PokerListings a rencontré le joueur polonais Marcin Horecki, professionnel de poker de la Team PokerStars, et homme multi-facettes (ancien skieur, analyste financier, et joueur de Magic L'Assemblée).
Te voilà de retour à Barcelone où tu avais signé ton premier bon résultat sur le circuit. Ca te fait quelque chose de spécial d'être de retour ici ?
Oh, c'était il y a longtemps, en 2006. C'était encore le début de ma carrière. J'ai commencé le poker en 2004 mais c'est en 2006 que j'ai disputé mon premier tournoi international. C'est aussi cette année-là que j'ai atteint ma première place payée et que j'ai participé pour la première fois à l'EPT.
Pour être honnête, les villes les plus spéciales pour moi sont celles où j'ai gagné le plus d'argent comme Londres ou Prague.
Ceci dit, j'adore Barcelone, c'est une ville très sympa, il fait beau et il y a beaucoup de choses à faire ici en dehors du poker. Sans parler de la cuisine !
Je me souviens très bien de mon tournoi ici en 2006. Le poker a beaucoup changé depuis.
Comment ça ?
Il y a de plus en plus de joueurs et ils sont bien meilleurs qu'avant. Nous, les pros, on s'améliore aussi, mais ils progressent très vite, ce qui veut dire que c'est de plus en plus difficile pour nous de gagner.
J'aime toujours ce que je fais, bien sûr, gagner sa vie en jouant en poker est génial et me permet de beaucoup voyager.
En résumé, le bon côté c'est qu'il y a de plus en plus de joueurs et le mauvais qu'ils sont bien meilleurs qu'avant.
En gros, c'est ça. Mais bon, on peut toujours trouvé de bonnes parties.
Et puis maintenant, quand tu vas loin dans un tournoi tu peux gagner beaucoup d'argent parce qu'il y a énormément de participants. Alors que pour les premiers tournois de l'EPT... Je crois que le premier prix du premier EPT était de 80 000€ ou quelque chose comme ça.
Est-ce qu'il y a d'autres choses que tu regrettes de l'époque où tu as commencé le poker ?
Non, pas vraiment. Je trouve que les organisateurs de l'EPT font tout pour que les tournois s'améliorent d'année en année au bénéfice des joueurs.
Est-ce que tu peux nous parler un peu de ta carrière de skieur ?
En fait je suis né dans la seule région montagneuse de Pologne, même si ce n'est pas un massif très impressionnant par rapport à ceux qu'on trouve en France ou en Autriche.
Donc j'ai commencé le ski quand j'avais 3 ans. À 7 ans, j'ai commencé à en faire dans un club, puis plus tard j'ai fait partie de l'équipe nationale et j'ai pu voyager un peu. J'ai même participé au Championnat du Monde Junior.
Mais ensuite je me suis blessé à 18 ans et j'ai décidé de passer à autre chose. J'ai fait des études dans la finance et je suis devenu consultant dans le domaine pendant 7 ans. Je travaillais pour diverses entreprises sur des gros projets. Et puis ensuite je me suis mis au poker.
Tu as gagné des médailles ?
Oui, j'ai été champion de Pologne en juniors et vice-champion en seniors. J'étais assez bon au niveau national, mais comme je l'ai dit nos montagnes ne sont pas aussi hautes qu'en France ou en Autriche donc c'était difficile d'avoir le niveau dans les compétitions internationales.
D'après toi, est-ce que ton expérience du ski à haut niveau t'a apporté quelque chose au niveau du poker ?
Oui, j'en suis convaincu. Ça m'a donné l'esprit de compétition. Quand je faisais du ski, je voulais toujours gagner. Trop, même. Si ça ne tenait qu'à moi, j'aurais fait une compétition tous les 3 jours. (rires)
J'étais un peu impatient à l'époque, mais le poker est un bon moyen d'apprendre la patience : si tu ne sais pas attendre les bonnes mains, tu vas jouer de manière trop agressive et tout perdre.
Est-ce que le poker est particulièrement populaire chez les skieurs ?
Je ne sais pas trop. J'ai quelques amis skieurs qui y jouent et je sais que quelques skieurs d'autres pays jouent aussi, mais rien de très sérieux.
Autant je connais au moins 20 joueurs qui viennent de Magic : the Gathering – auquel je jouais aussi – autant des skieurs je n'en connais pas... Je sais que Alberto Tomba a disputé quelques tournois, mais c'était juste pour s'amuser.
Tu as donc été consultant dans la finance d'entreprise. Est-ce que cette expérience t'aide à gérer ta bankroll ?
C'est sûr ! Les qualités que je devais avoir en tant que consultant étaient basées sur l'anticipation et la capacité à évaluer les coûts et les revenus des projets sur lesquels nous travaillions. C'est très difficile parce qu'aucun projet ne ressemble à un autre : il faut être très logique et avoir l'esprit d'analyse.
Je pense que ce sont des qualités qui sont aussi utiles au poker et qu'elles m'aident effectivement beaucoup. Je pense qu'au poker, les capacités techniques ne représentent que 30 ou 40% de la réussite totale, le reste dépend de la façon dont tu gères ton temps et ta bankroll.
