Déjà plus de 40 ans que les World Series of Poker nous font vibrer et propulsent des joueurs sur le devant de la scène.
Chaque année, le vainqueur est couronné en grandes pompes « Champion du Monde », et bon nombre de ces champions ont eu d'excellentes carrières.
Mais pas tous. Certains de ces champions du monde ont plutôt disparu de la circulation. James Guill revient pour nous sur certains de ces champions oubliés.
Berry Johnston
Si les passionnés connaissent assez bien Berry Johnston, c'est un nom que le joueur lambda n'a probablement jamais entendu.
Pendant des dizaines d'années, avant l'explosion du poker, Johnston était l'un des joueurs les plus réguliers sur le circuit avec plus de 3 millions de dollars de gains en carrière.
Mais avant le Main Event des WSOP 1986, il n'avait qu'un seul bracelet à son actif, remporté en 1983 dans un event de Match Play à 2500$.
En 1986, il est venu à bout de 141 joueurs et d'une table finale dont faisaient partie Tom Jacobs, Roger Moore, Gary « Bones » Berland et ses cinq bracelets et le champion en titre Bill Smith.
Au moment du heads-up, Johnston avait deux fois plus de jetons que son adversaire, Mike Harthcock. Il décide alors de faire un 3bet avec A-10, que Harthcock suit avec A-8. Le tirage s'avérant nul, c'est Johnston qui fut couronné champion.
À aujourd'hui 77 ans, Johnston a intégré le Hall of Fame et continue à jouer à un très bon niveau. Il dispute plusieurs events aux WSOP chaque année.
Ceux qui ne le connaissent pas le voient sûrement comme un gentil vieux monsieur à leur table... jusqu'à ce qu'il les sorte du tournoi.
Hamid Dastmalchi
Il y a de grandes chances pour que Hamid Dastmalchi soit en tête de n'importe quelle liste des champions oubliés des WSOP.
Ce spécialiste des high-stakes a remporté 3 bracelets WSOP, mais il a eu la malchance de remporter son titre de champion du monde la seule année (à part 2007) où la participation aux WSOP a baissé.
Lors du Main Event des WSOP 1993, il est venu à bout de 201 joueurs et est arrivé en table finale – où se trouvait aussi Johnny Chan, double champion du monde – en position de chip leader.
Dastmalchi a notamment été très inspiré lors d'une main qui l'opposait à Mike Alsaadi. Il s'est couché avant le flop avec une paire de Rois, pour voir ensuite que son adversaire avait une paire d'As. Ce coup lui a permis de conserver des jetons nécessaires à sa victoire.
Deux ans plus tard, Dastmalchi atteignait à nouveau la table finale du Main Event, finissant finalement 4ème. À l'époque, beaucoup pensaient que se dessinait alors une grande carrière pour lui.
Et puis en 1999, un litige l'a opposé au Binion's Horseshoe, dont les nouveaux propriétaires refusaient de lui payer les 800.000$ qu'il avait gagnés.
Bien que la justice lui ait donné raison, Dastmalchi a ensuite quasiment disparu de la circulation, n'atteignant que deux places payées, la dernière en 2002.
Hal Fowler
Hal Fowler a probablement remporté la victoire la plus surprenante de toute l'histoire du Main Event des WSOP.
Fowler était complètement amateur lorsqu'il s'est inscrit au Main Event des WSOP 1979 pour se confronter à 54 autres joueurs, quasiment tous professionnels.
Il a pourtant surpris tout le monde en atteignant tout d'abord la table finale, aux côtés de grands joueurs comme Johnny Moss, Chip Reese, Bobby Hoff et Sam Moon.
Il paraît même qu'il s'est retrouvé avec à peine 2000 jetons avant d'effectuer un retour incroyable.
Et lorsqu'a commencé le heads-up face à Bobby Hoff, Fowler était bien loin au nombre de jetons et tout le monde s'attendait à ce que Hoff devienne champion du monde. C'était sans compter l'incroyable coup de chance de Fowler qui a enchaîné un "3-outer" et un runner-runner pour prendre la tête.
L'ultime main du tournoi illustre bien la chance qu'a eu Fowler. Avec un flop J♠ 5♥ 3♣, Fowler a fait un overbet en visant la quinte ventrale. Qu'il a touché lorsque le 4♠ est sorti au turn. Hoff est alors allé au tapis avec une paire d'as et s'est alors rendu compte de la malchance dont il était victime.
