Il est très difficile d’échapper à ses propres biais. C’est l’un des grands arguments de Paulo Vitor Damo da Rosa, joueur professionnel de Magic: L'Assemblée et auteur de l’excellent 8 biais qui affectent votre jeu dans Magic, publié en début d’année.
L’article a fait beaucoup de bruit dans la communauté M:tG, que ce soit chez les pros ou chez les amateurs. En effet, il leur a permis d’évaluer objectivement leur jeu en prenant en compte les biais cognitifs.
L’idée est simple: ces biais cognitifs nous amènent à mal évaluer certaines situations et à prendre des décisions irrationnelles.
M:tG et le poker ne sont pas identiques, mais ils partagent suffisamment de similitudes, comme le fait que la chance et la stratégie tiennent une place dans le jeu. Suffisant pour que la comparaison se tienne.
Nous allons donc faire de notre mieux pour adapter les huit concepts mis en avant par Da Rosa au poker. Et qui sait, cela pourrait peut-être vous aider.
Biais n°1 : La règle du pic et de l’issue
Les gens ne perçoivent pas toute la somme de l’expérience, mais la moyenne de celle-ci à son pic (positif ou négatif) et son issue.
Cette première règle est très directement liée au poker : vous pouvez avoir beaucoup de chance à la fin d’une partie de cash game et partir en ayant l’impression d’avoir bien joué.
Si vous avez perdu régulièrement tout au long d’une partie d'argent, mais que vous terminez en battant la paire QQ de votre adversaire avec AJ, cela ne veut pas dire que vous avez bien joué.
En tournoi, on peut également appliquer cette règle à cet instant où vous suivez à un moment où vous n’auriez pas dû, mais que cela vous rapporte un bon pot, puis que vous perdez tous vos jetons en ne défendant pas vos blinds ou autre.
Au poker, il est toujours amusant de prendre des décisions spectaculaires, c’est grisant. Mais il ne faut surtout pas évaluer toute sa session sur une seule main.
Soyez honnête avec vous-même lorsque vous évaluez votre session, même lorsqu’elle se passe bien, et vous devriez pouvoir combler vos faiblesses plus rapidement.
Biais n°2 : Le sophisme du joueur
La tendance à penser que les probabilités futures sont affectées par les événements passés, alors qu’elles ne changent pas.
Ce deuxième point est probablement le plus important pour les joueurs de poker, qui devraient sans aucun doute se retrouver dans l’aspect “joueur”.
La plupart des joueurs de poker connaissent probablement déjà le concept du sophisme du joueur, mais pour résumer : ce n’est pas parce que vous avez vécu une mauvaise expérience avec une certaine stratégie par le passé que vous devez arrêter de l’utiliser.
Par exemple, une paire de 10 est une bonne main, mais elle peut être battue. Si vous perdez avec une paire de 10 contre J-10 deux fois de suite, cela ne signifie pas que vous devez arrêter de jouer vos 10 quand vous les touchez.
Vous devez continuer à évaluer objectivement chaque main, quel qu’en soit le résultat. Si la décision est la bonne, vous devez continuer à la prendre.
Ce biais est à rapprocher de la superstition au poker.
Biais n°3 : L’illusion de contrôle
La tendance à surestimer son influence sur des éléments extérieurs.
Ce troisième élément est particulièrement important dans le poker.
Nous avons tendance à penser que nous contrôlons les choses quand nous jouons au poker, mais il restera toujours une part significative de chance.
Souvent, vous perdrez sans que cela ne soit votre faute.
Parfois, nous en venons à justifier nos défaites en pointant du doigt une main ou une autre, simplement pour mieux dormir. Mais la vérité, c’est que parfois c’est simplement de la malchance. Il faut savoir se détacher de ces moments-là.
En essayant de résoudre des problèmes qui n’existent pas, on peut sérieusement compliquer les choses.
Après tout, même les meilleurs joueurs de poker du monde passent la plupart du temps à perdre. Oui, même Phil Ivey ou Daniel Negreanu.
Le bon côté, c’est que parfois, on gagne aussi sans “contrôler”. On gagne parce qu’on a de la chance.
Si vous voulez réussir dans le poker, il faut apprendre à accepter que vous ne pouvez pas tout contrôler.
Biais n°4 : Le biais de résultat
La tendance à juger une décision à l’aune de son résultat final plutôt que la qualité de la décision au moment où elle a été prise.
Celui-ci aussi est particulièrement présent dans le poker. D'ailleurs, il se rapproche de l’illusion de contrôle.
En 2006, Jamie Gold remportait le Main Event pour 12 millions de dollars en utilisant une stratégie très originale, puisqu'il disait très souvent à ses adversaires ce qu’il avait (même s’il mentait parfois).
La plupart des joueurs ne pensaient pas que c’était une très bonne idée.
Et depuis, Gold n’a rencontré que très peu de succès dans le poker, malgré de nombreux tournois. Il admet d’ailleurs lui-même être loin des meilleurs joueurs, malgré sa victoire.
