Demandez à n'importe qui sur le circuit de vous parler d'El Matador et il vous répondra la même chose : agressif, sauvage, imprévisible ! Cette image qu'il continue de cultiver, Carlos Mortensen a travaillé dur pour se la construire. Et lorsque vous jetez un oeil à son CV, il n'est pas très difficile de voir pourquoi.
Premier joueur de l'histoire à avoir décroché le Main Event des WSOP et un Championnat WPT, Carlos Mortensen est l'un des pros les plus respectés et les plus craints sur le circuit. Son talent naturel à la table, associée à un incroyable don pour se souvenir de ses adversaires, de leurs tells et des mains qu'il a jouées contre eux, sont des facteurs cruciaux dans sa capacité à s'accaparer les pots. Et ces compétences ont évidemment eu une importance considérable dans sa lente mais solide ascension vers les sommets.
Alors d'où vient cette légende du poker, et comment a t-il débuté ?
Né à Ambato en Equateur, d'une mère espagnole et d'un père danois, Carlos a grandi avec trois frères et deux sœurs. Son père, un ancien élève de l'Académie Militaire de Georgetown qui avait aussi étudié la politique en Europe, tenait un poste diplomatique dans ce pays d'Amérique Latine plein de ressources, et était le propriétaire de plusieurs fermes.
Carlos passe ainsi son enfance en Equateur, avant de partir à Madrid avec le reste de sa famille à ses 15 ans.
Carlos termine ses années de lycée en Espagne puis se tourne vers un diplôme universitaire en physique et mathématiques. Durant ses études il se marie avec Cecelia Reyes, aujourd'hui elle-même joueuse de poker pro à succès.
A 19 ans ils lèvent les voiles et achètent une maison, devant faire de nombreux petits boulots pour se maintenir à flot. A un moment Carlos occupait même trois jobs à la fois. Le jeune homme prenait tout ce qu'il pouvait trouver, et jouait aux échecs à ses moments perdus. Jusqu'au jour où il découvrit le poker.
C'était le 15 avril 1997, des années avant le boom du poker. Carlos attendait Cecilia au club où il était barman. Un groupe de clients se lancent alors dans une partie de Texas Hold'em et invitent Carlos à les rejoindre. Incapable de résister au challenge d'un nouveau jeu, il s'asseoit et joue ses premières mains, perdant 100$ dans l'affaire.
Désemparé de sa piètre performance, Carlos reste éveillé toute la nuit en essayant de comprendre ce qui n'était pas allé. Il retourne au club le jour d'après, se refait la cerise, et double son capital. Après avoir joué et gagné quatre jours de plus durant, il décide de quitter son travail et de se lancer dans le poker à plein temps.
Carlos joue et repart chaque nuit avec de l'argent durant pendant plusieurs mois. Au bout d'un certain temps ses adversaires en viennent à jeter l'éponge. Avec Carlos se débrouillant aussi bien, il ne leur restait aucune partie pour eux. Face à une carrière naissante mais sans adversaire à sa mesure, Carlos décide alors qu'il était temps de se rendre aux Etats-Unis.
Laissant la majorité de sa bankroll à la maison, El Matador arrive chez l'Oncle Sam en octobre 1997, avec zéro compétence en anglais, un visa standard de trois mois, et environ un cinquième de sa bankroll de 15 000 $ pour le poker et ses dépenses courantes.
Carlos se rend à Atlantic City où ses lacunes en anglais le forcent à analyser ses adversaires d'une nouvelle manière. Malheureusement, alors que sa capacité à lire les tells augmente, la taille de sa bankroll diminue et il est contraint de redescendre dans des parties à 2$/4$ pour la reconstruire. En continuant de grappiller, lorsque son visa expire plusieurs mois plus tard, il se retrouve plus riche de 10 000 $.
De retour à Madrid, Carlos intégre une nouvelle partie de No-Limit. Après plusieurs mois ses performances sont tellement bonnes que ses collègues joueurs lui proposent de le financer pour les WSOP 1999. Carlos accepte le deal et s'envole pour Las Vegas, avec son voyage, son hôtel et son droit d'entrée tous couverts. Pour alléger l'arrangement, une partie de ses gains lui restait garantie s'il gagnait.
Malheureusement Carlos ne rentra pas dans l'argent bien qu'ayant défait la moitié du field. Mais cela ne l'empêche cependant pas de rester à Vegas. Il perd alors le reste de sa bankroll dans des parties annexes, mais gagne un ticket pour jouer dans un tournoi à 100$ au Mirage. Il y domine presque tout le monde et prend la troisième place et un prix de 4 000 $. Après avoir encaissé son argent il repart alors une nouvelle fois du côté des parties de cash game, où il engrange 10 000 $.
Avec un visa toujours valide pour plusieurs mois, Carlos décide de rejoindre les tables de Los Angeles. Il se rend au Commerce Casino et remporte plus de 40 000 $ avant de retourner en Espagne, la date d'expiration de son visa arrivant cette fois à échéance.
