Cela fait 15 ans que Fabrice Soulier a rejoint le monde professionnel du poker, s'étant depuis établi comme l'un des tout meilleurs joueurs de poker français. Rencontre avec un jeune papa fier de son parcours, et un homme de valeurs.
Entre réalisation télé (notamment pour la série Un gars une fille) et le poker, Fabrice Soulier avait à l'époque dû choisir. Et aujourd'hui il ne regrette certainement pas ce choix, n'ayant jamais plus regardé en arrière. Ce qui ne l'empêche pas d'avoir su conserver une vision critique du poker, et su garder les pieds sur terre.
Fabrice tout d'abord comment s'est passée ta première Battle of Malta ? Qu'as-tu pensé de Malte en général ?
D'abord, on a été très bien accueillis ici par PokerListings. Quant à Malte, je viens ici depuis 2007 – en fait depuis que j'ai été sponsorisé par Chilipoker et Alex Dreyfus. Depuis on est devenus amis et on travaille ensemble. Donc Malte est une destination assez habituelle pour moi et pour tout dire j'envisage même d'y déménager.
J'ai bien l'intention de soutenir ce qui se fait ici, de m'investir dans le poker à Malte. Je trouve que c'est une belle destination, les casinos sont assez conciliants, et quand on voit un tournoi comme celui-ci qui est très bien organisé, avec tout ce monde, ça donne envie d'en faire plus.
Il va aussi y avoir l'EPT en mars, mais personnellement j'ai aussi envie de donner leur chance à de plus petits circuits.
Je pense qu'il faut casser le monopole de PokerStars et donc de l'EPT. J'ai aussi eu une très mauvaise expérience à Londres, dont je parlerai bientôt sur mon blog, où ils m'ont en gros volé un buy-in de tournoi. J'étais inscrit dans un tournoi et je voulais me désinscrire. Mes jetons ne tournaient pas encore, mon argent n’était pas encore dans le prizepool, mais ils m'ont dit que c'était comme ça. Ça fait dix ans que je fais les EPT et je n'étais pas habitué à cela. Je fais une trentaine de tournois sur l'EPT chaque saison, en comptant les side events, ce n'est pas très cool de leur part.
J'ai vraiment envie d'encourager les plus petits circuits pour pouvoir rééquilibrer un peu tout ça, ça me paraît beaucoup plus sain pour l'écosystème.
Donc bravo à la Battle of Malta, bravo à PokerListings, j'ai envie que ce tournoi continue, qu'il grossisse parce que c'est vraiment un très bel event. Je pense que tout le monde s'est amusé.
Comment as-tu découvert le poker ?
En fait, j'ai découvert le poker il y a très longtemps, en Corse, grâce à un copain. J'étais avec Jules Pochy et David Poulenard, qui sont d'ailleurs aussi mes partenaires sur Made in Poker. On jouait avec Antoine, qui était à l'époque un des premiers pros que j'ai rencontré, c'était dans les années 90.
Il avait 17-18 ans et s'amusait à plumer les amis de son père. Il se payait des trucs sympas, des petites motos, des vacances, il investissait... J'avais halluciné. C'est ça qui m'a ouvert cette possibilité. Ensuite j'ai oublié tout ça pendant quelques années avant d'y revenir.
Donc j'ai joué très tôt, à 16-17 ans, puis je m'y suis remis 5 ou 6 ans plus tard. Je suis monté à Paris – je suis du sud de la France – j'ai commencé à jouer dans les cercles parisiens et j'ai compris qu'il y avait du poker fermé dans ces cercles parisiens. Or je ne faisais que du poker fermé à l'époque, du Stud, du poker nullot, des jeux qui n'existent plus (rires) mais qui sont très formateurs.
C'est là que j'ai fait mes armes pendant 4 ou 5 ans, puis en 2000 j'ai arrêté de travaillé et j'ai gagné le Grand Prix de Paris. Depuis j'ai jamais regardé en arrière, jamais regretté, même si c'est parfois beaucoup d'heures passées pour finalement pas grand chose de gagné.
Après, est-ce que je recommanderais aujourd'hui aux gens de se lancer dans le poker professionnellement ? Non. Très peu de gens réussissent, c'est quasiment comme devenir sportif professionnel. Si un joueur sur 100 arrive vraiment à en vivre, c'est le maximum !