Et d'ailleurs, personne ne s’est lancé en adoptant la même stratégie que lui.
C’est pour cela qu’il est très important de ne pas se laisser influencer par les résultats. Il faut se concentrer sur le processus, et les résultats finiront par arriver.
Des tonnes de mauvais joueurs de poker ont remporté des grands tournois, depuis toujours.
Vous pourriez même remporter un tournoi en allant à tapis à chaque main. Mais cela ne signifie pas que c’est la meilleure stratégie.
Biais n°5 : Oublier la taille de l’échantillon
La tendance à sous-estimer la variance dans les petits échantillons.
Bien qu’il y ait énormément de variance dans le poker, les bons joueurs finissent toujours par surnager.
Ce que certaines personnes ne comprennent pas, c’est que cela peut prendre longtemps, et que c’est dû à la taille de l’échantillon.
Énormément de joueurs de poker ne jouent qu’une centaine de mains par mois. Ce n’est pas un échantillon suffisant pour évaluer votre niveau de jeu, aussi bon ou mauvais qu’il soit.
Par exemple: lorsque les backers veulent financer un nouveau joueur, ils demandent souvent à voir entre 20 000 et 50 000 mains pour estimer son niveau. 100 000 est idéal.
Pour de simples mortels comme nous, 10 000 mains serait déjà un bon début.
Donc quoi que vous fassiez, ne démissionnez pas de votre boulot parce que vous êtes dans le vert après quelques milliers de mains. N’importe qui peut avoir un peu de chance sur une période donnée.
Biais n°6 : Perception sélective
La tendance à laisser les attentes affecter la perception.
Dans le poker, ce concept est présent de manière un peu plus subtile que les précédents.
Pour faire simple, l’idée de perception sélective est que vous pouvez être trop attaché à certaines mains ou certaines stratégies qui ont bien fonctionné par le passé.
Une paire de rois, par exemple, est une très bonne main de départ, mais cela ne signifie pas que vous devriez lâcher les chevaux pendant toute la main si un as sort au flop.
Cet exemple est évidemment caricatural, mais il arrive souvent que des joueurs soient “attachés” à une main après avoir gagné un pot important avec, comme une paire de 9.
Après avoir gagné gros avec des 9, vous pourriez commencer à ignorer les signes qui pourraient montrer que vous jouez trop les 9 à cause de cette victoire.
Au poker, vous ne pouvez pas vous permettre d’ignorer les signes qu’une certaine main ou une certaine stratégie ne fonctionne pas, quelle que soit votre expérience passée.
Biais n°7 : Cascade de disponibilité
Un processus auto-réalisateur au cours duquel une croyance collective gagne en plausibilité à travers la répétition dans le discours public (autrement dit: “répétez quelque chose assez souvent et cela deviendra vrai”).
Ce septième point est également présent un peu plus indirectement que les autres dans le poker, mais on en trouve tout de même des exemples.
L’idée de la cascade de disponibilité, c’est que lorsqu’une stratégie commence à devenir populaire, cela la rend plus légitime, quelle que soit son efficacité réelle.
C’est un effet de l’instinct grégaire. Telle stratégie est correcte parce que tout le monde le dit, c’est une réaction en chaîne.
C’est pour cela que des joueurs comme Vanessa Selbst, Tom Dwan ou Viktor Blom ont souvent l’air de jouer “contre” les stratégies traditionnelles.
De toute façon, si vous jouez en suivant à 100% les stratégies “établies”, votre jeu stagne et devient prévisible.
Là encore, la solution est de savoir évaluer les informations de manière critique et creuser les informations qu’on nous donne.
Biais n°8 : Le biais d’innovation
La tendance à être excessivement optimiste vis-à-vis des inventions/innovations, tout en négligeant de voir leurs limites/faiblesses.
C’est peut-être le seul des huits concept de da Rosa qui n’est pas directement adaptable au poker.
Magic: the Gathering est un jeu en perpétuelle évolution. De nouvelles cartes apparaissent constamment et parfois, ces nouvelles cartes sont surestimées tout simplement parce qu’elles sont nouvelles.
Le poker est un jeu beaucoup plus “statique”, ce biais d’innovation est donc moins présent. La plupart des stratégies n’ont que peu évolué depuis 10 ans.
Si l’on peut faire un lien avec le poker, c’est probablement lorsque l’apparition des nouvelles stars du poker en ligne au milieu des années 2000 a poussé les joueurs de poker à être extrêmement agressifs pour ressembler à Dario Minieri (photo) ou Tom Dwan.
Leur style de jeu était largement mis en avant, simplement parce que Dwan arrivait à dominer des joueurs “old school” avec des mains marginales.
Personne n’avait jamais vu cela et tout le monde avait envie de faire pareil.
Les choses ont bien changé depuis, puisque les gens ont fini par comprendre qu’ils n’étaient pas Tom Dwan...