Quand un roman en partie autobiographique se déroule sur fond de poker et de World Series, cela mérite attention. Que vaut alors ce "La Cinquième Carte" de James McManus ?
Les romans sur le poker ne sont pas tant légion, pour que la sortie de l'un d'eux fasse naître une certaine excitation dans la communauté.
La Cinquième Carte est la traduction d'un roman autobiographique de James McManus, paru en 2003 sous le titre original "Positively Fifth Street", et en juin dernier en France.
Auteur de quatre romans, James McManus montre l'avantage d'être un vrai connaisseur de poker, lui-même joueur et détenteur d'un beau palmarès (11 places payées aux WSOP notamment), et enseignant même la "science du poker" à l'école des arts de Chicago.
L'histoire se déroule en 2000, durant les World Series of Poker, et met en scène son auteur, journaliste envoyé à Vegas pour couvrir les World Series of Poker et la place des femmes dans le tournoi, et écrire un article sur le procès d'une affaire de meurtre, celui de Ted Binion. Dans le même temps, McManus va lui-même participer au Main Event de ces WSOP, et se retrouver confronté à l'effervescence du monde à part qu'est Vegas, et à ses démons.
La Cinquième Carte n'est pas vraiment un thriller en soi comme on pourrait l'imaginer, plutôt une incursion dans la fièvre de Vegas de l'avant boom du poker. L'histoire d'un homme passionné, avec ses problèmes et ses faiblesses, seul ou presque dans une ville et un microcosme parfois attachant mais aussi un peu spécial.
Les débats mettent du temps à se mettre en place, du fait de longs passages descriptifs, notamment de lieux ou personnages secondaires, pas toujours forcément utiles. Certains lecteurs risqueront ainsi peut-être de se lasser après les premiers chapitres.
En pleine immersion à Vegas et durant les World Series
Mais s'il y a bien une chose que l'on doit mettre au crédit de ce livre, c'est d'être très documenté. Les spécialistes de poker croiseront ainsi de nombreuses figures emblématiques du poker au cours de l'histoire, et en apprendront même sans doute plus au détour d'anecdotes ou d'histoires sur leur vie. Les grands connaisseurs (et notamment ceux ayant déjà mis les pieds à Vegas) retrouveront également avec saveur un portrait très immersif dressé de l'univers de "Sin City" et du monde du poker.
L'histoire du meurtre de Binion devenant rapidement secondaire, le suspense parvient malgré tout à s'installer dès lors que McManus commence à s'installer aux tables, d'abord pour des satellites, puis lorsque arrive le grand moment du Main Event. Evidemment, si vous connaissez déjà l'histoire des World Series 2000, l'effet de surprise ne jouera pas autant.
Plesbiscité par un certains nombres de critiques dont celles du New York Times ("Aussi tendu qu'un thriller, une excellente histoire"), Daniel Negreanu ("Un chef d'oeuvre."), Time ("Irrésistible... Sa prose est érudite, drôle, brillante... L'équivalent d'une suite royale !"), Men's Journal ("Stupéfiant... Extrêmement divertissant."), ce livre nous a personnellement laissé un peu moins enthousiaste.
Les écrits de McManus, journaliste et écrivain reconnu et connaissant son sujet sont en effet érudits, dans un style à la fois de qualité et décontracté (voire parfois cru). Il faut malgré tout une certaine patience pour ne pas décrocher à certains moments, même si l'ensemble se révèle agréable.
A réserver aux fans de poker qui voudraient sortir un peu des lectures stratégiques, tout en retrouvant leur jeu favori relaté dans un cadre romanesque, ou aux amateurs qui chercheraient une idée de nouvelle lecture de chevet.
La Cinquième Carte
Mike McManus (traduction Oliver Rohe)
Collection Pôle Roman, MA Editions
452 pages, Prix conseillé 20€
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James McManus : « Quand j'ai commencé, on avait pitié pour les jeunes joueurs »
(02/07/15 - par Arthur Crowson)
James McManus est l’auteur de l'un des livres références sur le poker. Nous avons abordé également avec lui l'évolution du poker, et la qualité des films sur le poker au cinéma.
Depuis sa sortie en 2003, son Positively Fifth Street (sorti en français sous le titre La Cinquième Carte en 2012) est reconnu comme l’un des tout meilleurs livres sur le poker jamais écrits, et c’est encore aujourd’hui l’un de ceux qui se vendent le mieux.
Le timing était idéal à l’époque, puisque McManus a publié le récit de son parcours au Main Event des WSOP 2000 pile au moment où le poker explosait.
Depuis, il a publié Cowboys Full: The Story of Poker et enseigne l’Histoire du poker à l’Institut d’art de Chicago.
Et il joue évidemment au poker. D’ailleurs, lorsqu’on l’a rencontré, il avait une pile de jetons assez conséquente devant lui.
Nous en avons donc profité pour évoquer avec lui son ouvrage phare, et son opinion sur le poker d’aujourd’hui.
Nous avons cru comprendre qu’un nouveau livre était en préparation pour cet automne, The Education of a Poker Player. Peux-tu nous en dire un peu plus ?
C’est une fiction, mais quand même très autobiographique. Proche de la réalité, disons.
C’est l’histoire d’un gamin que sa grand-mère convainc de devenir prêtre pour sauver toute sa famille de l’Enfer et du Purgatoire.
