De son départ de PMU Poker, à ses prolifiques carrières de footballeur professionnel et de joueur de backgammon, sans oublier son regard sur le poker, l'Equipe de France de foot et la Ligue 1. Jean-Philippe Rohr a abordé de nombreux sujets avec PokerListings, toujours avec passion et sans langue de bois.
Jean-Philippe, tout d'abord on a donc récemment appris que tu quittais PMU Poker. Tu peux nous en dire plus sur les raisons ?
Mon contrat avec PMU poker s’est terminé le 30 octobre. Il y a quasi deux mois j'ai appelé le directeur de PMU poker pour lui annoncer que je ne le renouvellerai pas. Sans rentrer dans les détails, disons que j'ai eu quelques problèmes avec le team manager, et à cause de lui je ne tenais plus à porter les couleurs de PMU poker.
Pourtant, dans ma carrière sportive, j'en ai eu des boss : des entraîneurs, des directeurs sportifs, des présidents... Mais un comme ça, jamais.
Je garde un souvenir fantastique de tous mes présidents et entraîneurs, sauf un, Carlos Bianchi – qui pourtant avait une excellente réputation, à Nice.
Sinon j’ai eu Wenger pendant 2 ans, avec qui j’ai été champion de France avec Monaco. C'était fantastique. J’ai joué 36 matches et j’ai même eu la meilleure moyenne de l’équipe sur l’année aux notes de L’Equipe. Avec Amoros, Glenn Hoddle... qui pour moi était plus fort que Platini.
Pour en revenir à PMU, tes coéquipiers de la Team ne sont pas déçus ?
Tu sais, le poker n'est pas un sport collectif, même si certains sites comme Winamax arrivent à créer un véritable esprit d'équipe.
Winamax ce n’est pas une facade, c’est une vraie belle équipe.
Tu te verrais dans une équipe comme ça ?
Oui pourquoi pas. En plus leur Team Manager, Stéphane Matheu, lui c'est la Rolls Royce.
Du coup comment tu vois les choses pour toi niveau sponsoring ?
Pour l'instant je ne m'en fais pas trop. Avec ou sans sponsor, je continuerai à faire les EPT qui me plaisent. Joueur de poker n'est pas mon métier, j'ai la chance de pouvoir m'offrir des tournois, j'en profite.
Quel est ton "vrai" métier ?
Un an et demi après avoir arrêté le football, j'ai commencé une activité de marchand de biens immobiliers : j'achète des villas sur la côte, que je rénove et revends. Je fais ça depuis 20 ans.
Pour moi, le poker, comme le backgammon à l'époque, c'est un loisir. D'ailleurs j'ai été contrôlé fiscalement, et le fisc a reconnu que je n'étais pas du tout joueur professionnel de poker.
En terme de temps, le poker représente un centième de mon activité.
Tu as quand même un joli palmarès poker (5 places payées EPT dont une 17ème place à Campione en 2012, 4 places payées WPT dont 3 Top 20, 2 places payées WSOP, une table finale du PPT, une victoire dans le High Roller du WPT Mauritius en 2012, soit près de 800 000 $ de gains en tournois depuis 2008). Quel est ton meilleur souvenir ?
Je pense que ça doit être mon premier gros tournoi, le Partouche Poker Tour en 2008. J'étais un vrai novice du poker à l'époque, et j'ai réussi à atteindre la table finale. C'était vraiment magnifique.
(après réflexion) Non, si je devais donner mon meilleur souvenir, c’est quand j’ai gagné le JOA à Antibes il y a trois ans. La table finale était sur la plage, une table finale à laquelle participait aussi mon futur beau-frère, et ma femme et mes enfants de 7 et 4 ans étaient là.
Gagner devant eux, c'est ça mon plus beau souvenir. Ils ont même pu monter sur l'estrade, vu qu'on n'était pas dans le casino et qu’ils avaient le droit d’être là.
Pouvoir fêter un titre au poker avec ses enfants, c'est quelque chose d'unique.
Aujourd'hui, au poker quels sont tes objectifs, tes ambitions ?
Me faire plaisir principalement, mais je reste un compétiteur. Que je fasse un tournoi à 50€ ou à 10 000€, je le fais pour gagner.
Bien sûr j'aimerais gagner un bracelet, mais j'essaye surtout de jouer mon meilleur poker et de faire de mon mieux dans chacun des tournois auxquels je participe.
Tu prends les tournois les uns après les autres, en quelque sorte !
Voilà ! Comme la formule bateau qu'on dit dans le football : « match après match ». (rires)
Que penses-tu de la situation du poker en France actuellement ?