L'incroyable victoire de Fowler a fait de lui le tout premier amateur à s'imposer dans le Main Event des WSOP.
On ne l'a plus vraiment revu ensuite, et il n'est aujourd'hui qu'un nom dans les livres parmi beaucoup d'autres.
Robert Varkonyi
On parle souvent de Chris Moneymaker comme de celui qui a été à l'origine du boom du poker, mais en réalité, Robert Varkonyi était déjà, un an auparavant, un amateur devenu champion du monde. La victoire de Varkonyi en 2002 lui a également permis d'être le premier joueur à remporter 2 millions de dollars lors du Main Event.
Sa performance a surpris encore plus les gens que celle de Hal Fowler. Phil Hellmuth avait même parié qu'il se raserait la tête si Varkonyi remportait le titre.
Varkonyi était en 4ème position au début de la table finale, bien loin derrière le chip leader, John Shipley. Il a même rapidement perdu la moitié de ses jetons contre l'Anglais Julian Gardner.
Après avoir doublé ses jetons contre Shipley, il a continué à remonter la pente petit à petit pour finalement atteindre le million. Shipley, toujours chip leader, a ensuite perdu une grande partie de ses jetons avec A-J contre la paire de Valets de Varkonyi – qui avait surrelancé pré-flop pour aller au tapis.
La paire de valets a tenu et Varkonyi est passé chip leader. Place qu'il n'a plus lâchée.
Varkonyi a ensuite défait Gardner en heads up pour remporter les 2 millions de dollars. Malheureusement, sa victoire a été éclipsée par Hellmuth, qui s'est effectivement rasé la tête, respectant ainsi son pari.
La victoire de Varkonyi est unanimement reconnue comme l'une des plus surprenantes des Main Events des WSOP. Malheureusement, un an avant l'explosion du poker, il n'a pas réussi à capitaliser sur sa victoire comme l'ont fait Chris Moneymaker et les champions qui ont suivi.
Jack Keller
Véritable gentleman, Jack Keller a prouvé en 1984 que parfois cela payait d'être gentil.
Alors qu'il ne restait que trois joueurs en course et qu'il était celui qui avait le moins de jetons, il a indirectement pu bénéficier d'un bluff osé de Cowboy Wolford.
Alors que Jesse Alto récupérait les blinds, Wolford a décidé de le prendre à son propre jeu en surrelançant pré-flop. Après avoir relancé au flop et au turn, Wolford est allé all-in à la river.
Non sans génie, il a ensuite sorti une liasse de billets qu'il a posé sur la table, avec un clin d’œil à sa femme. Alto a tout de même fini par se coucher, et Wolford de montrer au public qu'il venait de réaliser un bluff incroyable avec 5-3 dépareillés.
Cette main a complètement déstabilisé Alto qui est ensuite allé au tapis à l'aveugle. Keller a alors profité de deux bons tirages et de la déconcentration d'Alto pour le sortir du tournoi en troisième place.
Devenu alors chip leader, Keller a ensuite fait l'essentiel pour garantir le titre et les 660.000$.
Tom McEvoy
Beaucoup d'entre vous connaissent sûrement Tom McEvoy pour les livres qu'il a écrit sur le poker, mais peu se souviennent qu'il est un excellent joueur et qu'il a inscrit son nom au palmarès du Main Event des WSOP.
McEvoy était d'ailleurs entré dans l'histoire avant même que le Main Event ne commence, puisqu'il est le premier joueur à avoir gagné sa place au Main Event via un tournoi satellite. Mais, alors qu'il ne restait plus que trois joueurs en course, tout le monde s'attendait à ce que Doyle Brunson rentre dans l'histoire en remportant son troisième titre.
Doyle a finalement été éliminé en 3ème place, et c'est Rod Peate qui était chipleader. Peate était un habitudé des low-stakes, et McEvoy a su en profiter en érodant son capital jetons petit à petit.
Devenant finalement chip-leader, McEvoy a ensuite profité de l'énorme erreur commise par Peate lorsqu'il est allé au tapis pré-flop avec K-J. McEvoy a suivi avec une paire de dames, qui a suffit à lui assurer le titre.
