Bien qu'il ait été le premier Japonais à remporter un bracelet et que cela lui ait permis de réaliser des dizaines d'interviews dans la presse écrite, à la radio et à la télévision, Naoya Kihara déplore le fait que beaucoup de Japonais ignorent encore beaucoup de choses sur le poker.
« Les gens [au Japon] pensent encore que le poker se limite au 5-card draw (poker fermé à 5 cartes) et qu'il n'y a pas de mises » explique Kihara. « Ils pensent qu'il s'agit juste de tirer les cartes et hop, je gagne ou je perds. »
« Presque 98 % des Japonais pensent cela. Quand je dis que je suis joueur de poker professionnel, ils s'imaginent que je sais juste choisir quelles cartes garder ou jeter. Pour eux, le poker c'est 95% de chance et 5% savoir quelles cartes jeter. C'est n'importe quoi ! »
Heureusement, les mentalités sont en train d'évoluer petit à petit, en grande partie grâce à la popularisation du poker-loisir. Malgré quelques débats sur la légalisation des casinos, les jeux d'argent sont pour l'instant toujours interdits au Japon.
« Si les joueurs payent et gagnent de l'argent, c'est illégal » confirme Kihara. « Mais si les joueurs payent de l'argent au bar par exemple, mais qu'il n'en gagnent pas, alors il n'y a pas de problème. Si c'est un tournoi gratuit et que les joueurs ne payent pas mais peuvent gagner de l'argent, c'est bon aussi. Mais payer ET gagner, c'est illégal. »
Le poker-loisir toujours roi au Japon
C'est cette « faille » que le poker-loisir exploite.
« Les clients, les joueurs, payent, puis ils mettent en place un système de points. Le meilleur joueur de la saison remporte un package pour Macao ou quelque chose dans ce style. La police n'y trouve rien à redire. »
Kihara explique que ces salles de poker sont apparues il y a cinq ou six ans et qu'à l'époque il n'y avait qu'une vingtaine ou trentaine de joueurs au total. Aujourd'hui, la plus grande salle du Japon accueille entre 30 et 40 joueurs par jour et une soixantaine les week-ends.
« C'est en pleine expansion. » ajoute Kihara.
Et si certains sont optimistes quant à la légalisation du poker une fois les casinos devenus légaux, Kihara reste sceptique. La raison ? Le mah-jong.
« Il est évident que si le gouvernement autorise l'ouverture d'une salle de poker légale dans un casino, les salons de mah-jong vont monter au créneau pour demander eux aussi à être légalisés. C'est pour cela que je ne crois pas du tout à la légalisation du poker au Japon. »
Le mah-jong est tout aussi illégal au Japon que le poker, mais il est tellement populaire qu'il est impossible de l'arrêter.
« Il y a 10 000 salons de mah-jong au Japon, c'est énorme. Il y a 20 ans, il y en avait 30 000. C'est complètement fou. Et dans tous ces salons, de l'argent circule. C'est absolument illégal.
Mais il y en a trop pour que le gouvernement fasse quoi que ce soit. Mêmes les agents de police jouent. Impossible d'appliquer la loi. »
Du poker au casino, plus de pression sur les salons de mah-jong illégaux
D'après Kihara, les autorités se concentrent sur les parties à hauts enjeux, mais légaliser les casinos pourrait leur compliquer la vie.
« Le problème, c'est que s'il légalise les casinos, le gouvernement pourrait décider de durcir les lois contre le mah-jong, pour pousser les gens à aller au casino. Je n'en sais rien. »
C'est pourquoi Kihara pense que le futur du poker au Japon passe par les poker-loisir.
« [Le poker sera peut-être légalisé] dans 20 ou 30 ans, mais pas dans un futur proche. Le poker-loisir ne pose pas de problème, cela permet d'apprendre le poker et les joueurs peuvent ensuite aller à Macao ou en Corée pour participer à des tournois. C'est déjà très bien.
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Naoya Kihara : « Chacun son style, amusez-vous ! »
(24/09/13)
Une question taraude tout l'industrie du poker depuis maintenant quelques années : comment amener des amateurs au poker et, surtout, comment les convaincre de continuer à jouer ?
Dans une industrie qui a constamment besoin de sang neuf, on s'est surtout occupé des grinders à plein temps ces dernières années.
De notre côté, chez PokerListings, nous nous sommes lancés dans une toute autre mission : nous essayons depuis toujours d'amener durablement de nouveaux joueurs vers le poker. Et c'est l'essence même de nos tout premiers Trophées « L'Esprit du Poker » PokerListings.
Il s'agit en effet de récompenser les joueurs qui, en plus d'avoir du talent, incarnent véritablement le poker et font leur possible pour inspirer de nouveaux joueurs.
Trois trophées ont été décernés cette année et seront officiellement remis lors de la Battle of Malta, avec en point d'orgue celui du Trophée du joueur le plus inspirant.
Avec des gros clients comme Daniel Negreanu, Max Lykov ou Marvin Rettenmaier en lice, la victoire de Naoya Kihara était bien loin d'être acquise d'avance.
Pourtant, ceux qui ont déjà eu la chance de le rencontrer savent à quel point le jeune joueur japonais est dévoué au poker et toute la positivité qu'il y apporte. Nul doute qu'eux n'ont pas été surpris de cette récompense.
Nous sommes ainsi très heureux de voir Naoya Kihara tout en haut du palmarès des joueurs les plus inspirants pour 2013, l'occasion pour parler un peu plus de lui, évoquer avec lui cette récompense, sa carrière et ses idées pour que le poker continue à se développer.