De mon côté, tant que le poker me traite bien et tant que je n'en ai pas marre, que je supporte le stress et l'adrénaline et que je me sens encore au niveau, je ne vois pas pourquoi j'arrêterais. Quand tu vois Doyle Brunson qui continue à super bien jouer... Après, peut-être que je finirai par monter un petit club pour retraités dans le sud de la France, qui sait. (rires)
Un bracelet WSOP en 2011, une liste de places payées longue comme le bras et une troisième place sur la "All-Time Money list" pour la France notamment : tu as une carrière et un palmarès assez impressionnants, mais quelle est ta plus grande fierté ?
Ma petite fille de 6 mois.
Au niveau du poker ? Je suis surtout assez fier d'être toujours là. Il y en a beaucoup qu'on a perdus le long de la route, il y en a beaucoup qui te rient au nez quand tu joues certains coups d'une certaine façon, quand tu prends certaines décisions de vie, qui ne t'écoutent pas quand tu donnes ton avis et qui finalement se cassent la gueule. Je ne suis pas content qu'ils se cassent la gueule non plus, mais moi je suis content d'être toujours là, d'avoir survécu et de participer à l'industrie avec des gens bien comme Alex Dreyfus qui lui aussi fait beaucoup pour le poker.
Voilà, d'être entouré de gens chouettes, garder la tête haute, de jamais avoir fait de mauvaises choses – j'ai beau avoir un sale caractère dans le jeu, je suis toujours honnête dans la vie et je suis droit dans mes bottes. J'en suis assez fier.
Quel est le meilleur et le pire souvenir de ta carrière ?
Je pense que mon meilleur souvenir restera mon bracelet. Il y a eu d'autres bracelets français depuis, mais cette année-là ça faisait longtemps que personne n'avait gagné de bracelet. Je me souviens avoir assisté aux finales d'ElkY et d'Elie Payan, je n'en croyais pas mes yeux. Ni quand je suis j'arrivé en heads-up avec un chip lead conséquent (6 contre 1), je savais que je pouvais gagner mais j'ai quand même dû attendre le lendemain pour jouer et cogiter toute la nuit.
Mon pire souvenir c'est mon bust au Main Event en 2009, deux ans plus tôt. J'ai deux rois, un mec fait une énorme ouverture à tapis avec deux 4, je pousse mon tapis de 40 BB avec mes deux rois, et il touche son quatre tout de suite. Derrière il me reste une dizaine de BB et je perds sur un coin flip.
Là, j'ai pleuré. Tu sors comme ça 49è, après sept jours de tournoi... Je me suis retrouvé dans les bras de Julien Brécard, on venait tous les deux de sortir et on s'est pleurés dans les bras comme deux gamins.
J'aurais pensé que tu m'aurais répondu ta deuxième place dans le Main Event des WSOPE l'an dernier.
Non, non. Déjà, une deuxième place c'est un bon résultat, et puis je ne suis pas très content de la manière dont j'ai joué le heads-up contre Adrian Mateos qui a été meilleur que moi.
C'est mon plus gros gain, mais pas aussi émotionnellement chargé que l'autre moment.
Est-ce que tu as des regrets ?
Non, pas vraiment. J'ai fait pas mal de conneries dans ma vie de joueur, j'en fais encore, mais globalement je suis assez content de ce que j'ai fait. Les erreurs font partie de mon chemin, j'essaie de travailler psychologiquement pour être de plus en plus fort, et je pense que je progresse.
Malgré la célébrité et l'argent, tu sembles être quelqu'un qui a su garder les pieds sur terre.
Je pense que j'ai eu la chance, par rapport aux jeunes joueurs qu'on voit arriver dans le poker aujourd'hui, que le succès n'arrive que vers mes 35-38 ans. J'avais déjà emmagasiné pas mal d'expérience sur la vie, j'avais travaillé pendant une dizaine d'années dans la réalisation et la production télé... Je connaissais la valeur de l'argent et l'argent ne m'a pas brûlé les doigts.
Si j'ai un conseil à donner dans cette interview aux jeunes qui commencent à jouer et qui gagnent beaucoup d'argent, c'est qu'ils ont beau penser que ça va continuer, ça ne se passe pas comme ça. Malheureusement au poker la variance vous rattrape souvent, et vous aurez forcément des moments de disette. La fatigue peut jouer, ou on ne sait pas toujours ce qu'il peut se passer dans la vie pour venir nous chambouler la tête. C'est pour ça qu'il faut profiter au maximum des périodes fastes.
On est obligé de rester simple car on ne peut qu'être humble face aux cartes. La chance ne vient pas toujours quand il le faut.