McEvoy restera donc le tout premier joueur issu d'un tournoi satellite à remporter le Main Event, mais les 580.000$ qu'il a remportés paraissent aujourd'hui bien peu. Et un autre vainqueur du Main Event issu d'un satellite, un comptable du Tennessee du nom de Moneymaker, deviendrait bien plus connu que lui en remportant le Main Event 2003.
McEvoy a joué en tant que professionnel sous les couleurs de PokerStars, mais son nom est aujourd'hui relativement inconnu de la nouvelle génération.
Jim Bechtel
On se souvient plus du Main Event 1993 pour la défaite de John Bonetti que pour la victoire que Jim Bechtel.
Avec trois joueurs en course, Bonetti et Bechtel avaient sensiblement le même nombre de jetons, tandis que Glenn Cozen, un joueur amateur, n'en avait que 60000 (blinds à 5000/10000).
Alors qu'il semblait assez clair que Cozen allait terminer 3ème, il s'est déroulé la main la plus incroyable du tournoi. Bonetti et Cozen ont tous deux suivi une relance de 30000 de Bechtel pour découvrir un flop constitué de K♣ 8♦ 6♣. Mise de Bonetti, relance de Bechtel. Avec seulement 30000 jetons et une paire, Cozen a alors préféré se coucher. Tapis de Bonetti avec A-K, suivi par Bechtel.
La paire de 6 qu'il avait en main lui suffisait alors pour former un brelan et éliminer Bonetti.
Cozen en aura également profité pour ajouter 210.000$ à ses gains dans l'affaire, mais il aura tout de même été incapable d'inquiéter Bechtel pour le titre en raison de son énorme déficit de jetons.
Avec un boulevard devant lui, Bechtel s'est rapidement imposé pour remporter le titre de champion du monde et le million de dollars de la première place.
Bill Smith
Bill Smith était un très bon exemple de tout ce qu'il ne fallait pas faire au poker. Ce qui ne l'a pas empêché de réaliser quelques performances impressionnantes dans les années 80. Il semble que Smith était un alcoolique qui ne jouait bien que lorsqu'il était dans un état d'ébriété assez avancé.
Smith a atteint sa deuxième table finale du Main Event des WSOP en 1985, aux côtés d'une brochette de joueurs assez impressionnante qui regroupait notamment Johnny Moss, TJ Cloutier, Hamid Dastmalchi et Berry Johnston.
Smith a apparemment démarré la table finale en jouant très serré, avant de jouer de manière de plus en plus agressive (et efficace) à mesure qu'il vidait son verre.
Cloutier et Smith se sont donc retrouvés en heads-up. Cloutier avait l'avantage au nombre de jetons, mais après avoir confronté une paire de 9 à la paire de rois de Smith, la situation s'est largement renversée. Quelques instants plus tard, il se précipitait au tapis alors qu'il n'avait qu'un as.
Smith l'a suivi avec une paire de 3, ce qui n'arrangeait pas Cloutier dont la deuxième carte était également un 3. Aucun as n'est sorti, et Smith a donc remporté le Main Event des WSOP 1985 et les 700.000$ qui allaient avec.
Smith a également atteint la table finale du Main Event 1986 (pour terminer 5ème) - c'est la dernière fois qu'il a atteint une place payée aux WSOP et malheureusement également la dernière année qu'on l'a vraiment vu sur le circuit.
La vidéo ci-dessous a été filmée lors de la table finale du Main Event 1981, année où Smith avait déjà terminé 5ème.
Noel Furlong
On considère souvent Robert Varkonyi et Hal Fowler comme les plus grandes surprises de l'histoire des Main Events, mais c'est oublier un peu vite l'Irlandais Noel Furlong, un autre amateur qui a fait sensation.
Furlong, propriétaire d'une entreprise de nettoyage de tapis en Irlande, participait assez régulièrement à des grands tournois de poker. Il avait d'ailleurs déjà atteint la table finale du Main Event des WSOP en 1989, mais n'a atteint aucune autre place payée avant sa deuxième table finale en 1999.
A la table finale du Main Event 1999, on retrouvait notamment Huck Seed, Erik Seidel, Padraig Parkinson et Alan Goehring. Beaucoup pensaient que Furlong avait déjà eu beaucoup de chance d'aller aussi loin dans le tournoi, mais la chance n'était apparemment pas près de le lâcher puisqu'il s'est installé en position de chip-leader lors du heads-up face à Alan Goehring.
