Vous est-il déjà arrivé d'aller jusqu'à la river dans une main, river qui complète une quinte ou une couleur, avant de voir votre adversaire mettre une grosse pression (et vous donner un casse-tête) en poussant tous ses jetons au milieu ?
On connaît la réponse : bien sûr !
Mais alors quoi faire dans pareil cas ? Comment gérer ce qui vous passe par la tête ? Est-ce qu'il l'a (la quinte ou la couleur) ou il ne n'a pas ? Est-ce qu'il ou elle bluffe ?
Ce genre de situation m'est justement arrivé récemment dans un tournoi réservé aux médias. Pas d'argent en jeu mais quatre prix, du genre gadgets électroniques.
Je vous propose donc d'en faire un petit atelier, et de voir l'avis de plusieurs pros.
La Main pour notre atelier de réflexion
Lorsque cette main a eu lieu nous n'étions plus que deux tables, avec des blindes de 25/50.
Les premiers joueurs se couchent, jusqu'à un joueur du nom de Benjamin qui relance à 150 en début de parole.
Je paie en petite blinde avec une paire de 7.
Nous sommes donc en heads-up pour aller voir le flop.
Note : Benjamin a commencé la main avec 3907 jetons, et moi j'en avais 2145.
Flop : 7♠ 4♣ 3♣
Nous checkons tous les deux.
Turn : 6♣
Je mise 200, Benjamin relance à 625, je paye.
River : 5♥
Je checke, Benjamin me met à tapis... et je me couche.
Mon processus de réflexion
Il n'y en a pas eu tant que ça, de réflexion. Son all-in a immédiatement fait monter la colère en moi. J'ai même passé tellement de temps à me plaindre que mon temps imparti avait fini par s'égrener. Je n'ai pas eu le temps de réfléchir de manière approfondie sur son éventail de mains.
La seule pensée que j'ai eue, c'était : "Si je paye et qu'il l'a, je suis dehors."
Du coup j'ai jeté mes cartes.
Bryan Paris : Inutile d'attraper un Bluff
Bryan Paris est l'un des esprits poker les plus affutés. Sous le pseudo "bparis" il a accumulé plus de 8,8 millions de dollars en jouant des tournois de poker en ligne, et il a aussi amassé 700 000 dollars du côté des tournois live.
Voici sa réflexion et son analyse sur la main.
« Je jouerais la main de la même façon. Quand on prend l'initiative à la turn ici, nous avons plein de quintes ou de couleurs dans notre éventail. Du coup sa relance transforme essentiellement notre brelan en une main à tirage.
D'ici la river il pourrait transformer un 5-x en bluff pour vous chasser du partage, mais le bénéfice est maintenant limité (seulement la moitié du pot), et nous avons chacun assez de couleurs dans nos éventails respectifs pour qu'il n'y ait pas besoin de chercher à attraper un bluff avec cette main. »
Comment cette main se serait-elle finalement jouée si la couleur n'était pas rentrée à la turn ?
« S'il n'y a pas de couleur sur le tableau, je paierais étant donné qu'il est très peu probable qu'il ait 8-x pour la quinte du haut. Dans ce cas il aurait été difficile pour lui de relancer la turn avec ce 8. Du coup ici je serais heureux de risquer mon tapis pour aller chercher ce partage du pot.
Cependant la couleur change considérablement les calculs ici, au point que nous ne pouvons pas payer cette river je pense. »
Leçons apprises
J'oublie souvent de réfléchir à ce que ma mise veut dire pour mon adversaire. Lorsque j'ai pris l'initiative à la turn et qu'il a relancé, je n'ai pas consciencieusement pensé que ma mise pouvait avoir aussi voulu dire que j'avais une quinte ou une couleur, ce qui rendait sa relance bien plus forte.
Je mise juste, sans cheminement logique de pensée.
Bryan dit qu'il aurait payé à la river si il n'y avait pas eu de couleur au tableau. Son raisonnement semble correct.
Mais je ne pense pas que je fais ce call quand même, parce que je ne pense pas comme Bryan le fait.
Mon processus de réflexion est très unidimensionnel - si je paye et qu'il l'a, je suis éliminé.
Justin Oliver : Ne pas avoir de jetons te disqualifie
En 2013, Le Canadien Justin Oliver a gagné un bracelet des World Series of Poker, lorsqu'il a battu un field de 566 entrants dans un tournoi de No-Limit Hold'em en tables de 4 et à 2 500 $.
En 2014 il est revenu à Vegas, et fut à deux doigts de décrocher son deuxième bracelet, battu par un certain Pierre Milan dans un autre NLHE à 2 500 $ et 1165 joueurs.
Voici en tous les cas l'avis de Justin sur cette main de notre atelier aujourd'hui :
« La chose la plus importante à laquelle penser, quelque chose à côté duquel une majorité passera, est la situation dans le tournoi.
Si je paye cette mise à la river et que j'ai raison, mon stack sera de 2300 au lieu de 1500.
Cependant si je paye et qu'il me bat, je suis dehors, et c'est catastrophique.
L'objectif numéro 1, ce qui est toujours le plus important, c'est bien sûr de ne pas être éliminé du tournoi. Et si vous n'avez plus de jetons, vous êtes justement disqualifié. »
Mais pourrait-il bluffer ?
« Il pourrait, et si c'est le cas tant mieux pour lui, bravo - couchez cette main et passez à la suite.
Tu dois commencer par voir toutes les mains possibles que ton adversaire peut avoir.
Est-ce que ce type d'adversaire envisagerait de checker en retour un tirage couleur au flop ? Généralement non, donc la couleur est peu probable, bien qu'il l'aura de temps en temps.
Cependant il peut avoir un 8. Tu dois penser à quelles mains possibles avec un 8 il peut afficher cette ligne de jeu.
Dans ces situations, en général, les joueurs doivent regarder ce qu'ils risquent et ce qu'ils peuvent gagner. Imaginons donc qu'il s'agit d'un cash game. Dans cette main, il nous faut suivre pour environ 1500 pour gagner quelques 700.
Pour faire un call avec ces cotes, tu as sacrément besoin d'être sûr qu'il a de bonnes chances de bluffer. Si nous avons tort 1 fois sur 3, nous perdons 1500, et les deux autres fois nous ne gagnons que 1400 - on doit donc être bon quelque chose comme 80% du temps pour dégager une jolie marge de profit ici. »
Leçons apprises
J'aime le cheminement de pensée de Justin, sur le fait de jouer de la façon qui a la meilleure chance de vous garder dans le tournoi. Il y a toujours une autre main qui suit.
Cependant, comme Bryan, Justin aurait d'abord réfléchi en termes d'éventails avant de se décider.
Je ne suis pas sûr d'être suffisamment conscient de cela. C'est même quelque chose que je ne fais jamais quand je joue au poker.
Et c'est une grosse faille. Cela me fait jouer aux devinettes souvent. Et cela ne produira pas un meilleur taux de gains sur le long terme.
La leçon la plus importante que j'ai pris de ces deux fantastiques joueurs de poker, est de ne jamais imaginer que tous les scénarios ont un jeu parfait en réponse.
Quand je les ai approchés pour leur demander de l'aide, je me demandais s'il y avait une manière de penser en particulier pour ce type de mains.
A la place j'ai appris que je devrais réfléchir de la même façon durant chaque main : rentrer dans un processus de réflexion et d'analyse sur les éventails de mains, après avoir pris en considération la réaction de min adversaire à mon action, son action, et son action précédente jusqu'au stade où nous en sommes.
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