Je crois que je me débrouille bien dans les deux domaines, c'est pour ça que je joue depuis 9 ans et que je suis toujours là. Certes, je ne joue pas en high-stakes, mais c'est mon choix. J'ai choisi de ne pas prendre trop de risque, de ne pas risquer de tout perdre en une session, de ne pas tilter.
En plus, j'investis la plus grande partie de ce que je gagne, ce qui fait que je ne peux pas le perdre.
Je suis satisfait de jouer au niveau où je le fais, même si ça fait de moins un joueur très conservateur. J'ai entendu des gens dire qu'un joueur qui n'a jamais perdu sa bankroll n'est pas un bon joueur. Je trouve que c'est une connerie. C'est juste une excuse, ça. Moi ça ne m'est jamais arrivé, et je connais beaucoup d'autres bons joueurs à qui ce n'est jamais arrivé non plus.
Il faut savoir être prudent. Si tu perds, tu diminues les mises. Prendre trop de risques et tout perdre sur une partie ou un tournoi, ce n'est pas se comporter en professionnel. Il faut gérer sa carrière comme une entreprise.
Mais ça reste quand même un plaisir, non ?
Oui, bien sûr. Et de toutes façons, 99,9% des gens qui ont joué au poker une fois dans leur vie n'auront jamais à se préoccuper de tout ça. Pour eux c'est uniquement un plaisir.
Mais en tant que joueur professionnel sur le plus grand circuit de poker du monde, l'EPT, je pense qu'il faut aussi savoir gérer.
C'est ce que je dis à mes amis et aux autres joueurs : le poker doit être avant tout un plaisir. Après, s'ils décident de s'y mettre sérieusement pour atteindre un bon niveau ou devenir professionnel, alors il faut se plonger dans les bouquins, etc. Mais le plaisir est essentiel.
Vu ton expérience de la finance, est-ce que d'autres joueurs viennent souvent te demander conseil ?
Ça arrive, oui. J'ai enseigné le poker à quelques joueurs, mais maintenant je prépare des vidéos à destination de la communauté polonaise.
Ils sont contents de pouvoir apprendre et moi je suis content de pouvoir aider. Et puis c'est beaucoup plus intéressant pour moi de faire des vidéos : au lieu de passer une heure avec un joueur, je passe une heure pour aider tout le monde.
Je pense qu'Internet est très utile aux joueurs débutants parce qu'ils peuvent y trouver énormément de ressources.
Tout à l'heure, tu as évoqué Magic : the Gathering. Il y a beaucoup d'anciens joueurs de MtG parmi les joueurs de poker professionnels. Pourquoi cela, à ton avis ?
D'un côté, mon expérience dans la finance m'aide à gérer ma bankroll, comme je l'ai dit. De l'autre, les qualités que j'ai développées grâce à Magic m'aident au niveau de mon jeu.
À Magic comme au poker, il faut vraiment se concentrer sur les cartes, anticiper celles qui peuvent sortir et évaluer celles que tes adversaires peuvent avoir. Je pense que c'est pour ça que les bons joueurs de Magic ont souvent du succès quand ils se lancent dans le poker.
C'est vrai que ça semble assez proche du poker.
En fait, la seule vraie différence, c'est que Magic est en partie un jeu de rôle qui se déroule dans un univers fantastique. Mais en fait, quand tu joues de manière professionnelle, le côté fantastique n'a plus vraiment d'importance, tu te concentres sur la compétition et les cartes. Comme au poker où les cartes sont en fait les outils qui te permettent de gagner des jetons.
J'ai lu que tu tenais beaucoup au respect des bonnes manières, surtout à la table de poker. Est-ce que le comportement de certains joueurs te posent problème ?
Parfois, oui. Comme je l'ai dit, je vois le poker comme une entreprise. Et dans une entreprise, la règle de base est de bien traiter ses clients. Je pense que les joueurs amateurs qui participent à des tournois avec des pros sont en quelque sorte nos clients. S'ils viennent pour s'amuser mais qu'on leur parle mal, ils ne reviendront plus pour dépenser leur argent.
Il faut être poli, sympathique, les féliciter s'ils gagnent, leur dire « good game » s'ils perdent, et comme ça ils seront ravis de revenir jouer avec nous.
À mon avis, certains jeunes joueurs venant d'Internet ont un ego surdimensionné et ne se conduisent pas correctement.
Que penses-tu du fait que les joueurs passent de plus en plus de temps avec leurs tablettes et leurs smartphones à table ?
Je ne pense pas que ce soit très grave. Quand tu passes 10 heures à table mais que tu ne joues que 20% des mains, tu vas avoir beaucoup de temps libre.
Bien sûr, il faut quand même observer les autres joueurs et leur parler un peu, mais c'est aussi normal de passer un peu de temps à regarder des vidéos sur ton iPad ou autre. Du moment que ça ne perturbe pas le jeu et que tu ne le fais pas quand tu joues.
