Le poker peut parfois avoir une utilité qu'on ne soupçonne pas. Certains états des Etats-Unis d'Amérique utilisent ainsi des jeux de cartes spéciaux dans les prisons, pour aider la justice à résoudre de vieilles affaires classées et non-résolues.
Selon les statistiques du FBI, les États-Unis sont confrontés chaque année à un nombre incroyable d’affaires non-élucidées, ces fameux cold-case que vous connaissez grâce à vos feuilletons préférés.
Si les enquêteurs des séries arrivent à coffrer les assassins, la réalité est toute autre puisque près de 20 000 meurtres, disparitions ou découvertes de corps non-identifiés restent chaque année non-résolus… sans que les compétences de la police, de l’armée ou des détectives ne soient remises en cause, ni que les indications données par certains citoyens laissent à désirer.
A force de solliciter la population pour des pistes, les autorités ont rapidement réalisé qu’il existait une catégorie de personnes à laquelle elles ne pensaient pas immédiatement et qui était donc rarement mise à contribution. Or ce groupe de personnes détient certainement de précieuses informations, puisqu'il s’agit des milliers de détenus qui séjournent dans les prisons des différents états.
Les enquêteurs pensent que les prisonniers pourraient avoir en leur possession des informations vitales sur certains de ces cas, et que, s’ils voulaient bien coopérer (quelques années derrière les barreaux peuvent changer un homme) alors ces renseignements, même insignifiants en apparence, pourraient faire toute la différence pour déboucher sur l’arrestation de meurtriers non inquiétés jusqu'ici.
Des cartes très spéciales
L’idée géniale du Colorado (mais aussi du Connecticut, de la Caroline du Sud, de l’Indiana, de la Floride, de l’Idaho ou encore de l’État de New-York), également utilisée au sud de l'Australie, a été de transformer un simple jeu de cartes en une technique de résolution de crimes.
Étonnant non ? Mais comment le fait d’inciter des détenus à jouer au poker ou à d’autres jeux de cartes à l’aide de decks spéciaux peut-il faire avancer ces enquêtes ? Quel est ce programme innovant destiné à collecter des informations ?
Les différents états ont en fait chacun fait éditer des jeux de cartes spéciaux (les premiers datent de 2005), puis les ont vendus à un prix modeste (moins de 2 dollars) dans les établissements carcéraux. D'autres états, comme celui de New-York, les ont distribués gratuitement.
Au final, cette action ne coûte rien à la collectivité puisque les premiers decks ont été financés par des fonds confisqués au trafic de drogue par les services correctionnels. Et depuis leur succès, la fabrication de ces cartes s’auto-finance grâce aux ventes ! C’est l’entreprise Effective Playing Cards en Floride qui est chargée de la production de ces jeux de cartes spéciaux utilisés par de nombreux états.
Un projet qui ne coûte rien
Ces jeux de cartes ressemblent aux jeux traditionnels - quatre couleurs, cinquante-deux cartes et deux jokers - mais personnalisés pour inclure des informations sur des crimes non-élucidés : une photo de la victime accompagnée d’une courte description de son cas, en général un assassinat ou une disparition. S’y ajoute le numéro de téléphone gratuit et anonyme vers une ligne spéciale, surveillée 24h/24 et 7j/7.
Cette idée a été reprise des jeux de cartes distribués aux soldats américains pendant la guerre en Iraq en 2003, représentant les membres du régime de Saddam Hussein afin qu’ils puissent être facilement identifiés.
Toucher le plus grand nombre et déclencher une réaction
Dans le Colorado, les quatre jeux de cartes différents actuellement disponibles dans les prisons référencent quelques-uns des 1700 cas non-résolus.
Le Bureau d’Investigations du Colorado (CBI) estime que plus les détenus voient les cartes, meilleures sont les chances que l’un d’entre eux décide de livrer de nouvelles informations sur l’une des enquêtes.
