David « Chip » Reese a joué contre tous les meilleurs joueurs, de Johnny Moss à Phil Hellmuth, et il est connu comme l’un des joueurs les plus complets de l’histoire.
Il a remporté le tournoi de H.O.R.S.E. à 50 000 $ à la fin du heads-up le plus long de toute l’histoire des WSOP.
À l’avenir, tout le monde aura ses 15 minutes de gloire - Andy Warhol
Le 15 juillet 2006, neuf joueurs se sont assis autour de ce qui reste encore aujourd’hui la table finale la plus prestigieuse des WSOP.
La crème de la crème
Jim Bechtel, Doyle Brunson, Dewey Tomko, Andy Bloch, TJ Cloutier, David Singer, Patrik Antonius, Phil Ivey et David « Chip » Reese représentaient 37 bracelets à eux tous. Quatre d’entre eux avaient au moins une fois atteint le heads-up du Main Event des WSOP.
Reese et Bloch furent les derniers en lice pour remporter ce tournoi, le premier à avoir un buy-in de 50 000 $ et, à l’époque, le tournoi le plus cher des WSOP.
C’était un mixed games, officieusement considéré comme le vrai « Players’ Championship », puisqu’il fallait bien maîtriser cinq variantes pour gagner. Comme une confirmation, le tournoi a plus tard été relooké en 8-game et renommé le « Players’ Championship à 50 000 $ ». Avec comme nouveau prix supplémentaire : le trophée David Reese.
L’avant-dernier jour de compétition avait déjà duré 19 heures et, pour Bloch et Reese, il en restait encore 9 à jouer.
Pendant plus de 7 heures, Chip Reese et Andy Bloch étaient face à face, l’un contre l’autre... et contre le sommeil. Les jetons ont changé de côté tellement souvent que personne n’arrivait à suivre.
Plusieurs fois, on a pu penser que Bloch avait définitivement pris la tête, mais Reese était constamment sauvé par la river.
La dernière main finit par arriver, pendant une manche de Texas Hold’em. Avec un flop 9♠ 8♦ 3♦, Reese allait à tapis avec K♦ 6♦ et Bloch suivait avec 8-9 non assortis. Le turn apporta un 5♦ et Reese empocha un énorme pot.
À ce moment-là, on annonça qu’il s’agissait officiellement du heads up le plus long de l’histoire des WSOP et, à peine onze mains plus tard, Reese remportait la dernière main avec A-Q contre 9-8
Ce fut le plus grand moment de la carrière de Reese. Le joueur qu’on connaissait déjà comme le plus complet du monde s’était montré à la hauteur de sa réputation, et tout le monde était heureux pour lui, même Andy Bloch.
TJ Cloutier déclara un jour qu’il n’avait jamais entendu Chip dire du mal de qui que ce soit, et que lui le considérait comme « le meilleur joueur de tous les temps ».
Un enfant fragile
David est né le 28 mars 1951 dans l’Ohio. Atteint d’une fièvre rhumatismale, il dut rester chez lui pendant toute une année. Pour l’aider à passer le temps, sa mère lui apprit quelques jeux de cartes.
Quand il recouvra la santé, il commença à jouer avec les autres enfants pour gagner des cartes de baseball. À l’époque, il n’y avait pas un seul petit garçon qui ne collectionnait pas les cartes de baseball.
Et puis un jour, un petit garçon est venu sonner chez les Reese pour en parler à la mère de David : « Mme Reese, je dois vous dire quelque chose. Tous les CM2 jouent au poker pour gagner des cartes de baseball et Chip joue avec eux. »
« Merci de m’avoir prévenue. Va lui donner une leçon en gagnant toutes ses cartes », répondit-elle. « Non, ce n’est pas ce que je voulais dire. C’est lui qui a gagné toutes les cartes, on voudrait bien les récupérer ! »
L’amour du baseball n’a jamais quitté Reese, en partie parce qu’il a gagné des millions de dollars grâce aux paris sportifs, mais aussi parce que ce jour-là a marqué le début d’une incroyable carrière dans le poker.
