Ce fut sans doute l’une des tables finales du Main Event des World Series of Poker les plus spectaculaires de ces 10 dernières années. En 2009, le jeune Américain de 22 ans Joe Cada décrochait le titre de champion du monde aux dépends de l’amateur Darvin Moon, après avoir été le bourreau du Français Antoine Saout un peu plus tôt.
C’est en effet peut-être ce que la majorité des Français retiennent de cette finale cette année-là. A 3 joueurs restants, Saout, qualifié en ligne sur Everest Poker, était à deux doigts de prendre la tête et de s’envoler (sans doute) vers la victoire. Mais revenu d’entre les morts (tombé à 5 blindes un peu plus tôt dans la finale) et en gros rush, Joe Cada allait être extrêmement chanceux sur deux mains fatidiques (2)(3) et qui allaient être fatales pour le Français.
Chip leader au démarrage de la table finale (après un beau rush tout au long du tournoi et après avoir notamment éliminé Phil Ivey, là aussi avec réussite (1), Darvin Moon accusait un certain retard au démarrage du heads-up, avec 58,85 millions de jetons contre 135,95 millions pour Joe Cada.
Moon allait pourtant réussir à reprendre le chip lead, avant de perdre beaucoup sur un bluff manqué. Il finissait par s’incliner lors de la 88è main du heads-up avec Q♦ J♦ contre 9♦ 9♣ (4).
Et Joe Cada de devenir le nouveau Champion du Monde 2009.
Joe Cada, une jeune gâchette du poker en ligne qui veut confirmer
La consécration est donc arrivée très tôt pour ce jeune joueur principalement en ligne jusque-là (depuis qu’il avait 16 ans).
Né d’une mère croupière de blackjack et d’un père licencié de l’industrie automobile, le jeune homme aura eu vite fait de voir dans le poker le meilleur moyen pour lui de gagner sa vie. Il était déjà professionnel en cette année 2009.
En dépit d’une bonne année précédente (550 000$ de gains), Cada avait cependant dû se faire financer pour ce Main Event 2009.
Après sa victoire devant 6493 adversaires et un premier prix remporté d’un peu plus de 8,5 millions de dollars (dont la moitié qu’il aura donc dû donner à ses stackeurs), Joe Cada allait pouvoir continuer d’être vu sur le circuit, et sa collection de places payées aux WSOP entamées cette année-là (3), a plutôt pas mal grossi depuis. Et ce même s’il aura peu joué entre le Black Friday et 2013.
Avant le début des WSOP 2016, son palmarès s’établit désormais à 15 places payées, dont 5 tables finales (incluant une 2è place sur 2811 en 2012) et surtout 2 victoires.
Cada a en effet remporté un nouveau bracelet en 2014, dans une épreuve de No-Limit Hold’em 6-handed Championship à 10 000$, devant Jeremy Ausmus. Une victoire d’autant plus belle au vu d’une table finale constellée de talents, dont un autre futur Champion du monde, le Suédois Martin Jacobson, ou le November Nine 2013 JC Tran (étaient aussi présents Max Silver, Erick Lindgren, Dario Sammartino et George Danzer !).
Son palmarès reste toutefois plus maigre sur le reste du circuit live (tout juste note-t-on deux places payées sur l’EPT, dont cependant une belle 11è place à San Remo en 2011).
En revanche Cada semble aimer le Heartland Poker Tour, avec 5 places payées et 3 finales depuis 2013.
En dehors du poker, Joe Cada a ouvert avec son père un bar « Cada’s Poker & Sports Grill » en 2011 près de sa ville natale dans le Michigan. Celui-ci a fermé en 2013.
Dans le parfait moule des jeunes gâchettes du poker en ligne, Cada n’aura jamais réellement été l’un des vainqueurs du Main Event les plus populaires. A défaut il poursuit son petit bonhomme de chemin, en attendant une prochaine grosse victoire.
Darvin Moon, entre exemplarité et retour à l’anonymat assumé
Darvin Moon, 52 ans aujourd’hui, aura pour sa part suivi la même trajectoire que celle qui l’avait amenée en finale du plus grand tournoi de poker du monde : celle du joueur anonyme qu’on aura aussi peu vu avant qu’après. Témoin sa discrétion, l’homme à la casquette aura refusé de s’afficher avec le moindre sponsor tout au long de son parcours. Ce n’est qu’en 2011 qu’il aura fini par céder aux sirènes, celles du Heartland Poker Tour.
Et ne parlons pas du poker en ligne, auquel il déclarait ne jamais avoir joué. Il ne possédait d’ailleurs ni Internet ni ordinateur à l’époque de sa victoire, ni même compte bancaire.
En fait, sa deuxième place s’apparente presque à un conte de fées digne de celui de Chris Moneymaker. Moon avait remporté son siège pour le Main Event via un satellite live à 130$, mais avait failli ne pas le jouer et juste encaisser les 10 000$ du buy-in.
Depuis sa place de dauphin de Cada, Moon n’aura plus jamais cashé aux WSOP, où il se rend simplement pour le Main Event. 8 places payées (dont une seule pour plus de 10 000$) seront seulement venues garnir sa page HendonMob, dont 3 sur le Heartland Poker Tour justement.
Il privilégie les petites parties locales avec ses amis, même si on a aussi pu le voir au National Heads-up Championship en 2010 notamment.
En fait même sa fortune de la deuxième place n’aura pas foncièrement changé sa vie. Un an plus tard, Darvin l’exploitant forestier et sa femme Wendy vivaient toujours dans la même maison, et travaillaient toujours.
Et toujours rien n’avait changé deux ans plus tard, comme on pouvait le lire dans nos colonnes en 2012, ainsi que dans une interview pour CardPlayer :
« Je continue de faire beaucoup ce que j’avais l’habitude de faire, jouer un peu au poker, profiter de la vie. Je travaille toujours pour mon entreprise de bois. (...)
Si j’ai des regrets d’avoir fini deuxième ? Comment pouvez-vous avoir des regrets quand vous repartez avec 5,2 millions de dollars ? (...)
Après avoir payé les impôts ça ne fait pas tant si vous commencez à vivre un autre style de vie. J’ai toujours été pauvre, je peux redevenir pauvre après ça. On a vécu avec 20 à 25 000$ par an pendant 26 ans. Maintenant je peux vivre le reste de ma vie confortablement. Mais si je travaille toujours c’est que ma famille entière a toujours été élevée comme ça. (...)
Et si je n’ai pas abandonné ma société c’est par respect pour mes employés qui m’ont gardé en vie les 25 premières années. »
Sous ses airs bourrus Darvin Moon est donc vraiment un exemple à suivre, celui des gros gagnants qui ne perdent pas la tête et restent les mêmes qu’avant. Tout juste en aura-t-il quand même profité pour acheter plusieurs voitures à des membres de sa famille ainsi qu’à lui et sa femme, et plusieurs propriétés dans son Maryland en guise d’investissements.
Si sa discrétion n’en fait sans doute pas le meilleur ambassadeur de poker, sa sagesse mériterait en revanche qu’on revoit Darvin Moon un peu plus souvent.
Vidéo de la table finale
(1) Darvin Moon élimine Phil Ivey : 7’30
(2) Joe Cada chanceux face à Antoine Saout : 31’30
(3) Joe Cada élimine Antoine Saout : 34’30
(4) La main du titre : 50’00