Premier épisode d'une nouvelle série sur les grands défis qui ont marqué l'histoire du poker en ligne. Honneur à notre Français ElkY, et son record du nombre de sit-and-go en simultané.
En 2009, Betrand Grospellier s'attaquait à un record de SnG lors de l'EPT Grand Final à Monte-Carlo. L'objectif ? Jouer autant de SnG que possible en 60 minutes.
La Mission : Jouer un maximum de SnGs, tout en faisant un profit. |
Détenteur du Record : Bertrand Grospellier (FRA) |
Date: 28 Avril 2009 |
Règles et objectifs du défi
ElkY avait 60 minutes pour lancer le plus de SnG possible. Les tournois étaient tous des SnG turbo à 6,50 $.
Une fois l'heure écoulée, ElkY a pu terminer les tournois entamés. Ceux-ci n'ont été validés que s'il avait réalisé un profit. Aucun profit minimum n'a été fixé, 0,01 $ était suffisant.
Le défi en quelques chiffres
- Nombre de SnG joués : 62
- Argent investi : 403 $
- Retour sur investissement (ROI): 5,9%
- Profit après 32 SnG : 25 $
- Profit après 40 SnG : 37 $
- Profit après 57 SnG : 12 $
- Profit après 62 SnG : 23,90 $
L'histoire
Cette initiative, ce sont les pros de la team PokerStars eux-mêmes qui l'ont lancée et qui ont réussi à convaincre leur sponsor. Et ils tenaient absolument à ce que Grospellier les représente.
À vrai dire, ElkY avait l'air un peu intimidé par l'ampleur du pari. Bien que cet ancien joueur professionnel de Starcraft ait l'habitude de prendre plus de 200 décisions par minute, il ne semblait pas prêt à parier sur lui-même.
Son coéquipier George Danzer a d'ailleurs proposé à ElkY de parier 10 000 dollars sur sa défaite, un pari que ElkY a refusé.
Grospellier s'est donc installé derrière ses quatre moniteurs 24'', de quoi jouer sur 36 tables à la fois, un rythme qu'il n'a finalement pas pu tenir d'ailleurs.
Il s'est avéré que la partie la plus difficile du défi pour le Français a été de déterminer combien de tables il pouvait gérer à la fois tout en réalisant des bénéfices.
Hevad 'RainKhan' Khan, lui-même un spécialiste du multi-tables, a assisté à la performance. Il commente :
« Au moment où ElkY avait encore toutes ses tables ouvertes, on sentait bien que ses décisions n'étaient pas forcément les meilleures. Vers la fin, lorsqu'il avait moins de tables ouvertes, il arrivait à gagner beaucoup plus d'argent. Même s'il a bel et bien réussi à terminer le défi en ayant réalisé des bénéfices, il aurait pu se simplifier la vie en démarrant avec moins de tables. »
Khan a lui aussi détenu ce record, avec 43 SnG en une heure. À l'époque, il jouait à ce rythme-là jours et nuits depuis trois ans.
« Avec plus de tables, le risque de perdre de l'argent aurait été trop grand, même si ce n'était pas vraiment l'objet du défi. »
Au terme des 60 minutes, ElkY avait disputé 62 SnG à 6,50 $ (pour un investissement de 403 dollars). Ses bénéfices s'élevaient à 23,90 $.
D'ailleurs, s'il n'avait pas remporté son tout dernier SnG pour 27 $, il n'aurait tout simplement pas réussi le challenge et donc pas validé son record du monde.
Le rakeback compris dans son contrat de joueur professionnel (100%, soit 50 cts par tournoi) lui a d'ailleurs rapporté plus d'argent que les tournois eux-mêmes, avec 31 $.
Autant dire qu'en tant que joueur amateur, vous ne devriez probablement pas tenter de reproduire cet exploit chez vous. Il vaut mieux que vous trouviez votre propre zone de confort, le nombre de tables que vous pouvez mener de front tout en gagnant de l'argent. Gardez bien à l'esprit que l'essentiel, c'est l'argent que vous gagnez, pas le nombre de tables.
La vidéo PokerListings tournée à l'occasion de ce défi :
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ElkY : « C'est difficile de trouver ce qui ne tourne pas rond dans mon jeu »
(interview publiée en avril 2014)
Rencontré à San Remo en avril, Bertrand Grospellier a évoqué avec nous sans détour ses résultats un peu moins bons qu'avant, et nous parle de l'une de ses spécialités qui a contribué à sa renommée, le mass multi-tabling.
Bertrand, dernièrement, tu n'es pas aussi performant qu'avant. Comment expliques-tu cela ?
C'est toujours difficile à expliquer. C'est en partie dû à la variance, mais c'est aussi parce que mon jeu fonctionne moins bien. J'essaye de m'adapter.
Peut-être que les changements que tu as apportés à ton jeu ne sont pas les bons ?
Non, je n'ai pas changé grand chose, mais je dois tout faire pour « suivre » le jeu, c'est lui qui est toujours en train d'évoluer.
Autrefois, on te voyait comme le gars qui justement faisait évoluer le jeu et poussait les autres joueurs à s'adapter.
C'est vrai, mais ça aussi ça change. Entre le montant des buy-ins et le niveau des joueurs, c'est difficile de trouver ce qui ne tourne pas rond dans mon jeu.
Parlons un peu du poker en ligne. Tu étais l'un des tout premiers joueurs à te lancer dans le mass multi-tabling. Est-ce que l'idée était non pas de battre le système, mais d'arriver à égalité, "à jeu", et de gagner de l'argent grâce au rakeback ?