Il serait normal de voter une loi qui fasse que les joueurs de poker soient imposés, comme n'importe quel salarié, n'importe quel Français qui gagne de l'argent de par son activité. Le problème, c'est la rétroactivité.
Après la jurisprudence Emile Petit, qui est d'ailleurs mon coéquipier et ami chez PMU, le Fisc s'est engouffré dans la brèche et a considéré que le poker n’était plus un jeu de hasard et donc imposable. Mais il n’y a pas un joueur de poker en France qui soit de mauvaise foi.
Par contre, je pense effectivement que si la loi prévoit une rétroactivité sur 10 ans, alors c'est injuste. Si la France avait voté une loi il y a déjà deux ans comme quoi le poker n’était pas un jeu de hasard, tout le monde y trouverait son compte, l’État comme les joueurs. Le problème c'est que là on est dans un flou artistique, et les joueurs de poker sont incapables de faire face à un redressement.
Le fait qu'il n'y ait pas de loi en France conduit en plus les joueurs à s'exiler. Tout le monde y perd.
Bien que tu sois essentiellement un joueur de tournoi live, est-ce que tu joues quand même online ?
Après ma journée de travail, j'aime bien faire deux ou trois tournois, mais vraiment de manière récréative et pas très sérieuse. Online, j'ai tendance à bâcler un peu parce que je dois me lever de bonne heure tous les matins et je culpabilise si je ne vais pas me coucher.
Pour en revenir à ton activité de marchand de biens immobiliers justement, tu t'y es lancé après le backgammon ?
Non, le backgammon et le poker ont toujours été des loisirs. Ils m’ont permis de retrouver des sensations, les sensations du sport.
J'ai arrêté ma carrière de footballeur sur blessure et j'ai donc commencé à acheter des appartements, à les rénover et à les revendre. Ensuite, des villas. Je bosse sur la Côte d'Azur et dans le Var, de Monaco à Saint-Tropez.
Depuis deux ou trois ans la situation est devenue plus compliquée au niveau de la conjoncture, de la frilosité des banques et de l'immobilier. Ce n’est pas une période euphorique comme j’ai pu en connaître.
Parlons maintenant football. Est-ce que 1984 reste ta meilleure année, avec le titre olympique à Los Angeles et la Coupe de France ?
Oui, même si j'ai aussi été champion de France après avec Monaco. Mais gagner la Coupe de France, les J.O... et battre Barcelone en matchs aller-retour en allant gagner 4-1 au Camp Nou avec Metz... Tout ça en quelques mois !
En 1987, tu as ensuite connu ta première sélection en équipe de France A pour jouer contre l'URSS.
En fait j'avais déjà été dans le groupe une dizaine de fois, mais je suis rentré en jeu pour la première fois pour ce match-là. Il faut savoir que c'est aussi à partir de ce moment-là que j'ai commencé à jouer blessé.
Ça reste quand même un bon souvenir ou ça te laisse des regrets ?
Ce sont des bons souvenirs. Nice avait une équipe incroyable à l'époque, on a raté l'Europe d'un point, avec Daniel Bravo, Jules Bocandé, qui est décédé l’an dernier et qui était quelqu’un d’exceptionnel, ...
Et puis contre Bordeaux j’ai été taclé par Alain Roche, et là tout s'est enchaîné. J'ai voulu rejouer trop vite, j'ai dû me faire opérer d’une tendinite suite à l’entorse... Résultat, j'ai passé les trois ou quatre années suivantes à jouer avec des infiltrations de cortisone dans le tendon. Je n'ai jamais pu rejouer à 100%.
En équipe de France, j'étais à 50% de mes moyens. Je jouais avec des piqûres dans le tendon.
Puisqu'on parle de l'équipe de France, est-ce que tu peux nous donner ton avis sur ce qu'il se passe actuellement ?
Comme l'a dit Platini récemment, je pense qu'après ce qu'il s'est passé à Knysna, les joueurs auraient dû être suspendus à vie. On ne bafoue pas le « coq » comme ça ou le maillot de l’Equipe de France.
À l'époque de la fameuse grève, j'étais à Las Vegas pour les WSOP et ça faisait la une des journaux télévisés aux États-Unis, qui ne sont pourtant pas un pays de football. On avait jamais vu ça.
Pour moi, ce genre de comportement aurait pu entraîner une suspension à vie, voire au moins de 10 ans. Il suffit de voir l'opinion des Français sur les joueurs concernés... Les gens n'arrivent plus à s'identifier à eux.
En se qualifiant pour la Coupe du Monde, ça atténuera peut-être un peu cette cassure, mais pas complètement. Je pense qu'il aurait fallu être radical.
Peut-être que cette équipe reflète un peu notre société ?
Complètement, oui.
