Alors qu’on a récemment commémoré le 100è anniversaire du naufrage du Titanic, cette terrible nuit lors de laquelle le fameux paquebot a percuté un iceberg et sombré au fin fond de l’océan Atlantique nord, les histoires autour du Titanic fascinent depuis des générations.
Et il se trouve que certaines de ces histoires, réelles ou imaginées, évoquent également le poker.
par Martin Harris
La main « très chanceuse » de Jack
Parallèlement au centenaire du naufrage en 2012, le film de James Cameron Titanic, sorti en 1997, est ressorti en 3D.
Lors de sa sortie en salles, Titanic a battu tous les records pour devenir le plus grand succès de l’histoire du cinéma (un record depuis battu par Avatar... de James Cameron). Titanic a également remporté 11 Oscars, dont celui du Meilleur film.
Si on ne peut pas dire que le poker tienne une grande place dans Titanic, à peine 2 minutes sur plus de 3 heures de film, le jeu joue pourtant un rôle crucial dans l’intrigue. En plus d’introduire pour la première fois le thème de l’importance de la chance, développé de manière (pas si) subtile dans le reste du film.
On rencontre Jack Dawson (Leonardo DiCaprio) pour la première fois alors qu’il dispute une partie de poker dans un pub de Southampton. Son compère Fabrizio et lui jouent au 5-card draw.
On n’assiste qu’à la fin d’une seule main, entre Jack, Fabrizio et deux Suédois, Olaf et Sven.
Les mises avant le tirage semblent avoir été assez élevées pour constituer un important pot plein de pièces de tous les pays, ainsi que d’un couteau, d’une montre à gousset et surtout de deux billets pour New York City à bord du R.M.S Titanic.
Alors que la caméra fait le tour de la table, on aperçoit brièvement les cartes de Jack - au moins deux 10 et un as. Fabrizio se penche alors vers Jack pour lui faire remarquer qu’ils ont misé tout ce qu’ils avaient, ce à quoi Jack répond que « lorsqu’on n’a rien, on n’a rien à perdre ».
Une simple phrase qui résumé la façon dont Jack vit, sans souci ni attaches, mais les fans de Bob Dylan reconnaîtront une adaptation de Like a Rolling Stone.
Pendant ce temps-là, les Suédois aussi se disputent, puisque Olaf reproche à Sven d’avoir misé leurs billets.
Pendant le tirage, Sven ne prend qu’une seule carte, comme Jack. « Le moment de vérité, » annonce Jack. « La vie de quelqu’un est sur le point de changer. »
Fabrizio et Olaf dévoilent des mains ratées, puis Sven montre deux paires : 8 et 6. Jack feint la déception, s’excuse auprès de Fabrizio. Avant d’esquisser un sourire.
« Je suis désolé... parce que tu ne vas pas revoir ta mère avant un bout de temps, » annonce-t-il à son ami.
« Parce qu’on va en Amérique ! C’est un full, les gars ! »
En guise d’illustration, il ponctue cette tirade en montrant un full aux 10 par les As, ce qui lui permet de remporter le pot et les billets.
Olaf, furieux, donne un coup de poing à Sven (et pas à Jack), et Jack et Fabrizio en profitent pour arriver à monter à bord du bateau juste avant le départ.
« On est les fils de pute les plus chanceux du monde ! » hurle Jack à Fabrizio une fois à bord. « Lorsqu’on n’a rien, on n’a rien à perdre. »
En termes de scènes de poker, il ne s’agit ni de la plus palpitante, ni de la plus réaliste. Mais elle permet de présenter le jeune héros et d’expliquer sa présence sur le bateau condamné.
Poker sur le pont
Le reste du film Titanic inclut quelques références à la partie en question, y compris une explication de cette « main très chanceuse » qui lui a permis de monter à bord du paquebot. Comme il le dit, « on ne sait jamais quelles cartes on va tirer », il faut donc « que chaque jour compte ».
Cependant, le film ne montre jamais les passagers jouer au poker pendant les jours (et les nuits !) qui précèdent l’accident. Cela aurait pourtant pu être le cas, puisque le poker était très probablement assez populaire au bord du paquebot, comme dans tous les bateaux de voyageurs à la fin du 19è siècle et au début du 20è.
Renee Harris par exemple, survivante du naufrage, raconte dans Liberty Magazine vingt ans plus tard qu’elle participait à une partie de poker privée dans l’une des suites du « pont B » qui disposait d’une promenade privée.
