All-In: the poker movie est un documentaire sympa et creusé qui raconte à la fois l’histoire de notre jeu de cartes préféré et son importance dans la culture américaine.
Avec 4th Row Films (4throwfilms.com) à la production et Douglas Tirola derrière la caméra, le film s’emploie à nous raconter plus de 200 ans de poker en une centaine de minutes.
Le résultat est intéressant, voire passionnant, et devrait plaire autant aux fans inconditionnels et joueurs expérimentés qu’aux simples aficionados.
La poker a depuis toujours eu un statut un peu paradoxal dans la culture américaine. Il s’agit en effet d’une discipline extrêmement populaire dont beaucoup pensent qu’elle reflète un certain nombre de valeurs américaines et que certains défendent avec une ferveur patriotique digne du base-ball ou du beurre de cacahuètes.
Et pourtant, sa proximité au monde du jeu et autres activités peu recommandables a fait du poker la cible permanente d’attaques morales et légales.
Du coup, l’objectif de All-In est de décrypter la popularité du poker (et particulièrement le boom de ces dernières années), tout en analysant son statut plus que polémique.
Le film s’investit donc de deux missions : dépeindre l’histoire du poker en montrant à quel point il est ancré dans la culture des États-Unis, et le défendre contre ses fervents opposants.
Raconter et défendre
Dès le début du film celles-ci sont clairement établies à travers des deux trames principales, deux événements récents qui ont eu un énorme impact sur le poker :
– L'extraordinaire victoire du joueur amateur Chris Moneymaker lors du Main Event des World Series of Poker en 2003,
– Et la terrible claque du 15 avril 2011, le « Black Friday », lorsque le ministère américain de la justice a dévoilé son acte d'accusation contre les plus gros sites de poker en ligne.
Et c'est avec ce dernier que s'ouvre le film, Moneymaker et d'autres expliquant leurs premières impressions à l'annonce du Black Friday.
À partir de là le film opère un retour en arrière pour se plonger dans les débuts du poker, revenant rapidement sur les 19ème et 20ème siècles pour montrer comment le poker est véritablement devenu un « sport national » aux États-Unis.
D'extraits d'interviews judicieusement choisis à des scènes de films et autres archives, on voit alors les connexions s'établir entre le poker et l'histoire et la culture des USA comme le Far West, le jazz, la politique, le sport, l'armée, les présidents, le capitalisme, etc.
Rien que le nombre d'intervenants qui se succèdent dans All-In est impressionnant.
Plus d'une centaine d'interviews ont été effectuées pour le film, la plupart des habitués du genre comme Phil Hellmuth, Daniel Negreanu, Annie Duke, Chris Ferguson, Greg Raymer, Mike Sexton et d'autres pros, mais également des figures moins habituelles mais qui ont un lien avec le poker et/ou dont l'avis est précieux quant au jeu et à son importance.
Une ribambelle d'auteurs se succèdent également à la narration, et parmi eux James McManus, Anthony Holden, Mike Caro, Peter Alson, David Schwartz et Des Wilson.
Le directeur « média » des WSOP, Nolan Dalla, le producteur Mori Eskandani, et le directeur de PPA Alphonse D'Amato viennent, entre autres, étoffer l'histoire de l'expansion du poker et de ses divers démêlés avec la justice.
Et avec un point de vue plus extérieur mais non moins profond, on retrouve également les journalistes sportifs Frank Deford et Bert Sugar, l'historienne Doris Kearns Goodwin, le chanteur Kenny Rogers, les acteurs Matt Damon et Johnny Marinacci, et le co-scénariste du film Les Joueurs, Brian Koppelman.
Le poker et le grand public : Les Joueurs, la télé, le poker en ligne et Moneymaker
En parlant du film Les Joueurs, on apprend au passage l'histoire du film sorti en 1998, qui a apparemment été inspiré par des parties jouées du côté du Mayfair Club à New-York, ainsi que quelques détails sur sa production et sa réception qui fut d'abord un peu timide avant de devenir une référence pour toute une génération de joueurs (dont Moneymaker).
On y explore également l'essor du poker télévisé, boosté en particulier par l'apparition des caméras permettant de voir les cartes des joueurs, et qui a évidemment contribué énormément à la popularité du jeu au 21ème siècle, de même que le poker en ligne.
Comme avec les autres parties du films, même ceux qui connaissent déjà les tenants et les aboutissants de la courte histoire du poker se laisseront happer par la narration.
Puis vient enfin donc l'histoire de Moneymaker, « héros » parti de rien, elle aussi présentée comme un moteur de la popularisation du poker, en plus de renforcer le lien entre le poker et le « rêve américain ».
Le dernier tiers du film se concentre de manière très prenante sur le Main Event des WSOP 2003, puis revient sur le Black Friday en le personnifiant presque en « méchant » qui mettrait en péril non seulement le poker mais également les droits et libertés américains.
Un film sur une discipline en perpétuelle évolution
Il est évident que le tournage de All-In : the poker movie a dû s'adapter à l'actualité bouillonnante du poker. En effet, le film était déjà en post-production au moment du Black Friday, ce qui a bien évidemment forcé l'équipe de production à revoir ses projets et à incorporer cet événement à la trame.
Et pour ceux d'entre vous qui êtes familiers avec le monde du poker, cela crée une certaine ironie au sein du film.
Du coup, entendre un éloge de Full Tilt Poker en fera sourire certains, de même que de voir Howard Lederer (dont le nom a été ajouté à la plainte du ministère de la justice pour suspicion de détournements de fonds depuis des comptes de joueurs FTP vers des comptes « VIP ») parler de Les Joueurs et dire que « les héros du poker ne trichent pas ».
De la même manière, la référence à l'Epic Poker League comme une perspective d'espoir pour le poker n'a pas l'effet attendu étant donné les récents déboires qu'elle a subi.
Ceci étant dit, ceux-là mêmes qui remarqueront ces « détails » reconnaîtront aussi que les créateurs de All-In ont plutôt fait du bon boulot en intégrant efficacement ces événements à la dernière minute.
Au final, nous sommes en présence d'un film intelligent et honnête fait par et pour des gens intéressés et qui s'y connaissent. All-In réussit à la fois à nous divertir et à marquer l'importance du poker dans la culture américaine.
Et bien qu'il risque de ne pas pouvoir faire changer d'avis les plus farouches opposants au poker, ses supporters, eux, n'hésiteront sûrement pas à s'en servir comme référence.
Plus d'informations sur le site internet de All-In : the poker movie.
Martin Harris
Note de PokerListings : Le film a malheureusement encore peu de chances de trouver un distributeur en France. Même aux Etats-Unis, celui-ci ne bénéficiera que d'une diffusion "confidentielle", dans quelques 30-40 cinémas sur le territoire sur ces prochaines semaines à partir de ce vendredi.
Il sera néanmoins ensuite disponible en vidéo à la demande, et l'on peut espérer un DVD prochainement.
Retrouvez plus d'infos sur le site Internet du film.
Martin Harris est un joueur et écrivain de poker, et enseignant à temps partiel à l'UNC Charlotte. Parmi ses cours, une étude sur le rôle dui poker dans l'histoire et la culture américaines. Il tient également son blog, Hard-Boiled Poker.
Mise à jour 15/05 : Le film est maintenant disponible en intégralité sur Youtube !