Le scandale de la table finale du Partouche Poker Tour 2009 a allumé les braises d'un grand débat au sein de la communauté poker, qui pourrait se résumer en une question : "que faire face aux dérives présumées ?". Nous avons interrogé Matthieu Escande, docteur en droit et spécialiste en droit international des jeux.
Lors d’une constatation ou suspicion d’irrégularité lors d’un grand tournoi de poker, vers quel organisme ou juridiction porter ses doléances si l’organisateur ne réagit pas : ARJEL ? Police des Jeux ? Justice ? Qui est compétent en la matière ?
Plusieurs pistes sont envisageables si un ou plusieurs joueurs s’estiment lésés et avoir été victimes de tricherie ou de supercherie. Tout d’abord, il convient de noter que l’ARJEL n’a aucune compétence sur l’organisation et l’exploitation des jeux hors ligne. Par conséquent, la situation doit être appréciée selon que le tournoi ait été organisé sur Internet ou non.
Quelles que soient les conditions d’organisation du tournoi (en ligne ou hors ligne), le procureur de la république est compétent en matière pénale. Une plainte peut donc être déposée directement au parquet ou auprès des services de polices. Le procureur pourra ainsi diligenter une enquête de police et rapporter des éléments de preuve afin de pouvoir qualifier les faits sous les termes d’une infraction pénale. Les joueurs mécontents pourront probablement se constituer partie civile.
Une autre voie de recours existe. L’affaire peut être portée devant une juridiction civile. Toutefois, une telle action ne peut aboutir que dans le cas où le tournoi a été légalement organisé, selon les lois dérogatoires à la prohibition des jeux.
Quels éléments sont-ils nécessaires pour pouvoir déposer plainte ? Si l’on prend l’exemple d’une vidéo filmée lors d’un grand tournoi, à quel moment passe-t-on de constatations subjectives à des éléments recevables ? Où se situe la frontière ? Y a-t-il par ailleurs un délai pour agir ?
Pour pouvoir déposer plainte ou exercer un recours devant une juridiction civile, il faut tout d’abord avoir un intérêt à agir. En d’autres termes, il faut avoir été victime de la tricherie.
De toute évidence une vidéo est recevable (sauf exception) et semble être une preuve de taille dans la démonstration des faits, à condition que les manœuvres constitutives de la tricherie apparaissent clairement sur la vidéo.
Concernant les recours, si la voie pénale est choisie, la tricherie ou la supercherie peut être qualifiée d’escroquerie. Etant un délit, la prescription de l'action publique est de trois années révolues (art. 8 du C. pr. pén.).
S’agissant de l’action civile à l’égard des joueurs et/ou de l’organisateur, le délai pour agir est de 5 ans en matière contractuelle et délictuelle (pour cette dernière le point de départ est flottant : le jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits permettant de l'exercer art. 2224 C. civ).
Dans l’hypothèse d’une irrégularité constatée a posteriori, que sont en droit de réclamer les participants, que ce soit ceux ayant directement été confrontés aux faits, ou les joueurs ayant tout simplement pris part au tournoi ? Quels types de sanctions encourraient les organisateurs ?
Il est difficile d’indiquer quelles sanctions encourt l’organisateur dans un tel cas, mais en toute hypothèse sa responsabilité peut être recherchée. Le remboursement des sommes engagées serait un début, mais l’organisateur se retrouve face à un dilemme. L’aveu d’un dysfonctionnement dans l’organisation du tournoi de poker nuirait gravement à sa réputation notamment dans un domaine aussi sensible que les jeux d’argent et de hasard.
L’affaire du Partouche Poker Tour a jeté le trouble auprès des joueurs, et aura fait naître bon nombre de rumeurs plus ou moins appuyées selon lesquelles les irrégularités sont monnaie courante au poker live, dans certaines parties, cercles ou casinos. Avez-vous vous-même déjà été contacté ou mis au courant à propos de telles pratiques et irrégularités ?
Comme vous le signalez, il s’agit de rumeurs et on ne peut se substituer à la police ou au procureur de la république et encore moins à la justice.
Deux facteurs importants doivent être soulignés car ils engendrent les rumeurs relatives à l’irrégularité des parties de poker : Tout d’abord, il est sociologiquement et anthropologiquement incontestable que les jeux d’argent et de hasard incitent à la fraude ; ensuite, la superstition des joueurs brouille parfois la compréhension du jeu et de son résultat.
Il faut donc faire la part des choses et rester prudent, mais il est irréfutable que la fraude existe dans le milieu du poker et plus généralement dans le domaine des jeux d’argent. Les risques sont potentiellement accrus sinon les législateurs du monde entier ne seraient pas aussi sévères et rigoureux dans l’élaboration des lois qui encadrent les jeux d’argent et de hasard.
Quelles devraient être selon vous les mesures pour garantir la bonne tenue d’un tournoi de poker, sans triche et équivoque possible ?
J’étudie depuis plusieurs années les jeux d’argent et de hasard du point de vu du droit mais aussi à partir de la sociologie, de l’économie, de la culture, des religions, de la philosophie et de leur histoire. Rien ne laisse penser que le poker (défini comme jeu de hasard) échappera un jour aux irrégularités dans le déroulement des parties.
Le poker se heurte à la nature humaine et, au surcroît, à la tentation toujours plus grande, des gains toujours plus importants avec des lois beaucoup moins strictes et rigoristes. La place est laissée aux marchands, aux publicitaires, aux stars du cinéma et du sport, démontrant ainsi une politique économique de marchandisation du jeu en plaçant le poker au rang de service commercial, puis le joueur en tant que consommateur. Un grave relâchement du législateur est à observer.
Également, un lien évident doit être opéré entre la triche dans le poker et la corruption qui frappe aujourd’hui le monde du sport. Il y a une convergence des symptômes. Dans les deux cas, joueurs de poker et parieurs sportifs sont face à un aléa dont ils envisagent de réduire le champ d’intervention soit par leurs compétences propres, soit par des moyens déloyaux. Parfois, certains franchissent le pas et violent les règles du jeu à leur avantage, à l’insu des autres participants.
Par conséquent, il y a lieu de penser au contraire que la situation des joueurs de poker va se dégrader et qu’aucun moyen nécessaire pour garantir la bonne tenue d’un tournoi de poker ne doit être attendue de la part du législateur. Cette mission pourrait revenir aux organisateurs qui filmeraient, sous contrôle d’huissier, les tables finales et les participants lors de grands tournois.
Pourquoi ne pas interdire autour des tables les lunettes de soleil, les casquettes et les écouteurs ? Ces mesures retireraient certes une part de folklore (américain) au poker, mais elles renforceraient le principe de loyauté entre les concurrents.
Je doute toutefois que de telles mesures soient adoptées puisqu’elles auraient probablement des retombées économiques néfastes sur l’exploitation du poker...
merci à Matthieu Escande, Docteur en Droit et Spécialiste en Droit International des Jeux d'Argent
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