Tu ne considères pas cela comme un manque de respect ?
Non, non. Ce qui est problématique, c'est de critiquer un joueur ou de ne pas parler ni interagir pendant les 10 heures. Mais si tu passes une demi-heure à papoter puis une heure à regarder un film sur ta tablette, ça va. Il faut savoir trouver le juste milieu.
Tu disais sur ton Twitter que la Pologne n'allait pas tarder à remporter un titre de l'EPT.
Malgré les lois polonaises (nous sommes le seul pays de l'UE où on ne peut même pas jouer au poker dans les casinos), on a beaucoup de jeunes joueurs qui sont très bons. On a déjà gagné un titre WPT, le premier ISPT avec Jakub Michalak, et beaucoup de titres sur Internet, donc je pense vraiment que nous allons bientôt gagner quelque chose sur l'EPT.
Cette semaine peut-être ?
Il faut être réaliste. Je sais que si 10% des joueurs sont polonais, alors nous avons 10% de chances de gagner le titre. Donc je ne sais pas si on va gagner cette semaine, mais je sais que ça va finir par arriver, et bientôt, parce qu'il y a de plus en plus de joueurs polonais sur le circuit et qu'ils sont très bons.
Il y a quelques années, il n'y avait que moi et un autre joueur. Aujourd'hui, nous sommes plus de 20, on se connaît tous et beaucoup sont professionnels. On a beaucoup avancé !
Comment se développe le poker en Pologne ? Est-ce que les joueurs sont obligés d'aller jouer à l'étranger ?
En gros, oui. Je pense que la loi polonaise ne respecte pas les lois de l'Union Européenne en la matière, mais pour l'instant c'est comme ça.
Les gens jouent quand même, mais c'est illégal.
C'était pareil en France, en Italie et en Espagne il y a quelques années.
Oui, et la France, l'Italie et l'Espagne se sont rendues compte que le poker devait être légalisé et régulé. Malheureusement ils ont aussi décidé de fermer le marché et de trop le taxer.
Le marché devrait être ouvert, ce qui permettrait à tout le monde de jouer avec les autres. Les opérateurs paieraient 15 ou 20% de taxes sur leurs recettes et tout le monde y gagnerait.
Malheureusement, et c'est vrai dans tous les domaines, les lois sont rarement votées par des gens qui s'y connaissent. Il y a toujours un politicien pour dire qu'augmenter les taxes permettra de gagner plus d'argent, alors que l'ouverture du marché serait bien plus rentable pour le gouvernement.
Les hommes politiques jouent à celui qui promet le plus, même s'ils ne respectent pas ces promesses. Je pense que c'est un des problèmes de la démocratie, même si c'est le meilleur système politique qu'on ait trouvé.
Pourtant le gouvernement devrait être intéressé financièrement par l'argent que peut rapporter le poker.
Oui, mais les Polonais sont très conservateurs, beaucoup de gens vont toutes les semaines à l'Église. Le gouvernement ne veut pas légaliser le jeu parce qu'ils ont peur que ça ne leur fasse perdre des votes aux prochaines élections. Le problème c'est que le loto est légal, que les paris sportifs sont légaux, que les casinos sont légaux, mais pas le poker. C'est injuste.
Il y avait pourtant des tournois en Pologne.
Oui, pendant 4 ans on a eu l'EPT Varsovie. Malheureusement, une nouvelle loi a été votée, donc nous n'avons plus que de tout petits tournois très taxés.
En France par exemple, les taxes s'élèvent à 4% du prizepool. En Pologne ? 25%. C'est ridicule, personne ne va venir jouer en Pologne alors qu'ils sont sûrs de perdre de l'argent.
Est-ce que tu penses que la Pologne peut devenir une place forte du poker ?
Ça sera déjà plus facile quand le poker aura été légalisé. Mais il y a déjà beaucoup de joueurs polonais qui se font connaître et qui gagnent, donc je pense qu'on est sur la bonne voie. On est reconnus.
Gagner un titre majeur sur l'EPT n'est qu'une question de temps, parce que nous avons le niveau. Ça sera peut-être cette semaine, peut-être le mois prochain, mais en tout cas bientôt.
Malheureusement je ne suis pas sûr qu'une victoire suffise à convaincre le gouvernement de légaliser le poker, mais je crois qu'au moins ils sont en train de s'occuper du poker en ligne.
Il paraît que ton surnom est « Goral », ce qui veut dire « homme des montagnes ».
Oui, c'est ça. En fait je suis né à Zakopane, les Gorals étaient une tribu qui vivaient ici il y a très longtemps. Je ne suis pas d'origine gorale, parce que mes parents se sont pas de Zakopane, mais tout le monde m'appelle comme ça et c'est resté.
Peut-être qu'il faudrait organiser quelque chose entre toi, « l'homme des montagnes », et Dan 'Jungleman' Cates, « l'homme de la jungle »...
(rires) Ça pourrait être intéressant oui, mais je crois que ça ne serait pas très bon pour moi !
On ne sait jamais !
Non, non, je ne suis vraiment pas un spécialiste des high-stakes.