Vainqueur du WPT500 de Notthingham en novembre dernier, Eleanor Gudger est une de ces joueuses de poker au parcours étonnant.
Eleanor Gudger fait partie des quelques joueurs professionnels britanniques qui ont la chance d’être sponsorisés. Sous la bannière de PKR, où elle joue sous le pseudonyme de “Eiz442”, elle s’est aventurée loin de son écran en novembre dernier pour remporter 140 000 £ au WPT500 du Dusk Till Dawn.
Gudger a dû dominer 2 133 joueurs pour remporter ce titre. En 2013, elle avait terminé 6è (sur 954) lors du Ladies Event des WSOP. Elle avait également terminé 2è du Ladies Event des WSOPE à Cannes en 2011 derrière Barbara Martinez.
Elle a un truc. Un sacré truc.
Comment t’es-tu lancée dans le poker ?
J’ai commencé à jouer dans un pub, à Londres. Un jour, un tournoi PKR Live y a été organisé.
C’est comme ça que je suis entrée en contact avec PKR. Ca devait être en 2007. J’ai rencontré leur équipe et j’ai commencé à jouer en ligne.
Au début, je n’étais pas vraiment convaincue, mais après avoir rencontré les gens de PKR, je me suis rendu compte qu’ils étaient des gens normaux, donc j’ai commencé à plus jouer sur Internet.
A l’époque, je travaillais à plein temps dans une entreprise d’informatique. Puis j’ai commencé à gagner de plus en plus d’argent au poker.
J’ai remporté des packages pour aller à Las Vegas et en 2013 j’ai atteint la table finale du Ladies Event.
C’était un gros résultat pour moi, à peu près 28 000 $. Et puis c’est venu conclure ma meilleure année au poker. A ce moment-là, j’ai dû prendre une décision : rester à Londres ou déménager à Leicester pour vivre avec mon compagnon.
J’ai choisi la deuxième option et j’ai commencé à jouer professionnellement.
J’imagine que le pub était un environnement principalement masculin.
Oui, mais cela ne me dérangeait pas. J’ai travaillé dans l’informatique, où c’était également le cas.
Je me souviens qu’à une époque j’étais même la seule femme. Mais comme j’y suis habituée, c’est quelque chose qui ne m’a jamais bloquée.
Tu sembles être très confiante.
C’est vrai, et cela m’aide beaucoup. Je suis capable de lancer des conversations autour de la table, même quand tout le monde se tait.
Tu as déclaré avoir un peu hésité avant de jouer en ligne. Pourquoi cela ?
Disons que pour moi le poker a toujours été une activité sociale, je trouvais presque cela absurde de jouer sur Internet.
Je veux dire, qui étaient ces gens ? Est-ce que c’était des machines ? Est-ce qu’elles s’amusaient ?
Et puis j’ai pu les rencontrer et me rendre compte que c’était juste des gens normaux, comme moi.
Est-ce que tu aimais travailler dans l’informatique ?
J’appréciais mon boulot, surtout vers la fin. Au moment où je suis partie, j’avais un poste très épanouissant.
J’avais pu constituer ma propre équipe et on m’avait fait comprendre que je pourrais, à terme, avoir un poste au sein de la direction.
Je travaillais énormément et ma vie toute entière tournait autour de mon travail, au détriment du poker et de ma vie sociale.
Ils ont dû te croire folle quand tu es partie.
A peu près, oui. Mais à ce stade, je devais prendre une décision. J’avais commencé à travailler directement en sortant de l’université, neuf ans auparavant.
J’ai décidé de saisir ma chance. J’avais besoin de faire un break. J’ai eu beaucoup de chance que PKR me propose un contrat juste après que j’ai déménagé à Leicester.
Qu’est-ce qui t’a attirée dans le fait de devenir joueuse pro ?
En général, les gens qui jouent au poker pour l’argent sont des jeunes, qu’ils soient étudiants ou gagnent assez peu d’argent.
Personnellement, c’était plutôt une question de qualité de vie. Je ne voulais pas passer le reste de ma vie à Londres.
Je ne pouvais vivre qu’en appartement, alors que dans le reste de la Grande-Bretagne je pouvais acheter une maison. Et puis j’avais envie de profiter du temps libre et de la liberté que pouvait m’offrir le poker.
La qualité de vie était vraiment ma priorité.
A quoi joues-tu sur PKR ?
Je suis une joueuse de tournois.
Comment es-tu devenue une grande joueuse ?
Je pense que l’essentiel est d’être obsédé par le poker. Je pense que c’est quelque chose que tous les grands joueurs de poker ont en commun.
Je passe mon temps à lire des trucs : sur les forums, avec les autres joueurs, des livres, des articles, etc.
Je pense qu’il est crucial de parler avec d’autres joueurs de ses mains et stratégies. Quand je n’étais pas au travail, je pensais et/ou jouais au poker.
Ton conjoint est-il aussi un joueur de poker ?
Oui, nous nous sommes rencontrés grâce à PKR en fait. Il est un excellent joueur de MTT (tournois multi-tables).
On s’est rencontré lors d’un tournoi PKR Live. On avait déjà joué ensemble sur le site, et voilà.
Comment arrives-tu à trouver le bon équilibre dans votre relation ? Est-ce important pour toi ?
Ça peut être difficile. Parfois, quand on est tous les deux sur de mauvaises séries, ça peut être très frustrant et on doit se forcer à prendre un peu de recul et faire autre chose.
