Le poker comporte son lot de joueurs qui aiment parler, beaucoup parler. On retrouve d'ailleurs pami eux certains des plus grands joueurs du monde. Si le comportement peut parfois agacer, il s'agit pourtant de l'une des essences du poker, et même indispensable pour l'intérêt du jeu.
Cela ne fait aucun doute, le poker a beaucoup changé ces dernières années, des sous-sols sombres des clubs clandestins aux lumières de Las Vegas.
Il y a beaucoup de raisons qui expliquent l'explosion et la croissance continue du poker depuis les années 2000. Parmi les principales, la présence de ces joueurs hauts en couleurs qui ont marqué l'avènement du poker télévisé.
On pense évidemment à des joueurs comme Phil Hellmuth, Tony G, Mike Matusow ou Daniel Negreanu. Si le chambrage était un art, ces gars en seraient les Picasso.
Pourtant, beaucoup de joueurs de la nouvelle génération préfèrent jouer bien cachés sous leur capuche avec leurs écouteurs. Ils payent leur buy-in, comme tout le monde, donc ils font ce qu'ils veulent, mais ils doivent aussi faire avec un flot de paroles constant.
Qu'on le veuille ou non, parler et chambrer fait partie du poker, et ce n'est pas prêt de changer.
Les joueurs peuvent donc en faire une arme supplémentaire, l'ignorer totalement ou y être indifférent.
Une langue bien pendue peut vous aider
S'il y a un joueur qui sait comment utiliser son éloquence comme une arme, c'est bien le vainqueur du Main Event des WSOP 2013 Ryan Riess.
À l'inverse de certains joueurs comme Tony G, Riess n'essaye pas du tout de faire perdre la tête à ses adversaires en les déstabilisant. Il essaye plutôt de faire ami-ami pour en profiter ensuite.
« Il me semble que le simple fait d'avoir une conversation simple avec ton voisin de droite ou de gauche peut vraiment te servir. Du coup, quand on se retrouve dans une situation blind contre blind ou quand je relance au bouton, il y a moins de chance qu'ils surrelancent si on a déjà discuté et qu'on a établi une espèce de camaraderie sympathique. »
La joueuse australienne Jackie Glazier est du même avis que le champion du monde en titre. Pour ces joueurs, se montrer abordable, respectueux et sympathique est loin d'être un gros effort :
« Si je me rapproche de mes voisins, peut-être qu'ils me montreront leurs cartes si je me couche à la rivière pour leur laisser le champ libre. Honnêtement, j'ai vraiment l'impression qu'on me montre beaucoup plus de cartes parce que je suis sympa avec les autres joueurs. Et toute information à laquelle j'ai accès peut me donner un avantage. »
Quant à Jonathan Dimmig, récent vainqueur du Millionnaire Maker des WSOP 2014, même s'il n'est pas aussi explicite, il admet quand même utiliser la discussion à son avantage :
« Oui, la discussion fait parfois partie de ma stratégie. Lorsque tu parles avec quelqu'un, tu comprends mieux comment cette personne pense, ses actions, et tu peux ensuite utiliser cela à ton avantage. »
Parler et manipuler
Parler ne sert pas simplement à se montrer sympathique avec vos adversaires ou à obtenir des informations supplémentaires. Parfois, cela peut même permettre de manipuler un joueur ou le pousser à prendre une décision qu'il n'aurait pas prise de lui-même. Voire se convaincre soi-même de prendre une bonne ou mauvaise décision.
Le pouvoir de la parole a été très bien illustré lors du Big One for One Drop des WSOP 2014. Scott Seiver est allé à tapis avec un tirage quinte par les deux bouts à la turn, sur un flop hauteur dame avec trois trèfles.
En face, le joueur allemand Tobias Reinkemaier qui avait sous-joué ses as a mis les pieds et a commencé à parler. Au début, on a pu croire que Reinkemaier essayait simplement d'obtenir des informations de Seiver.
Cependant, Seiver semble avoir battu Reinkemeier a son propre jeu, puisque l'Allemand a vu son stratagème se retourner contre lui.
Dans cette main, Romanello parvient à complètement manipuler le pauvre Canadien avec qui il commençait à s'asticoter depuis quelques minutes.
Après avoir floppé le jeu max au flop, Romanello sous-joue jusqu'à la river, où Wilinofsky tente d'arracher le pot.
Ce à quoi Romanello répond que ça ressemble à une mise faible. Wilinofsky lui répond qu'il devrait relancer alors, à 20 000 même, auquel cas il se coucherait sans doute.
Prenant au mot son adversaire et histoire de le chambrer un peu, Romanello relance de... 20 025, en lui disant qu'il bluffe mais qu'en aucun cas il ne peut payer ici même avec un as !
Au final il parvient donc à attraper le Canadien, sous l'émerveillement des autres joueurs à la table qui lui disent même qu'il est un véritable sorcier !
Bien qu'il admet qu'il puisse parfois irriter ses adversaires, Romanello confie cependant qu'il sait quelles limites ne pas franchir, ne voulant pas leur manquer de respect. Il nous parle de son talent :
« J'ai toujours été un mec confiant et effronté, d'autant que j'ai commencé à jouer au poker avec des amis et qu'on aimait bien se charrier. Mais la première fois que je suis allé au casino j'étais intimidé. Et puis ensuite on s'habitue et on se sent plus à l'aise.
Les joueurs qui parlent beaucoup ne jouent pas un rôle. Ils sont juste comme ça, comme je suis d'ailleurs moi.
Me concernant je pense que je suis l'un des meilleurs à ça. Parfois je suis bavard parfois je suis calme. Mais il faut savoir que ça ne marche pas toujours ni sur tous les joueurs, surtout les bons. Par contre ça marche avec les joueurs qui aiment aussi ouvrir leur bouche et rentrer dans ce jeu-là, comme Wilinofsky.
J'aime bien ennuyer les autres et prendre tous leurs jetons, mais quelque part je veux aussi qu'ils m'aiment bien. C'est important pour moi. Je veux aussi leur faire comprendre que c'est une partie amusante du jeu. »
Parler pour le bien du poker
L'intérêt de la discussion ne réside donc pas que dans la stratégie. On peut aller jusqu'à dire qu'elle est même essentielle au poker, car le poker doit conserver une atmosphère sympa et décontractée.
Si quelqu'un se rend pour la première fois dans une salle de poker et qu'on l'engueule ou qu'on le met mal à l'aise, il est probable qu'il ne rejoue plus jamais. Ce n'est pas bon pour le poker.
Le poker doit être amusant. Cela peut sembler simple, mais beaucoup de joueurs l'ont oublié lorsqu'ils vilipendent les joueurs qu'ils considèrent inférieurs, ou qu'ils restent juste assis là sans rien dire.
« Bien sûr que discuter et chambrer est bon pour le poker, » ajoute Riess. « C'est forcément mieux qu'une tablée de joueurs qui ressemble à des statues sans dire un mot. »
Dimmig ne peut qu'être d'accord :
« Le chambrage est bon pour le poker, c'est ce qui le rend amusant. J'étais très en colère quand ils ont mis en place la règle selon laquelle on ne pouvait plus parler pendant les mains. C'est évident, avoir des joueurs comme Daniel Negreanu qui parlent pendant les mains et qui s'amusent, c'est quelque chose de bien pour le poker. »