir ensuite améliorer sa prise de décisions en dehors du poker.
Le cerveau humain n’est pas doué en statistiques, mais il apprend très bien par l’expérience. Si vous donnez des informations statistiques à quelqu’un, il n’apprendra rien. Avec l’expérience, si.
Mais dans la vie, nos expériences sont souvent biaisées. Par exemple, moi je vis à New York. Essayez de dire à quelqu’un qui a vécu le 11 septembre que le terrorisme n’est pas une énorme menace, parce qu’il a plus de chance de mourir en glissant dans sa baignoire.
Vous pourrez donner autant de statistiques que vous voudrez, elles ne seront jamais acceptées, parce que les événements ont beaucoup plus d’impact.
Le poker permet de vous forcer à prendre en compte l’échantillonnage et à apprendre le rapport entre compétences et hasard, qui est très similaire à celui qu’on vit au quotidien.
Comme se passe ta progression ? Tout le monde est mauvais au début, est-ce que tu as dépassé ce stade ?
Disons que plus j’apprends, plus je me rends compte que je suis nulle. Au début, je trouvais que je ne jouais pas si mal que ça, mais plus j’apprends des choses, plus le jeu devient complexe, et plus les décisions ont des ramifications... Comme dans la vie, quoi !
En termes de résultats, j’ai participé à quatre tournois, pour deux places payées. Donc c’est plutôt pas mal. Mon coach est content, mais lui il fait des tournois à 100 000 €, alors on ne se croise pas tant que ça.
Si j’arrive à maîtriser un certain niveau, je passerai au suivant.
Maintenant que tu connais un peu mieux le milieu du poker, est-ce que tu as rencontré d’autres gens qui t’ont aidée ?
Surtout les joueurs qui sont proches d’Erik, comme Fedor Holz, Steve O’Dwyer, Dan Colman, Jason Koon, Phil Galfond, Andrew Lichtenberger... Ils m’ont tous aidée, de quelque manière que ce soit !
Je suis consciente d’avoir l’opportunité de travailler avec des gens extraordinaires, mais grâce à eux je me rends compte que je suis encore nulle !
Il paraît que plus les mises sont élevées, plus les gens sont sympas.
Je suis plutôt d’accord, oui. Surtout que moi j’ai joué avec quelques connards, pour être honnête. Aux niveaux au-dessus, les gens sont bien plus sympas.
Est-ce que tu vas arrêter de jouer quand ton livre sera fini ?
Je ne peux pas répondre de manière catégorique, mais j’ai tendance à penser que je continuerai à jouer, parce que c’est un jeu fascinant et que je n’ai aucune raison d’arrêter.
Je ne continuerai pas à jouer à plein temps comme maintenant, mais dans la mesure où je considère vraiment que ça aide à mieux réfléchir, pourquoi j’arrêterais ?