D’après Harris, la partie avait lieu juste après le repas de midi, après que son mari Henry lui a demandé de participer. « Il m’avait expliqué qu’ils avaient des soupçons sur l’un des joueurs, et que plutôt que de lui interdire de jouer, ils préféraient que la table soit déjà remplie. »
« J’ai donc eu l’honneur d’être le ‘’huitième homme’’ » explique Harris, remarquant au passage que « lorsqu’on m’a montré qui était le tricheur supposé, j’ai cru qu’il était pasteur tellement il avait l’air vertueux. »
Lors d’un entretien des années plus tard avec l’historien spécialiste du Titanic Walter Lord, Harris a donné plus de détails sur la partie en question, expliquant qu’ils utilisaient des jetons de 1 dollar et qu’elle s’était plutôt bien débrouillée. D’ailleurs, elle avait 90$ d’avance lorsqu’elle s’est momentanément absentée pour retourner dans sa cabine.
Finalement, Harris a glissé dans les escaliers et s’est cassée le bras, ce qui l’a empêchée de reprendre la partie.
Dans l’article paru dans Liberty, Harris suggère que cette chute lui a indirectement sauvé la vie, puisqu’elle estime que si elle n’avait pas été sous l’effet d’anesthésiques au moment de l’accident, elle aurait refusé de monter à bord d’un canot de sauvetage, alors même que son mari l’en implorait. Henry n’a malheureusement pas survécu.
Compte tenu de l’attention et de l’intérêt suscités par le Titanic depuis un siècle, il n’est pas surprenant que certains historiens remettent en question l’histoire de Harris. Certains pensent même qu’elle aurait confondu avec une partie qui aurait eu lieu sur un autre paquebot.
Quoi qu’il en soit, la popularité du poker à cette époque n’est pas à prouver, il est naturel d’envisager que plusieurs parties ont eu lieu sur le Titanic.
Quête de bracelets et autres expéditions
Évidemment, comme le montre le film, l’histoire du Titanic est également remplie d’explorateurs tentant de découvrir tous ses secrets. Et figurez-vous que cette partie de l’histoire aussi a un lien avec le poker.
Un article de Sports Illustrated paru en 1977 dressait le portrait d’un joueur amateur texan, un certain Cadillac Jack Grimm, et de sa quête pour remporter le Main Event des World Series of Poker. Finalement, le seul moment où Grimm aura été proche de la victoire est lorsqu’il s’est retrouvé assis à côté du vainqueur cette année-là, Doyle Brunson.
Évidemment, Grimm n’a finalement même pas passé la première journée, sans accrocher le top 20 (sur 34 joueurs).
Financièrement parlant, la défaite n’a pas énormément coûté à Grimm, puisqu’il était « plusieurs fois millionnaire, pas grâce au poker, mais grâce à d’autres formes de paris, surtout le forage pétrolier ».
Il aurait également financé diverses expéditions fantaisistes, à la recherche notamment de l’Arche de Noé, du monstre du Loch Ness et du yéti. Des quêtes à peu près aussi folles que d’imaginer battre Brunson et compagnie aux WSOP.
Quelque temps après la parution de l’article de Sports Illustrated, Grimm se lançait dans une nouvelle quête : le Titanic.
Ainsi, il a financé trois de ses expéditions, au début des années 80, pour tenter de localiser les restes du bateau. Grimm n’a malheureusement jamais été reconnu pour avoir retrouvé le paquebot, mais ses expéditions ont fourni de précieux indices aux explorateurs suivants.
C’est finalement l’équipe du Dr Robert D. Ballard qui a découvert le Titanic en 1985.
Une mauvaise main mal négociée
Les liens entre le poker et le Titanic ne s’arrêtent pas là. Il y a par exemple ce fameux joueur de poker du Missouri surnommé « Titanic » Thompson après qu’un de ses adversaires a déclaré qu’il « coulait tout le monde ».
Aujourd’hui, le Titanic est plutôt vu comme un symbole d’échec. Mais de nombreux facteurs (avertissements ignorés, défauts du bateau, marées, un mauvais changement de direction, absence de jumelles, nombre insuffisant de canots de sauvetage, et une pléthores d’erreurs et de mauvaises décisions) ont dû converger pour que la tragédie ait lieu.
Un spécialiste du Titanic, Charles Pellegrino, a même utilisé une métaphore de poker pour décrire la tragédie qui a frappé le paquebot « insubmersible ».
Le navire « aurait dû traverser l’Atlantique pendant plus d’un siècle, pour ne pas dire mille ans, pour qu’autant d’événements improbables arrivent au même moment pour créer une "inévitabilité mathématique", » estime Pellegrino dans Farewell, Titanic.
« Ce que les constructeurs et officiers n’ont pas compris, c’est que la probabilité de tirer deux suites royales à la suite est la même dans les deux premières main que dans n’importe quelles paires de mains des deux millions de mains suivantes. »
Pellegrino n’a pas tort. Cependant, comme au poker, le naufrage du Titanic est à la fois dû à de la malchance et à un manque de compétences, sans compter qu’avec toutes les vies en jeu, la mise était particulièrement risquée, et l’issue d’autant plus tragique.