Il s’engage à faire cela alors qu’il a huit ans, sans comprendre ce que cela implique : le séminaire, l’abstinence, etc.
Et puis il découvre le poker et les filles... Voilà le point de départ, en gros.
Est-ce que cela t’a amusé de pouvoir écrire des choses qui n’auraient pas forcément leur place dans un ouvrage non fictionnel ?
Oui, il faut aussi savoir que ce livre n’est pas entièrement centré sur le poker. A moitié, disons. C’est plutôt sur l’évolution mentale et cérébrale d’un jeune garçon qui découvre l’adolescence. Il s’éveille progressivement au sexe et au poker.
Le titre est inspiré d’un livre de Herbert Yardley. Le moment où son grand-père lui offre ce livre est un véritable tournant dans sa vie. Ses parents le prennent très mal, sans parler de sa très dévote grand-mère.
Beaucoup de gens ignorent que le livre de Yardley s’est très bien vendu dans les années 50.
C’est aussi l’un des premiers livres à avoir ouvert la possibilité d’un poker honnête. Il a inspiré des milliers de joueurs, voire des millions.
Voilà déjà plus de dix ans que Positively Fifth Street est sorti. C’est aujourd’hui devenu une référence. Avec le recul, que penses-tu de tout cela ?
J’ai eu beaucoup de chance, ce livre a changé ma vie.
Ce qui me frustre, c’est qu’il s’est beaucoup mieux vendu que Cowboys Full, mon livre sur l’Histoire du poker sorti en 2009.
Je me dis : si les gens achètent Positively Fifth Street, c’est qu’ils aiment le poker. Alors pourquoi ne pas acheter le livre sur l’Histoire du poker sorti six ans plus tard ?
Je ne comprends pas. C’est vraiment un phénomène étrange. Ce livre, c’est le plus complet, personne ne le conteste vraiment. Mais bon, le sexe, la violence, les drogues et les strip-teaseuses vendent mieux.
Mais si tu aimes le poker, comment passer à côté de son Histoire ?
Es-tu surpris de la pénurie de bons livres sur le poker ?
Je ne parlerais pas de pénurie. Par contre, on manque de bons films et romans sur le poker, oui. Les Joueurs, avec tous ses défauts, reste de loin le meilleur film de poker.
Je suis très surpris de la difficulté des écrivains et réalisateurs à rendre justice au poker.
Il n’y a tout simplement jamais eu de roman digne du poker, alors que celui-ci est tellement adapté au format écrit.
Le basket ou le foot sont trop dynamiques pour être efficaces à l’écrit par exemple, mais le poker peut au contraire être sublimé.
Certains des livres de non-fiction sur le poker sont extrêmement bien écrits en termes de narration. Les livres de Hansen ou de Harrington sont par exemple très drôles, en plus d’être très utiles.
Penses-tu qu’à l’instar de Les Joueurs, un autre grand film sur le poker pourrait avoir un impact fort sur l’industrie du poker ?
Il était déjà censé y avoir un autre film comme ça, et finalement on s’est retrouvé avec Runner, Runner... Ben Affleck est un ami à moi, mais ce film était nul.
Pour Lucky You, ils ont regroupé toutes ces stars, ils ont reconstitué la salle du Bellagio, ils ont fait venir des tas de joueurs, et le film était insupportable.
C’est presque incroyable tellement c’est nul.
Je pense que mon livre est un roman de qualité honorable. Je suis persuadé que beaucoup seront attirés par le côté poker, mais je pense qu’il peut toucher un public plus large.
Que penses-tu de l’état actuel du poker ?
Je joue depuis 1959. A l’époque, il n’y avait pas un joueur en dessous de 40 ans en table finale. La moyenne d’âge frôlait les 50 ans.
On avait presque pitié pour les jeunes, on se disait qu’ils n’auraient jamais le plaisir de jouer au No-Limit Hold’em.
Il n’y avait qu’une poignée de joueurs. Et puis quatre ou cinq ans plus tard, on a arrêté de se moquer des “joueurs d’Internet”.
Et plus je vieillis, plus la différence est flagrante.
Ce n’est pas étonnant que ces jeunes étudient la stratégie pour devenir de grands joueurs, j’en parle beaucoup dans Cowboys Full.
Estimes-tu que le poker est en bonne voie, même si les lois américaines posent toujours problème ?
Oh non, ces lois sont débiles. C’est un désastre pour le poker en ligne. Et tout cet argent auquel ils tournent le dos...
Tous les contrats des sponsors, les émissions, les joueurs... Plus rien. Ces Conservateurs, qui prônent sans cesse plus de libertés individuelles, ont supprimé celle-ci. C’est scandaleux. Le poker, c’est l’essence de l’Amérique, et on ne peut même plus y jouer. C’en est presque drôle... sauf qu’en fait non.
Tu t’amuses toujours autant lorsque tu joues ?
Je suis là ! J’attends ce moment depuis des mois. Je joue souvent chez moi et je fais quelques tournois à Chicago. Mais toute mon année tourne autour des WSOP.
C’est un jeu fascinant. Je joue au poker, j’écris sur le poker et j’enseigne même l’Histoire du poker. Toute ma vie tourne autour du poker.
Note: à l'heure où nous publions cette interview, James McManus a obtenu 4 places payées aux WSOP cette année, toutes dans des tournois de No-Limit Hold'em à 1.500$. Il en est donc à 17.