J'ai été broke quelques fois au tout début, puis une fois vraiment après ma carrière professionnelle, et je ne veux plus en arriver là. D'autant plus maintenant que j'ai une famille.
Quels sont tes objectifs dans le poker aujourd'hui ?
Aujourd'hui j'ai la chance de pouvoir dire que je suis en train de resigner avec Everest Poker. Je veux continuer sur le circuit et j'aimerais essayer de faire un peu plus de high rollers cette année. Pour l'instant je n'ai fait que celui de Barcelone depuis ma victoire à Prague. Je n'ai pas fait celui de Londres parce que je n'étais pas en forme, mais j'aimerais en faire un peu plus tout en restant raisonnable par rapport à ma bankroll, les 10 000 mais peut-être pas les 25 000 ou 50 000.
Par rapport à Everest je suis content, parce que c'est vraiment un partenariat durable et on s'entend bien.
Qu'est-ce que t'inspire la situation actuelle en France, notamment au niveau des cercles ?
Je suis un peu resté en retrait là-dessus, même si c'est un sujet qui me touche. J'aimais bien passer à l'ACF pour un gros tournoi comme le WPT, ou pouvoir aller manger avec Bruno Fitoussi. Mais sinon j'habite à Londres depuis quatre ans maintenant, je joue très peu en France.
Ça m'attriste, mais j'avoue que je ne suis pas très informé. Est-ce que c'est un lobbying des casinos français ? Je n'en sais rien mais je n'y crois pas trop. Est-ce que c'est l'acharnement d'un juge ? Je n'en ai aucune idée.
C'est aussi grâce au poker que tu as rencontré ta femme que l'on connaît bien aussi sur le circuit, Claire Renaut.
On s'est rencontrés sur la première émission NRJ PokerStars. ElkY et moi étions profs, Clara Morgane animait et on avait Marion Nedellec, Guillaume Cescut, Adam Lounis, Sabrina Derdar, et Claire donc comme élèves. On emmenait tous ces gens-là à Las Vegas.
Claire s'est retrouvée là-dedans un peu par hasard. C'était une période un peu bizarre dans sa vie où elle avait envie de fuir un peu Paris. Elle aime bien le poker mais elle pensait se retrouver sur un tournage ordinaire. Elle a ensuite compris que c'était une émission de téléréalité, et puis elle m'a vu au fond de la salle et elle a dit : « Oui, je veux y aller ! »
On s'est tapé dans l’œil mutuellement et c'est vrai que c'est une belle histoire parce que c'était le jour de la Saint-Valentin 2008 qu'on s'est rencontrés pour la première fois.
Est-ce qu'on ne sous-estime pas justement le côté social du poker, qui permet aussi de belles rencontres ?
J'en parlais justement avec Alex (Dreyfus) hier, et on se disait que justement ce qui est sympa avec la Battle of Malta – et qui se perd un peu dans les gros tournois aujourd'hui – c'est que je n'ai jamais autant discuté à table avec les joueurs qu'ici. C'est un tournoi plus décontracté et c'est vraiment agréable de ne pas avoir une ambiance aussi stricte que sur les EPT par exemple, même si c'est nécessaire pour éviter les débordements et la triche.
Bien sûr que ce côté social existe et qu'il faudrait le promouvoir aussi. Le problème, c'est qu'il y a de plus en plus d'enjeu. Je m'en rends compte depuis que je suis professionnel : on se prend un peu plus au sérieux, on a envie de faire de bons résultats, et on se met peut-être un peu dans une bulle. Pourtant le poker est un jeu fun et qui devrait le rester la plupart du temps.
Est-ce que le fait de devenir père a changé ton regard sur le poker ?
Oui, ça change son regard sur la vie tout court et ça fait relativiser beaucoup de choses. On se rend compte que tout ce qui compte c'est la vie, la santé et cette petite chose, qui est de l'amour pur.
Si un jour ton enfant te dit qu'elle veut devenir joueuse de poker, qu'est-ce que tu lui dirais ?
De toute façon je pense qu'on va lui apprendre très tôt. Je pense que le poker permet d'apprendre beaucoup de choses dans la vie et mérite qu'on lui donne ses lettres de noblesse. On le voit d'ailleurs dans les entreprises qui utilisent de plus en plus le poker pour développer les capacités d'analyse, le retour sur investissement, la prise de risques...
Après tout c'est un jeu de société comme un autre, autant l'apprendre le plus tôt possible.
Le poker fait partie d'un monde un peu nouveau qui peut faire peur aux anciennes générations, à mes parents notamment. J'ai mis longtemps à leur dire que je jouais au poker d'ailleurs.