Naoya, il y avait quand même une sacrée concurrence à tes côtés pour le Trophée du Joueur le plus inspirant. Qu'est-ce que ça fait de dominer de tels joueurs ?
Honnêtement, je suis très surpris – et très heureux – d'avoir remporté ce titre. Pour moi, cela veut également dire que le monde du poker reconnaît enfin le marché japonais, et que je dois continuer à montrer à quel point le poker est génial !
Personnellement, est-ce qu'un joueur en particulier t'a inspiré ?
Quand je suis allé à Vegas pour la première fois il y a quatre ans, j'ai joué contre un Chinois. Il jouait 50% de ses mains et faisait des bluffs et des "value bets" géniaux. Tous les autres bons joueurs que j'avais croisés avant lui jouaient de manière serrée-agressive, c'était la première fois que je rencontrais un très bon joueur large-agressif.
Et puis l'année dernière aux ACOP j'ai joué contre Joseph Cheong (entre autres finaliste du Main Event 2010 NDLR). À l'époque, je pensais qu'il n'y avait pas vraiment besoin de se préoccuper des cotes implicites, mais depuis j'ai appris à mieux les utiliser.
Quel conseil donnerais-tu aux joueurs, jeunes ou moins jeunes, qui se lancent dans le poker aujourd'hui ?
Aux nouveaux joueurs, je conseillerais de jouer énormément de mains et de s'essayer à différentes variantes de poker. Je me suis mis au Pot-Limit Omaha il y a deux ans, et cela m'a beaucoup aidé à améliorer mon jeu en No-Limit Hold'em. L'année dernière, j'ai commencé à jouer en 8-games, ce qui m'a appris à mieux gérer les parties en limit.
Aux autres, je conseillerais de continuer à s'éclater de ne pas systématiquement essayer de s'adapter au jeu des nouveaux joueurs. Je pense qu'il faut garder son style et s'amuser, c'est la meilleure chose à faire.
À ton avis, que doit faire le monde du poker pour attirer de nouveaux joueurs ?
Le plus important, c'est de montrer à quel point le poker est amusant et excitant. Quand les gens parlent du poker, on s'attarde trop souvent sur les grosses sommes qui vont avec.
Tout cet argent peut faire peur, mais les gens doivent savoir qu'on peut jouer des tournois sans être un millionnaire et surtout qu'on peut s'amuser au poker, même quand on débute.
Et qu'est-ce qu'on doit à tout pris arrêter de faire ?
Parfois, lorsque des débutants font des erreurs, certains joueurs aiment remuer le couteau dans la plaie. Ces joueurs ne se rendent pas compte que ce qu'ils font est très mauvais pour le poker.
Le poker est un jeu et les erreurs en font partie. Un débutant qui mise alors qu'il n'aurait pas dû d'un point de vue statistiques ne fait rien de mal, et en tout cas rien qui justifie qu'on lui crie dessus.
D'un point de vue légal, la situation du poker au Japon est un peu complexe. Mener une carrière professionnelle dans un pays où le poker est "incompris" ne doit pas être simple.
C'est vraiment très difficile de devenir joueur professionnel au Japon car il y a très peu de joueurs et les parties live sont interdites. Pour pouvoir aller jouer à Macao ou à Vegas, il faut déjà avoir assez d'argent pour se payer le voyage et l'hôtel.
Par contre, une fois que tu es professionnel, c'est quand même plus simple. Maintenant j'ai assez d'expérience pour gagner assez d'argent et voyager tranquille.
Les trois avantages à être un pro japonais :
- Les Japonais n'ont pas besoin de visa pour se rendre dans de nombreux pays du monde,
- le Japon est un pays très sûr, on n'a jamais besoin de se préoccuper des cambriolages,
- et du coup, beaucoup de magasins sont ouverts 24h/24 !
Est-ce que la communauté poker japonaise a tenu un rôle important dans ton succès ?
Oui, « hyahhoo » - le plus grand forum de poker japonais – m'a toujours beaucoup soutenu. Beaucoup de gens ont voté pour moi pour ce Trophée, et j'imagine que beaucoup des votes sont venus du forum « hyahhoo ».
Une section du forum est dédiée à l'analyse des mains, et j'essaye de donner beaucoup de conseils à tout le monde. Mais parfois la discussion me permet aussi de m'améliorer.
Qu'est-ce qui pourrait inspirer des nouveaux joueurs à se mettre au poker, tant au Japon que sur le circuit ?
Au Japon, nous avons des jeux comme le Shogi, l'Igo ou le Mahjong qui sont très populaires. Mais ils sont très compliqués.
En expliquer les règles est plus compliqué que d'apprendre tout le 8-game à un débutant. Les règles du poker sont claires et simples, ce qui est compliqué c'est de devenir bon.
Et puis quel que soit le pays, tout le monde aime l'argent ! S'améliorer pour pouvoir gagner beaucoup d'argent, c'est un rêve. Moneymaker l'a prouvé en 2003 et je l'ai prouvé aux Japonais l'année dernière.
Que penses-tu de la Battle of Malta ? Quel est ton objectif pour le tournoi ?
C'est la première fois que je vais participer à ce tournoi. En plus, j'en profite pour passer ma lune de miel à Malte. J'ai vraiment hâte de profiter des paysages et de la mer.
Un petit mot pour tes fans et ta famille ?
Le poker est un jeu génial, alors amusons-nous tous ensemble !