Avoir peur de la critique, y prêter trop d'importance ainsi qu'à ce que pensent les autres (besoin d'approbation). Voici certains écueils de la pensée humaine, et qui sont souvent à l'origine d'un manque d'estime et de confiance en soi. Y compris au poker.
« Ils ne t’aiment pas. »
BAM. Ça m’a fait l’effet d’un coup de poing.
Un joueur de poker venait de me dire que deux joueurs de poker britanniques bien connus ne m’aimaient pas.
En tant qu’écrivain ou journaliste, il n’est pas rare de susciter les inimitiés. Ces 5 mots auraient dû me passer au-dessus sans que j’y prête la moindre attention.
Mais nous voilà quelques jours plus tard, et je ne peux pas arrêter d’y penser. Pourquoi est-ce qu’ils ne m’aiment pas ? Ils ne m’ont jamais rencontré et encore moins parlé.
Et puis j’ai continué à creuser. C’est pour ça que le monde va mal. On déteste des gens à qui on n’a jamais donné leur chance.
Et pourquoi cela m’affecte-t-il autant ? Pourquoi ai-je autant besoin de l’approbation d’autrui ? C’est une véritable addiction.
L’addiction, déjà
Quand j’étais gamin, le papier peint dans ma chambre était en fibre de bois. Pour des raisons qui m’échappent, je me souviens passer mon temps à tirer les fibres de bois, ce qui faisait des trous partout.
Mais parents m’engueulaient, mais je ne pouvais pas m’arrêter. C’était addictif.
Un jour, mon père m’a pris à part et m’a dit : « Si tu arraches encore un morceau de bois de ce mur, on va t’envoyer en foyer. »
Mon père n’est pas mon père biologique. Celui qui s’est occupé de féconder ma mère s’est cassé bien avant que je naisse. J’ai toujours eu ce sentiment d’abandon au fond de moi. Comme un gamin qu’on laisserait dans un panier devant une caserne de pompiers.
Me menacer de m’envoyer dans un foyer n’arrangeait pas les choses. Mais voilà les faits : c’est de là que me vient cette addiction à la validation.
Depuis le jour où mon père m’a menacé de m’envoyer dans un foyer, je me suis senti mal-aimé, indésirable. Et depuis ce jour, je fais tout pour attirer l’attention des autres, que ce soit par le sexe, l’amour ou les paroles.
Toute ma vie est régie par ce besoin. Le travail. Les relations. Les loisirs.
Le poker.
On ne contrôle que ses pensées
Un besoin maladif d’approbation peut être un cauchemar dans le poker. C’est comme jouer avec une camisole de force, terrifié de ce que pourraient penser les autres.
Ne prendre aucun risque. Ne pas être aussi agressif qu’on devrait l’être. Choisir la facilité. Le jeu devient fade. Et c’est ridicule.
L’essence même de la philosophie stoïcienne est qu’on ne peut contrôler que ses pensées. Seules nos pensées peuvent nous élever ou nous enterrer.
Rien de ce que disent les autres n’a la moindre importance. L’avis des gens ne doit pas créer de douleur, sauf si l’on est persuadé qu’il y a une part de vérité.
Imaginez que vous êtes assis à une table de poker, avec un t-shirt rouge, un jean rouge et des chaussures rouges. Un homme dont vous savez qu’il est un gardien de but à la recherche d’une équipe s’approche et commence à vous appeler « le diable ».
Comment vous sentiriez-vous ? Vous n’en auriez rien à faire. Vous penseriez qu’il est fou et continueriez à jouer, parce que vous seriez convaincu qu’il a tort.
Son opinion n’a rien à voir avec vous. C’est son affaire.
La nature humaine fait que l’approbation nous satisfait et la désapprobation nous est désagréable. C’est naturel, mais cela devient problématique si vous utilisez cela comme mesure de votre estime de vous-même.
Nous jugeons, c’est humain. D’ailleurs, vous jugez sûrement ma manière d’écrire en ce moment même.
