Personne n’est plus qualifié que Bertrand « ElkY » Grospellier pour parler des eSports et du poker.
ElkY est d'ailleurs d’abord devenu connu lorsqu’il jouait à Starcraft en Corée au début des années 2000.
Il a ensuite bifurqué vers le monde (plus lucratif) du poker, pour être aujourd'hui devenu le meilleur joueur français de l’histoire en termes de gains en tournois live : 13,5 millions de dollars.
Depuis qu’il avait quelque peu délaissé les eSports, ce phénomène a tout simplement explosé : des jeux comme League of Legends ou Hearthstone sont tout près de devenir les sports les plus suivis dans le monde.
Mais ElkY n’a en fait jamais perdu la passion des eSports, puisqu’il a rejoint la Team Liquid pour Hearthstone en 2015.
PokerListings l'avait retrouvé durant des WSOP 2017 qui auront été très bons pour lui (grâce à une seconde place lors de l’énorme One Drop High Roller à 111 000 $ pour 2,2 millions de gains), et au milieu d'un programme chargé.
Qu’est-ce que ça a fait de démarrer l’été avec une place payée à 2,2 millions dans le One Drop ?
Ça fait vraiment du bien. C’était le plus gros tournoi des WSOP et ça veut dire que je prenais déjà de l’avance. Rien que le fait d’être chip leader sur la scène principale pendant deux jours et demi, c’était génial. Je me suis senti au top.
(...) J’essaye toujours de faire de mon mieux, mais on sait tous qu’on joue mieux quand les choses vont bien. C’est l’effet boule de neige.
Les choses marchent bien pour moi en ce moment, à Monaco, Sotchi et même aux SCOOP. Je me sens plus confiant.
Pour quelqu’un qui vient des jeux vidéo, qu’est-ce que ça te fait de voir l’évolution des eSports ces dernières années ?
Je savais que ça marcherait. J’ai été joueur professionnel de Starcraft en Corée pendant environ cinq ans. A l’époque, il n’y avait que là-bas qu’on pouvait être pro et j’étais le premier Européen à y aller.
Et là, ce n’est que le début. Ça ne va faire que progresser. Et je pense que ça finira par remplacer le sport, parce que comme le savent tous ceux qui ont grandi en jouant aux jeux vidéo, c’est bien plus intéressant de regarder des eSports.
Bon, je suis peut-être une exception, mais je n’arrive pas à m’amuser en regardant du sport à la télévision. C’est tellement lent et chiant. Il se passe beaucoup plus de choses dans les eSports.
La nouvelle génération joue aux jeux vidéo depuis l’enfance, ils passent moins de temps dehors à jouer au basket ou au foot.
Est-ce que tu considères le poker en ligne comme un eSport ? La frontière entre les deux semble très ténue...
En tout cas, il y a beaucoup de points communs entre les deux. Énormément des compétences qui permettent d’être bon au poker sont aussi utiles dans les eSports.
Mais c’est aussi un peu différent : le poker est un jeu très vieux. C’est très sympa à jouer mais, pour être honnête, c’est vraiment assez chiant à regarder. (rires)
J’adore jouer au poker hein, mais à moins qu’un de mes amis proches soit en table finale, je déteste regarder du poker. C’est assez ennuyeux et les gens mettent trop longtemps à jouer.
Même sans essayer de gagner du temps, parfois il ne se passe rien pendant des heures, ce qui n’arriverait jamais dans Starcraft ou League of Legends.
Le poker pourrait être considéré comme un eSport par définition, tout simplement à cause des compétences nécessaires, mais le fait qu’il soit difficile à suivre actuellement empêche d’attirer un public plus large.
Est-ce que tu peux nous parler un peu de l’accord entre PokerStars et la Team Liquid ?
En fait, j’ai rejoint la Team Liquid avant qu’ils aient un accord avec PokerStars. Mais pour résumer, PokerStars sponsorisait toute l’équipe.
Beaucoup de membres de l’équipe jouaient au poker avant de se lancer dans les eSports.
Il y a une vraie synergie d’équipe.
Énormément de gamers aiment jouer au poker dans leur temps libre, et vice versa pour les joueurs de poker.
Les eSports touchent une population qui a énormément de potentiel pour le poker.
Comment ça se passe côté Hearthstone ?
Je joue moins ces derniers temps, parce que j’ai été très très occupé par le poker : je suis allé à Macao, à Monaco, à Sotchi et maintenant à Vegas. Et puis j’ai participé aux SCOOP. Donc je n’ai pas beaucoup joué à Hearthstone.
Je jouerai quand j’aurai un peu plus de temps, assez pour faire des tournois. Surtout qu’à Hearthstone il faut beaucoup jouer pour se qualifier.
Je veux vraiment devenir bon à Hearthstone, mais pour ça il faut jouer plus de quelques heures par semaine, sinon ça ne sert à rien.
Les gens se plaignent beaucoup du RNG (l'aléatoire) dans Hearthstone. Est-ce que le jeu dépend trop de la chance ?
C’est très difficile à dire.
Les meilleurs joueurs se plaignent toujours, comme au poker. Les joueurs d’eSports se plaignent parce qu’ils savent que les développeurs peuvent faire évoluer les jeux.
S’il le poker avait des développeurs, ils seraient aussi sollicités en permanence par les pros pour réduire la variance.
Personnellement, je pense que le RNG a sa place dans Hearthstone. L’équilibre est toujours difficile à atteindre, mais le jeu se porte bien en ce moment.
A une époque, le RNG était peut-être trop important, notamment à l’époque de Dr. Boom et du Déchiqueteur Piloté. C’était fou avec le déchiqueteur, parce que ce qu'il te donnait pouvait aller d’un minion 4/4 à un minion 1/1. C’était un peu trop aléatoire.
Comme je le disais, c’est très dur de trouver le bon équilibre, parce que l'aléatoire est nécessaire. Il faut que tout le monde puisse gagner, c’est ce qui rend le jeu intéressant, comme au poker.
Au poker, il y a des bad beats. Mais si le meilleur joueur gagnait à chaque fois, plus personne ne jouerait. On tournerait sur 20 joueurs qui gagneraient tous les tournois, plus personne ne jouerait. Il n’y aurait plus de rêve et Chris Moneymaker n’aurait jamais gagné le Main Event.
Le RNG est essentiel. Mais il faut trouver le bon équilibre.
C’est quoi le plus difficile : joueur professionnel de poker ou d’eSports ?
Les deux sont très difficiles, mais de manière différente. La variance est beaucoup plus importante dans le poker, donc ça peut être plus compliqué mentalement, mais la compétition est bien plus féroce dans les eSports.
Il y a beaucoup moins de joueurs pros en eSports, parce que la variance est très faible. Il y a de la variance à Hearthstone, mais quand même beaucoup moins qu’au poker, et c’est une exception dans les eSports.
Dans des jeux comme Dota 2 ou Starcraft, il n’y a quasiment aucune variance. Si tu t’entraînes beaucoup, tu gagnes. C’est extrêmement compétitif.
Les deux sont donc très difficiles, mais peut-être que les eSports le sont un peu plus, juste parce qu’il y a beaucoup, beaucoup moins d’élus.
C’est un peu plus facile avec Twitch, mais ça reste très compliqué.