Lui travaille encore à plein temps, mais le poker est notre passion commune et notre principal loisir. On peut se laisser dépasser.
Mais au final, l’essentiel c’est qu’on aime énormément le poker tous les deux. La plupart de nos vacances tournent autour des casinos et des tournois.
La dimension sociale est très importante pour nous. Souvent, quand on a envie de sortir le soir, on va au casino du coin pour un petit tournoi. L’essentiel est de s’amuser.
Quels sont tes plus grands défis au poker ?
Quand je travaillais, c’était très difficile de trouver du temps pour jouer. Les tournois sont très chronophages.
C’est difficile de trouver le bon équilibre entre le travail et la vie personnelle quand tu es joueur de poker. J’étais souvent très fatiguée et je jouais au lieu de me reposer.
Maintenant que j’ai beaucoup plus de temps pour jouer, c’est plus facile à gérer. Je fais plus de cash games, ça change un peu et ça permet de rester à fond.
As-tu souffert de sexisme dans le poker ?
Lors d’un de mes premiers voyages à Vegas, j’ai participé à un cash game à l’Imperial Palace. C’était une partie vraiment pas chère en limites basses et j’étais dans un pot où j’avais relancé, un gars avait suivi, puis checké.
Il avait des rois et disait qu’il ne voulais pas me faire sortir du pot parce que j’étais une femme. J’étais tellement choquée que quelqu’un soit prêt à mal jouer une main parce que j’étais une femme.
Certains ont tendance à jouer différemment quand ils jouent contre des femmes. Ils sont frileux parce qu’ils ne veulent pas être bluffés par une femme ou perdre contre elle.
Par contre je n’ai jamais vraiment subi de sexisme en termes d’attitude vraiment désagréable.
A ton avis, les choses ont-elles été plus difficiles pour toi parce que tu es une femme ?
Pas vraiment, non. J’ai assez confiance en moi pour m’épanouir dans n’importe quel environnement.
Je suis toujours capable de tirer profit de la situation. Mais je comprends pourquoi beaucoup de femmes préfèrent jouer en ligne que live.
C’est un environnement qui peut être très intimidant.
Quelle est ta plus grande fierté, en dehors du poker ?
Je suis assez fière d’avoir réussi à mener une carrière avant de me lancer dans le poker. J’ai gravi les échelons un à un dans l’entreprise, j’ai intégré l’équipe dirigeante, j’ai constitué ma propre équipe...
J’ai l’impression d’avoir fait le plus dur et de pouvoir enfin profiter. J’ai beaucoup de temps libre pour faire ce que j’aime.
Je pense que je l’apprécie d’autant plus du fait de mon expérience professionnelle.
Que fais-tu quand tu ne joues pas au poker ?
J’aime beaucoup lire et voyager, j’aime aussi les jeux vidéo. En ce moment, je joue beaucoup à The Witcher.
Je suis particulièrement friande de RPG, ils sont souvent très prenants. Les jeux de tirs, c’est pas mon truc, je préfère quand il y a un scénario et des personnages très fouillés.
Est-ce que c’est le poker qui t’a amenée aux jeux vidéo ?
J’ai toujours aimé jouer. A l’université, je ne jouais pas encore au poker mais par contre je jouais beaucoup au tarot.
On jouait au lieu de sortir le soir. J’ai toujours aimé ça.
Qu’est-ce que tu lis en ce moment ?
Je lis la saga Game of Thrones. Je n’ai pas regardé la série mais j’adore les livres.
Dernièrement, j’ai aussi beaucoup aimé Blink de Malcolm Gladwell. J’aime bien les bouquins comme Freakonomics.
Quel principe, tiré d’un livre, transmettrais-tu à ton enfant
Je crois que le livre de Malcolm Gladwell Outliers avait un message important : pour devenir bon à quelque chose, il faut y passer beaucoup de temps.
Quand on est ado, on se lasse souvent très vite. Au poker, il faut jouer énormément pour progresser, même quand on est frustré ou en colère.
Il faut passer outre et continuer.
Selon toi, quelle est ta plus grande qualité ?
Je pense que c’est la confiance. Je suis fille unique et je pense que ça m’a aidée là-dessus. Ca t’oblige à te débrouiller un peu tout seul.
Il faut faire l’effort d’aller vers les autres et ça favorise une certaine indépendance.
Qu’est-ce que tu ne referais jamais ?
Faire de la muscu avec des haltères kettlebells. J’en ai fait pendant une heure et c’était plutôt sympa, mais je pense sincèrement n’avoir jamais autant souffert de ma vie que le jour suivant.
J’avais mal à des muscles dont je ne soupçonnais même pas l’existence.
Quelles sont tes peurs ?
Être joueur de poker n’est pas un emploi comme un autre. La pression est constante, il faut toujours progresser et gagner.
J’ai aussi peur des changements de législation possibles.
Comme au niveau des impôts ?
Je suis consciente d’avoir énormément de chance. Les choses sont beaucoup plus compliquées dans d’autres pays.
Les edges (avantages) sont de plus en plus faibles, donc les taxes peuvent devenir embêtantes, oui.
Il y a eu quelques changements récemment, surtout au niveau des programmes VIP et des rakes. Ce n’est pas énorme comparé à d’autres pays.
Sympa ces portraits de joueurs et joueuses moins connus. Par contre c’est pas dit que les médias en parlent beaucoup après sauf grosse victoire.