Non, pour moi c'était différent. Le niveau des parties n'était pas aussi élevé qu'aujourd'hui, donc c'était plus facile de jouer sur plusieurs tables. Et puis surtout, je voulais être le premier joueur Supernova sur PokerStars. Ils venaient de lancer le concept, et je me suis dit, merde, je veux être le premier.
Ensuite, ça a été la même chose avec la Supernova Elite. Même si c'était beaucoup plus difficile ! En 2006, je n'avais mis qu'une dizaine de jours pour atteindre le rang Supernova. Après ça, PokerStars m'a sponsorisé et j'ai dû aller dans les Caraïbes et participer à d'autres tournois.
Du coup, il fallait que je trouve un autre moyen de devenir le premier membre Supernova Elite : jouer plus de tables quand je jouais en ligne. Je pense qu'à l'époque, je jouais déjà sur plus de tables que la plupart des gens. C'était plus facile pour moi que pour beaucoup d'autres joueurs grâce à mon expérience à Starcraft.
Quand je jouais à Starcraft, je faisais environ 240 mouvements par minute, mais il faut savoir que les meilleurs joueurs coréens arrivent à en faire 400. Il faut être très rapide et avoir une excellente coordination œil-main pour pouvoir s'en sortir.
Quand tu joues beaucoup de sit-and-go par exemple, la plupart des décisions sont assez faciles à prendre : une grande partie du jeu se passe avant le flop. En SnG, tu peux prendre des décisions très rapides grâce à l'ICM, mais les choses se compliquent beaucoup si tu joues moins de tables face à de très bons adversaires.
Ces temps-ci, je joue moins de tables à la fois qu'avant, mais j'aime bien panacher entre les SnG, les heads-up et les tournois plus classiques.
Ma concentration reste à 100% jusqu'à 10 tables de tournoi. Au dessus, c'est difficile de suivre ce qu'il se passe à chaque table.
Quand tu dois prendre 45 décisions par minute, est-ce que c'est encore du poker ou plutôt un jeu de stratégie où il s'agit de cliquer au bon endroit sur l'écran ?
Non, c'est toujours du poker. Il faut prendre des décisions en tant que joueur de poker, mais c'est vrai qu'il y a aussi une dimension stratégique parce qu'il faut réfléchir très rapidement et qu'il faut parfois savoir faire l'impasse sur certaines opportunités quand tu n'as pas assez de temps pour prendre la meilleure décision possible.
Plus tu joues de tables, plus tu te couches souvent pour éviter les situations compliquées. Mieux vaut attendre une situation moins risquée.
On peut également envisager le SnG différemment pour accélérer les choses : par exemple, pas besoin d'attendre que les blinds atteignent 50/100 pour jouer. Les blinds augmentent rapidement, donc on peut commencer à 10/20.
Tu as rencontré le succès très rapidement quand tu es passé de Starcraft au poker. Penses-tu que c'est dû purement à ton talent ou que tu avais une vision différente du poker ?
Au début, je ne savais pas trop ce que je faisais. C'était juste pour le fun et je jetais mon argent par les fenêtres. C'était en 2003, je vivais aux États-Unis et je jouais encore à Starcraft. C'est un joueur de Starcraft qui m'a converti au poker.
2003, c'est l'année où Chris Moneymaker a remporté le Main Event, et d'un coup tout le monde jouait au poker.
Moi j'étais là à faire n'importe quoi pendant quelques temps, mais après trois mois, j'ai eu un déclic. C'est à partir de ce moment-là que j'ai commencé à vraiment progresser, mais ce n'était pas facile. Je cherchais à lire des bouquins sur le poker, mais il n'y en avait pas beaucoup à l'époque.
Aujourd'hui, c'est complètement différent. L'information est disponible partout, c'est beaucoup plus facile d'apprendre à jouer. D'un autre côté, le niveau est aussi beaucoup plus élevé.
Alors, tu surfes toujours sur la vague ?
(rires) J'espère ! Quand on y pense, il y a deux ou trois ans je ne jouais pas très bien, mais je gagnais quand même plus qu'aujourd'hui.
Et puis l'attitude des joueurs a complètement changé. Aujourd'hui, 50% des joueurs sont à la salle de sport tous les matins. Il y a dix ans, il n'y en avait aucun. Même moi je n'y allais pas !
À l'époque, on préférait passer la soirée au bar que la matinée à la salle de sport. Ils buvaient même pendant les parties !
À ton avis, où seras-tu dans dix ans ?
C'est vraiment difficile comme question ça... Je ne suis pas du genre à faire des projets à long terme. Pour l'instant, j'aime toujours autant le poker. Je voulais arriver à en vivre, je l'ai fait et il n'y a pas de raison que cela change.
Si je finis par en avoir marre, je pourrai toujours faire une pause de quelques mois et revenir sur un tournoi.
Est-ce que tu te lasses parfois du No-Limit Hold'em ?
Non, mais j'aime bien apprendre d'autres variantes quand même. Je pense que le 2-7 No-Limit Single Draw est ce que je préfère en dehors du NLHE. Le 2-7 Triple Draw est sympa aussi.
Par contre je ne suis pas fan du Pot-Limit Omaha. Eugene Katchalov qui est un spécialiste m'a beaucoup appris, mais ce n'est pas mon truc.
Est-ce que tu utilises des trackers quand tu joues en ligne ?
J'ai Hold'Em Manager, mais je ne l'utilise pas énormément parce que ce n'est pas aussi utile en tournois qu'en cash games.
En général je le lance mais je n'y fais pas vraiment attention. L'échantillon de joueurs n'est pas assez important pour que ça me serve.
Et puis en tournoi, le jeu dépend énormément d'où on en est dans le tournoi. Un même adversaire pourra jouer de manière complètement différente une fois à la bulle, au tout début du tournoi ou au contraire à la fin.
D. O. , avec C. H.