Combien de fois vous êtes-vous plaint des autres ? Combien de fois avez-vous souhaité qu’ils se taisent et gardent leurs mauvaises histoires pour eux ? Combien de fois vous êtes-vous moqué en silence d’un joueur qui avait fait n’importe quoi à la river ?
Posez-vous cette question : « Quand j’adopte ce mode de pensée, est-ce que j’émets un jugement moral sur la valeur intrinsèque de cette personne ? »
L’empreinte de l’estime de soi
Ce n’était pas ma faute que mon père ne sache pas comment exprimer son amour. Il avait été élevé par un père qui ne savait pas mieux faire. Il suivait les principes qu’on lui avait inculqués.
Mais c’est ma faute si je continue à me vautrer dans cette vulnérabilité maintenant que je suis adulte.
Je suis un grand garçon. Je sais que tout ça n’est qu’un souvenir.
C’est moi qui choisis d’y associer des sentiments négatifs. Et si je veux avancer dans la vie et pouvoir gagner en confiance (dans les relations, le travail ou le poker), je dois y remédier.
David Burns, auteur de Feeling Good : The New Mood Therapy et animateur du podcast Feeling Good, m’a donné quelques conseils. J’ai donc ouvert une page de mon journal et écrit une question :
Pourquoi est-ce irrationnel et superflu d’avoir peur de la désapprobation ou des critiques ?
Alors que j’écrivais, je commençai à me sentir beaucoup mieux. Je me rendais également compte que cela allait me servir dans le poker. Voici quelques points clés de mes notes :
1. Quand quelqu’un critique mon jeu ou réagit négativement à ma présence, il est très probable que cela soit irrationnel et n’ait rien à voir avec moi.
2. Si la critique est justifiée : Si j’ai mal joué et que les dieux du poker m’ont accordé un peu de chance, cela ne signifie pas que je suis un mauvais joueur. J’ai fait une erreur. Phil Ivey est devenu le meilleur joueur du monde en faisant des erreurs et en en tirant des leçons. Alors arrêtez de bouder et apprenez.
3. Pour en revenir à ce mauvais coup, comment avez-vous joué avant cela ? Et le coup encore avant ? Quid de toute cette session ? Quid de toutes les mains de poker jouées dans votre vie ? Vous les avez toutes plantées ? Combien de fois avez-vous pris la bonne décision ?
4. Les gens jugeront toujours votre jeu, mais cela n’affectera jamais votre performance. Seules votre réflexion, vos pensées et vos croyances peuvent affecter votre performance.
5. Et ce n’est pas parce que quelqu’un pense que vous avez fait n’importe quoi que tout le monde le pense.
Ce qui est bien avec le poker, c’est qu’on peut voir une situation sous de nombreux angles différents. Tout le monde ne vous sautera pas dessus pour votre erreur.
6. Souffrir fait grandir. Souffrir est normal dans le poker. Il faut prendre des risques pour devenir un grand joueur de poker. Ces risques peuvent faire souffrir. Ça fait mal. Mais c’est la douleur d’une petite piqûre, pas d’une balle dans la tête. La douleur ne dure jamais.
7. Comment savoir si l’opinion négative d’une personne est due au fait qu’elle ne vous aime pas ? Et même si c’était le cas, leur avez-vous demandé pourquoi ? Parfois, une question peut régler beaucoup de choses. Et parfois, la médisance n’est que de la médisance.
8. Je passe mon temps à critiquer les gens. C’est un don naturel. Je ne juge pas leur moralité. Je me défoule. Alors pourquoi la moindre critique m’étant adressée serait d’ordre moral ? C’est impossible. Ils sont simplement humains, comme moi.
Je ne suis plus ce gamin
1 200 et quelques mots plus tard, je me sens déjà beaucoup mieux. Mon humeur est plus légère. Je me sens en mesure de demander à ces deux joueurs pourquoi ils ne m’aiment pas.
Peut-être que leurs commentaires pourraient faire de moi un meilleur écrivain, voire une meilleure personne. Mais je ne le ferai pas. Je ne suis plus ce gamin-là.