C'était il y a 15 ans, et on oublie un peu à quel point les choses ont évolué. À l'époque il n'y avait pas de poker à la télé, c'était loin d'être entré dans les mœurs. On voyait ça comme un truc de mafieux, de voleurs.
Il reste encore des gens qui ont des préjugés, qui me disent que je dois mentir tout le temps vu que je suis joueur de poker. C'est absurde, dans la vie je ne mens jamais, j'ai même plutôt tendance à être trop direct.
Est-ce que justement le poker n'est pas une sorte d'exutoire pour être quelqu'un d'autre ?
Peut-être, oui. C'est vrai qu'il y a ce côté comédien que j'aime bien, surtout que j'ai fait un peu de théâtre aussi. J'essaie de m'en servir même si je n'y arrive pas toujours. C'est quelque chose de plutôt amusant.
Qu'est-ce qui t'a poussé à abandonner ta carrière à la télé, un secteur qui fait rêver et potentiellement très rémunérateur, pour le poker ?
En fait j'ai longtemps essayé de mener les deux de front, mais j'ai dû faire un choix. Je voulais faire les deux bien, mais au final je faisais les deux mal.
À l'époque on jouait surtout à l'Aviation Club de France, au Cercle Haussmann, au CIC, ... et parfois je me trouvais embarqué dans des parties jusqu'à 5-6 heures du mat' alors que je devais aller bosser après... Je rentrais prendre une douche et je sentais la fumée, c'était une horreur. Et je partais ensuite sur les plateaux.
J'ai fait ça pendant 5 ou 6 mois mais ensuite j'ai dû faire un choix. J'ai arrêté Un gars, une fille dans l'idée de prendre une année sabbatique... et finalement ça fait 15 ans que je joue au poker.
À l'époque d'Un gars, une fille, est-ce que le poker avait un peu contaminé l'équipe ?
Pas du tout. À l'époque, je n'en parlais pas du tout, je crois que personne ou presque ne savait que je jouais. Encore une fois c'était encore un peu tabou à l'époque.
Peux-tu d'ailleurs nous en dire plus sur ces années de travail sur cette série à grand succès ?
J'ai réalisé sur la première ou la deuxième saison, pour 60-70 épisodes. Avant, je bossais sur Farce Attaque avec Isabelle Camus la productrice et directrice artistique et une équipe québécoise, notamment Hélène Jacques, qui nous a amené le concept de Un gars, une fille. C'était un peu le début des programmes courts, on est allés voir les chaînes et personne n'en voulait à l'époque. Ça a duré un ou deux ans, pendant ce temps-là moi je suis retourné vers le cinéma en tant qu'assistant réalisateur, j'ai aussi fait quelques clips, et puis un jour on m'a rappelé pour bosser sur Un gars, une fille avec Jean Dujardin, qui était déjà avec nous sur Farce Attaque.
Et puis au bout d'un moment c'est devenu un peu compliqué, mais c'est la télé française. C'était un peu moins artistique, tu es un peu plus un pion à qui on demande de faire ceci ou cela, donc j'ai préféré partir. Je préférais presque travailler en tant qu'assistant réalisateur dans le cinéma que réalisateur à la télé. Là tu gères vraiment une équipe, tu es au centre de tout et c'est vraiment autre chose.
C'est un boulot absolument passionnant, mais extrêmement dur. Il faut être jeune, je pense que là je n'aurais plus l'énergie. Peut-être que je referai un petit court métrage ou un moyen métrage en tant que réalisateur si j'ai un jour envie de dire quelque chose.
Tu es mondialement connu au niveau du poker, mais on te connaît finalement peu en dehors. Quelles sont tes autres passions ?
Ca a toujours été les voyages, c’est pour ça que le poker m’a autant plu dès le début parce qu’il me permettait aussi de voyager.
Je me suis mis au kite surf récemment et j’avoue que c’est un truc qui me branche pas mal. J’ai commencé au Brésil où j’ai acheté une maison. Je ne suis pas encore très bon mais j’essaie de le devenir. (rires)
Je suis né près de la Méditerranée et c’est vrai que la mer est quelque chose que j’aime beaucoup et tout ce qu’y s’y rattache.
Quand je reviendrai à Malte il y aura peut-être aussi la pêche, qui était l’une des passions de mon enfance. Alors peut-être qu'une fois à Malte j’irais pêcher le week-end. (rires)
Trés bel article fred, c’est un super gars ce fabsoul…