Il faudrait faire une belle Coupe du Monde, c'est la seule chose qui pourrait faire oublier cet épisode de 2010. Le problème, c'est qu'on a une génération qui footballistiquement a du talent, mais qui moralement est très éloignée des valeurs françaises. Et le problème c’est que plus personne ne s'identifie à cette équipe, les gens sont déçus et peu concernés. Beaucoup ne regardent même plus les matchs.
Reparlons un peu de notre football hexagonal. Tu as donc été champion en 1984 avec Monaco. Le club a bien changé depuis, tout comme la Ligue 1. Qu'est-ce que ça t'inspire ?
Personnellement, je trouve ça génial. Voir des équipes comme le PSG ou Monaco en Ligue 1, je trouve ça exceptionnel. Qu'elles aient été montées par des mécènes, peu importe. L'important c'est qu'aujourd'hui on a des équipes qui peuvent enfin rivaliser avec les meilleures équipes européennes, c’est une bonne chose.
Aujourd’hui les supporters de tous les clubs français vont voir leurs stades pleins quand Monaco ou Paris viendront jouer.
Mais est-ce que ça ne va pas trop déséquilibrer le championnat et le rendre moins intéressant ?
Si on veut tendre vers la médiocrité et se satisfaire du « pas mal », alors très bien, fermons la porte aux Russes et aux Qataris, et on aura un championnat très moyen.
Il faut être conscient qu'aujourd'hui c'est le seul moyen de rivaliser avec les meilleurs clubs d'Europe.
Pour moi qui suis un fan du beau jeu, regarder jouer le PSG est un vrai plaisir.
Le travail qu'a fait Ancelotti l'année dernière est exceptionnel pour que la mayonnaise prenne, il a fait 90% du travail, et Blanc en récolte les fruits aujourd'hui. En ayant en plus peaufiné leur recrutement ils semblent aujourd'hui être au niveau d'équipes comme Barcelone, le Bayern ou Manchester.
Monaco est encore un ton en dessous, mais c'est normal, ils sont encore en rodage.
En tant que messin et après y avoir joué 7 saisons, j'imagine que tu suis toujours le FC Metz. Ce n'est pas trop douloureux de voir ton club batailler en Ligue 2 ?
Il y a eu des moments très difficiles, mais là j'ai l'impression que le club a retrouvé un certain sérieux une certaine rigueur, notamment avec Albert Cartier, l'entraîneur.
Je pense que le club est bien parti pour peut-être remonter cette année, on verra.
Tu n'as jamais envisagé ou eu envie de revenir dans le monde du football ?
(catégorique) Jamais. J'ai passé mes diplômes d'entraîneur quand j'étais blessé, mais je n'avais pas la mentalité pour être entraîneur.
Je ne sais pas si j'aurais supporté de me voir imposer des joueurs par le président, pour ensuite me faire virer si ça ne fonctionne pas. A part à Auxerre période Guy Roux ou les managers à l’anglaise, c'est comme ça que ça se passe dans tous les clubs. Ce sont les présidents qui recrutent. Tu crois que Blanc a quelque chose à dire sur les joueurs recrutés par le PSG ?
Et puis je me suis lancé dans l'immobilier tout de suite après ma carrière et ça m'a beaucoup plu.
J'apprécie toujours de participer aux réunions d'anciens de mes divers clubs, de jouer quand je pouvais, mais je ne tiens pas du tout à jouer un rôle plus sérieux dans le football.
Qu'est-ce que le football t'a apporté au niveau du poker ?
Surtout l'esprit de compétition, au sens large du terme : la préparation, la patience, l'envie de gagner.
C'est grâce à ça que j'ai pu compenser beaucoup de mes carences quand j'ai commencé le poker : l'envie de gagner, la gestion de la pression, ne pas craquer, rester serein quoi qu'il arrive. On voit parfois des joueurs même parmi les meilleurs perdre pied, soit physiquement soit mentalement.
Dans cette mesure, avoir un passé d'athlète de haut niveau est vraiment un atout.
Après ta carrière de footballeur, tu as donc également fait du backgammon. Tu as notamment été champion de France en 1999 et 2005 et champion d'Europe en double avec François Tardieu en 2006. Y a-t-il des parallèles que l’on peut établir entre le backgammon et le poker ?
Encore une fois il y a l'esprit de compétition. Après, il y a aussi le calcul des cotes. C'est important au poker, mais capital au backgammon, notamment avec le « videau », un dé qui permet de doubler une partie quand on est en avance. Il faut notamment savoir si l’adversaire doit prendre ce videau, pour lequel il faut théoriquement 25% de chances, mais certains choisiront de le prendre à 10 ou 15%... C’est un peu comme au poker quand un joueur va craquer et payer alors qu’il n’a pas la cote.