Carlos retourne aux WSOP en 2000, cette fois avec sa propre bankroll, et décroche la 7ème place dans l'épreuve de No-Limit Hold'em à 3 000 $, pour un gain de plus de 22 000 $. L'année suivante, il déménage pour de bon aux Etats-Unis, pour être plus près de l'action des parties de cartes. Et pour en être près, il en était près. Il s'affranchit bien vite d'un buy-in de 300 $ aux côtés de 400 autres joueurs pour le L.A. Poker Classic, où il termine premier et récolte 116 772 $.
C'était de loin le plus gros prix qu'El Matador avait collecté dans sa carrière de joueur de poker. Et c'était là juste le haut de l'iceberg. Bien peu par rapport à ce qu'il pouvait imaginer ratisser dans un proche avenir : le mois suivant Carlos écrase la concurrence au Championnat du Bay 101 Shooting Star, pour 44 550 $ de gains et un siège pour le Main Event des WSOP à venir.
Nous étions en 2001 et le poker était encore un jeu joué presque exclusivement par des "rounders" expérimentés. Avec quelques 613 joueurs la ligne de départ du Main Event était alors petite en comparaison de celles d'aujourd'hui, mais la compétition n'en était pas moins rude. Phil Hellmuth, Daniel Negreanu, Dewey Tomko, Allen Cunningham, Phil Gordon, Mike Sexton, Billy Baxter, ... n'étaient que quelques-uns des hommes qu'El Matador allait croiser sur sa route.
Qu'importe. Carlos domina tout ce beau monde pour se retrouver en table finale. A la fin d'une exténuante partie de huit heures, El Matador parvient en heads-up contre le triple détenteur de bracelet WSOP Dewey Tomko. Lors de la dernière main, ce dernier reçoit les as mais la river offre une quinte hauteur roi à Carlos. El Matador est alors sacré champion et se voit offrir 1,5 million de $ ainsi qu'un bracelet en or, avec en bonus le droit de s'en vanter pour les années à venir.
Deux ans plus tard, Carlos remporte son second bracelet dans l'épreuve de Limit Hold'em à 5 000 $, et l'année suivante il secoue le Doyle Brunson North American Poker Championship en s'adjugeant la première place et un nouveau gain d'1 million de $.
Depuis, El Matador a dompté d'innombrables fields et a atteint les tables finales de nombreux WSOP, WPT et EPT ou autres épreuves majeures, dont sa victoire record dans le WPT Five Star World Poker Classic de Las Vegas en 2007. Il y aura battu un parterre de 639 joueurs pour y remporter le premier prix de quelques 4 millions de $, ainsi que sa place dans l'histoire du poker en tant que premier joueur à remporter deux championnats WPT et WSOP.
Sa régularité s'est confirmée ces dernières années, avec 4 places payées WSOP en 2009 (dont deux tables finales), 3 places payées en 2010 (dont une table finale), et une victoire dans le WPT Hollywood Poker Open.
Carlos n'est désormais plus qu'à quelques dollars des 10 millions de gains en tournois.
Homme ayant appris le poker façon "old school" (directement aux tables), Carlos est quelqu'un de rare dans un monde du poker aujourd'hui gouverné par de jeunes gâchettes avides de livres et DVD et faisant leur apprentissage sur Internet.
Ses compétences et sa bravoure à la table vont de pair avec un côté mystique du prodige qui s'est fait par lui-même. Et ses talents de bluffeur associés à une grande humilité sont du bois dont les légendes sont faites.
Malgré tous ses succès, et peut-être d'ailleurs à cause d'eux, Carlos n'a pas pour projet de prendre sa retraite jeune. Le monde du poker lui tendant les bras, vous êtes sûr de le voir encore longtemps dans de nouvelles tables finales avant qu'il ne troque sa carrière de manieur de cartes pour une vie cantonnée aux parties d'échecs, de bowling et d'écoute de musique. Vous pouvez donc parier que ses coups pleins de grâce et son jeu style audacieux vont continuer de dominer le poker live dans les années à venir ; mais assurez-vous de planquer vos jetons et de mettre le pied sur le frein si vous le croisez à une table. El Matador est fougueux, et n'a pas peur d'y aller... à la vie à la mort.
Divers et anecdotes
* Son véritable nom légal est Juan Carlos Mortensen mais il s'est fait connaître sous celui de Carlos lorsqu'il déménagea aux Etats-Unis.
* Aime le bowling et le quad.
* A été marié avec Cecilia Reyes-Mortensen, professionnelle de poker, pendant plus de dix ans.
* Premier joueur à avoir à la fois remporté un Championnat WSOP et un Championnat WPT.
* Vainqueur du Main Event des World Series of Poker 2001.
* Combat l'ennui sur le tapis vert en construisant des pyramides de jetons (souvent du grand art), en écoutant son iPod, et en jouant aux échecs ou au sudoku sur sa PSP.