Les prisonniers américains passent en effet beaucoup de temps à jouer aux cartes, et avec celles-ci à discuter des cas qu’ils ont sous les yeux. Dans le Connecticut par exemple, c’est comme si 93 000 détenus étaient réinterrogés sans relâche sur ces nombreux cas insolubles, mais sans mobiliser les enquêteurs ! Certains prisonniers avouent d’ailleurs en avoir assez de toujours voir ces mêmes visages hanter leur jeu.
Il faut dire que les cartes n’y vont pas par quatre chemins. Les victimes semblent poser les questions directement à ceux qui les manipulent : Savez-vous qui m’a tué(e) ? Savez-vous où je me trouve ? Savez-vous quelque chose ? Même n’importe quoi ? A la longue, il faut bien avouer que cela peut devenir assez glauque, même pour les cœurs les plus endurcis.
Les policiers espèrent ainsi déclencher un souvenir, une réaction ; ils s’attendent aussi à ce que l’un des prisonniers ait un sursaut de conscience et décide de les aider parce qu’il reconnait l’une des personnes en photo, parce qu’il a entendu parler d’un cas par un codétenu ou un de ses complices, mais aussi de manière plus terre à terre pour décrocher l’une des récompenses promises (l’état de NY offre 1000 dollars de récompense pour toute informations qui ferait avancer une enquête). Voire pour négocier une réduction de peine !
Mais est-ce que ça marche ?
Dans le Connecticut où cette méthode est exploitée depuis 2010, près de 600 indices ont été transmis aux enquêteurs ; certains ont été décisifs et ont débouché sur la résolution de neuf meurtres dont un près de 6 ans après les faits !
En Floride, ce sont trois meurtres qui ont pu être résolus en à peine trois mois d’utilisation de ces jeux de cartes… Quant au Colorado, il reçoit régulièrement des informations qui font avancer les enquêtes… mais qui ne permettent pas encore de les élucider.
Même si cette technique peut sembler saugrenue et insignifiante, une petite carte, un petit bout d’information peut aider à résoudre enfin l’un de ces mystères. Et tous les officiels s’accordent à dire que cela en vaut vraiment la peine, même si le nombre de cas résolus peut sembler faible.
Apporter aussi de l’espoir et du soulagement
Le procédé de sélection de quelques centaines de cas parmi des centaines de milliers pour les inclure dans les decks n’est pas chose aisée, le critère majeur étant que l’affaire soit considérée comme non-résolue et que peu voire aucune information ne soit venue l’éclairer récemment.
Evidemment, si les victimes et leurs histoires tragiques figurent sur les cartes, c’est que leurs familles ont donné leur accord. Pourtant, certaines d’entre elles ont refusé cette forme d’aide, préférant sans doute se reconstruire loin de tous ces événements…
En effet, ces cartes jouent également d’autres rôles : elles évitent que ces victimes ne tombent dans l’oubli et elles donnent un peu d’espoir à ces familles désespérées et en deuil, celui de voir que le travail de la justice se poursuit et qu’un jour le coupable sera puni.
Vous pouvez par curiosité consulter le contenu de certains de ces decks (ceux de l’Indiana ci-dessous par exemple) pour vous faire une idée. Mais âmes sensibles s’abstenir.
De manière très égoïste on peut se rassurer sur le fait que le nombre de cold cases ne soit pas aussi important en France (sauf si on nous les cache). Quant au fait de vivre dans un pays où le port d’arme est strictement réglementé, ce n’est finalement pas si mal non ?
Quelques exemples de jeux de cartes :
https://www.in.gov/idoc/files/3rdEditionDIAMONDS.pdf
https://www.in.gov/idoc/files/3rdEditionCLUBS.pdf
https://www.in.gov/idoc/files/3rdEditionHEARTS.pdf
https://www.in.gov/idoc/files/3rdEditionSPADES.pdf
Bonjour,
Je travaille pour une société de production de séries américaines.
Avez-vous des informations quant au meurtres résolus grâce à cette méthode s’il vous plaît ?
Merci d’avance,
Jade RAFFAÏ