En route vers la fac
Reese a définitivement attrapé le virus du poker lors d’un passage à Vegas au début des années 70. À cette époque-là, sa maladie était loin et il était très sportif.
Il était en route vers Palo Alto, en Californie, ville d’origine de Phil Hellmuth, pour se rendre à la prestigieuse faculté de droit de Stanford.
Il avait bien sûr déjà joué. D’ailleurs, son université disposait déjà d’une salle de poker à son nom. Mais il était encore loin d’être un joueur professionnel.
Mais puisqu’il passait par Vegas, pourquoi ne pas s’arrêter et tenter sa chance ? Reese s’autorisa un budget de 400 $. Il s’inscrivit à un petit tournoi, le remporta, s’assit à une table de cash game... et empocha 60 000 $ en une semaine. Reese n’a plus jamais quitté Las Vegas.
Il a même demandé à un ami de lui ramener ses affaires, parce qu’il ne voulait pas quitter la ville. Au début, il a évidemment profité du fait de ne pas être connu. Ensuite, il a tiré profit de sa bonne réputation.
Chip à Vegas
Jusqu’à ses 35 ans, Reese a pu profiter au maximum de l’argent qu’il gagnait. En 1978, il remportait son premier bracelet des WSOP, premier d’une série de trois.
Il décrocha les deux premiers dans sa variante favorite, le Seven Card Stud. Il est également devenu Card Room Manager du complexe The Dunes, situé à l’emplacement de l’actuel Bellagio. Il a tenu ce rôle pendant cinq ans.
Pendant ces cinq ans, il réussit à éradiquer la triche du Dune Casino, ce qui était loin d’être évident à l’époque.
Reese a remporté plus de 3 millions de dollars en tournois, bien qu’il ait toujours préféré les cash games et ait joué, au final, peu de tournois.
D’ailleurs, on le voyait rarement en public, principalement parce que ce n’est pas ce qui l’intéressait.
« Vous savez ce qu’on dit sur la célébrité : ça ne dure que 15 minutes », déclara-t-il un jour lors d’une interview, en référence à Andy Warhol.
En 1991, il devint le plus jeune joueur de l’histoire à intégrer le Poker Hall of Fame. On l’admirait pour son flegme, même en période de malchance.
Il était poli, courtois et toujours dévoué à sa famille. Il n’y a qu’à la table de poker qu’il était redoutable... et redouté.
Doyle Brunson l’a décrit comme « le meilleur joueur de Seven Card Stud du monde » et lui a même demandé d’écrire le chapitre dédié dans sa « bible » du poker Super System. « Il a des capacités uniques. »
Chip Reese compte plus de 50 entrées (places payées en tournois) dans la base de données HendonMob. Pendant plusieurs dizaines d’années, il a participé aux plus grandes parties d'argent de poker du monde, jusqu’à 4 000 $/8 000 $ avec des millions sur la table.
Il jouait contre Brunson et Moss pendant que Phil Hellmuth était à peine adolescent.
En dehors du poker, il a développé un système pour les paris sportifs et a remporté des millions en pariant sur le baseball.
Par contre, personne ne sait pourquoi il a investi dans certains projets plus surprenants.
Pour résumer, il était tout simplement un homme contre qui on appréciait de perdre de l’argent.
Et on se souviendra longtemps de sa description du joueur de poker :
La plus grande qualité d’un bon joueur de poker est d’apprendre à perdre... La douleur de la défaite est fascinante. Nous vivons tous sur le fil du rasoir. Je ne sais pas si je pourrais jouer à un autre niveau qu’avec les meilleurs du monde, parce qu’il faut garder la douleur de la défaite.
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C’est ça qui te pousse. Tu marches sur le fil du rasoir et la vue est magnifique. La récompense est immense, mais le risque de tomber est presque aussi excitant. Ce que nous les joueurs avons en commun, c’est que nous vivons sur le fil du rasoir et que nous partageons cette douleur, parfois.
David « Chip » Reese est mort d’une pneumonie en 2007, 20 jours avant Noël. Il avait 56 ans.
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