Le backgammon est vraiment un jeu de cotes, et il faut savoir prendre les bonnes décisions au bon moment. On dit qu'il y a 40% de technique, 30% de mental et 30% de chance.
Comme au poker on joue aussi au backgammon en cash games et en tournois.
En fait, beaucoup de très bons joueurs de backgammon sont devenus des très bons joueurs de poker : Gus Hansen, Leo Fernandez, Tom McEvoy, Paul Magriel qui a été l’un des meilleurs joueurs de backgammon au monde, Dan Harrington, etc.
Est-ce que, comme au poker, tu peux influencer l'adversaire, le perturber, ... ?
Le backgammon est plus cartésien. Il n'y a pas de bluff au backgammon, donc il est plutôt impossible de pousser un bon joueur à prendre une mauvaise décision.
Il y a un logiciel, Snowy, qui analyse les parties et joue au niveau 0. Plus tu es proche de ce qu'il fait, mieux tu joues. Tu peux perdre un match 15-0 en ayant joué parfaitement.
Mais les bons joueurs de backgammon vont toujours prendre la bonne décision.
Est-ce qu'il y a différents styles de jeu au backgammon ?
Oui, certains joueurs sont très agressifs. Mais il faut toujours essayer de trouver le juste milieu entre être agressif et plus passif.
Est-ce que, comme au poker ces derniers temps, certaines règles sont un peu controversées ?
Il y a plusieurs variantes du backgammon – on peut par exemple jouer « à la pendule », comme aux échecs. Sinon, certains joueurs aiment jouer très vite, « au tempo », alors que certains aiment prendre énormément de temps, parfois des dizaines de minutes de réflexion pour jouer un coup parce qu’ils font des calculs inimaginables...
François Tardieu par exemple, qui a été mon mentor au backgammon et au poker, était le meilleur joueur français de backgammon et faisait partie des trois meilleurs joueurs du monde quand il jouait encore. Lui mettait longtemps à jouer parce qu'il se lançait dans ces fameux calculs mathématiques pour connaître la cote exacte à tel ou tel moment de la partie.
Est-ce que l'expérience acquise au backgammon t'a servie dans le poker ?
Bien sûr, c’est évident que ça m’a beaucoup aidé, autant au niveau du calcul que du mental, de la rigueur... Le backgammon m'a aussi appris à toujours essayer de jouer le meilleur jeu possible, qu'il s'agisse d'un tournoi à 50€ ou à 10 000€.
J'étais un dernier rescapé à continuer à jouer au backgammon, tous mes copains étaient partis vers le poker. Moi je suis parti tard, en 2007 ou 2008. C'est pour ça que j'ai fini par faire pareil même si intrinsèquement, je pense que je préfère le backgammon au poker. Malheureusement, entre mon activité professionnelle et le poker, je n'ai plus vraiment le temps d'y jouer. Quand je fais quelque chose j’essaie de le faire le mieux possible, et le backgammon demande beaucoup d'entraînement et de pratique.
Il y a des joueurs professionnels de backgammon ?
Moi je n'ai jamais été pro, mais il y a effectivement des joueurs professionnels de backgammon.
Comment se chiffrent les gains d'un joueur pro de backgammon ?
Aujourd'hui, le backgammon a perdu beaucoup d'adhérents par rapport à il y a une dizaine d'années, avant l'avènement du poker.
Mais quand on pense que l'année dernière à Monaco [en 2010 en fait NDLR], Gus Hansen est chip leader du High Roller après le Day 1 et ne vient même pas au Day 2 parce qu'il joue au backgammon dans sa chambre, et il gagne 2 millions et demi de dollars en un week-end...
C'est comme au poker, il y a à la fois des tournois et des « cash games ». Il y a par exemple les championnats du monde à Monaco chaque année, et à Las Vegas aussi, où j'ai été demi-finaliste.
A l'époque, l'entrée était à 1 500€ et à Monaco il pouvait y avoir jusqu'à 350-400 joueurs pour gagner 130 000€. Maintenant il sont moins nombreux, 130 environ.
Est-ce que le backgammon est aussi télévisé ou retransmis ?
Ils ont essayé, le problème c'est que comme les échecs, c'est aussi assez peu télégénique par rapport au poker.
Il faut aussi savoir que le backgammon se joue uniquement en heads-up, ou parfois en double consulting, c'est à dire 2 contre 2.
Justement est-ce que tu penses que le poker en équipe pourrait exister, un peu sur le même schéma ?
Ce n’est pas une mauvaise idée. Ca serait sympa, d'autant que jouer en équipe rend toujours les choses plus conviviales.