La dernière main du tournoi a été tout à fait à l'image du parcours de Furlong dans le tournoi. Furlong a tout d'abord limpé avec une paire de 5, rapidement imité par Goehring avec une paire de 6.
Furlong a ensuite touché un flop énorme avec Q♠ Q♣ 5♠. Les deux joueurs ont checké, puis Furlong a misé 150000 lorsque le 2♠ est sorti au turn. Goehring a alors relancé, puis Furlong est allé au tapis.
Goehring pensait (avec raison) que Furlong n'avait pas de Dame en main. Il avait simplement oublié de prendre en compte la possibilité que Furlong pouvait avoir un full. Le 8♠ à la river n'a rien changé et Furlong a remporté le Main Event, devenant par la même occasion le meilleur joueur irlandais de l'époque en terme de gains.
Furlong joue toujours au poker de manière occasionnelle, et est très impliqué dans l'Irish Open. C'est d'ailleurs lors de l'Irish Open qu'il a réalisé la plupart de ses performances depuis sa victoire au Main Event.
Mansour Matloubi
Jusqu'en 1990, les vainqueurs du Main Event des WSOP étaient tous américains. Mansour Matloubi, professionnel iranien, participait à ses premières World Series, ce qui ne l'a pas empêché de remporter le plus gros prix du poker face à quelques-uns des meilleurs joueurs du monde.
La table finale du Main Event 1990 incluait notamment John Bonetti, Rod Peate, Al Krux, Berry Johnston, Hans Lund et (techniquement) Stu Ungar.
Techniquement, car Ungar ne s'est pas présenté lors du deuxième jour du Main Event, apparemment à cause d'une overdose. Cependant, Ungar était chip leader à l'issue du Day 1 et il a tout de même réussi à atteindre la table finale, même en perdant ses blindes tout au long du Day 2.
En heads-up, Matloubi s'est retrouvé face à un autre joueur encore inconnu à l'époque, Hans Lund.
La main la plus mémorable de cette table finale a également marqué le tournant du match. Lund, avec A-9, avait choisi de relancer pré-flop. Après avoir touché 9-4-2 au flop, Lund a enchaîné sur un check-raise. Matloubi est alors allé au tapis, suivi par Lund, qui a alors découvert qu'il était battu par une paire de 10.
Quelques mains plus tard, Lund est allé au tapis avec une paire de 4, contre la paire de 6 de Matloubi. C'est ainsi que Matloubi est devenu le premier joueur non-américain à remporter le Main Event des WSOP.
On a beaucoup revu Matloubi dans les années 1990, mais il a préféré se retirer du jeu après le boom de 2003.
Bobby Baldwin
Difficile de croire qu'un membre du Hall of Fame puisse faire partie de cette liste de champions oubliés, cependant Bobby Baldwin est aujourd'hui plus connu pour son rôle de directeur de casino que pour ses performances en tant que joueur de poker.
Et pourtant, avant de partir dans les affaires, Bobby Baldwin était l'un des joueurs les plus redoutables du circuit. Après avoir remporté les deux premiers bracelets de sa carrière lors des WSOP 1977, il est devenu en 1978 le plus jeune joueur de l'histoire à remporter le Main Event.
Cependant, pour y parvenir, il a dû se défaire d'une table finale redoutable à laquelle participaient Ken Smith, Jesse Alto et le légendaire Crandell Addington.
Baldwin et Addington se sont donc retrouvés en heads-up, avec Addington en position de chip-leader. Baldwin a réussi à prendre l'avantage après un bluff bien mené avec 10-9, avantage qu'il a su creuser patiemment jusqu'à avoir 7 fois plus de jetons qu'Addington.
Alors qu'il lui restait à peine 50000 jetons, Addington est allé au tapis avec une paire de 9, suivi par Baldwin avec une paire de dames. Première carte du flop, un 9 donnait alors l'avantage à Addington. Malheureusement pour lui, le flop contenait également une Dame, ce qui offrait un brelan aux deux joueurs. Rien d'autre n'est sorti, et Baldwin est donc devenu, à 28 ans, le plus jeune vainqueur du Main Event des WSOP.
Si Baldwin se consacre aujourd'hui principalement à sa carrière d'homme d'affaires, il a tout de même réalisé d'autres bons résultats. Il a notamment atteint 10 places payées lors des Main Events des WSOP, et l'année dernière il faisait partie de la table finale du Big One for One Drop en tant qu'homme d'affaires.