Des sportifs qui se mettent au poker, on en connaît quelques-uns, mais plus rares sont les pongistes qui peuvent être vus passer des tables de ping-pong à celles de poker. Rencontre avec le couple Pim De Goede - Viktoria Lucenkova, passée par Reims et aujourd'hui joueuse au SU Schiltigheim Tennis de Table près de Strasbourg.
Comment en êtes-vous venus au poker, vous qui êtes à la base joueurs de tennis de table professionnels ?
Pim : J'étais joueur de tennis de table professionnel en Belgique, et quand je suis revenu en Hollande, mes amis m'ont initié au poker et c'est comme ça que ça a commencé. Comme tout le monde en fait ! Tu commences à jouer pour savoir qui va faire la vaisselle, ensuite tu joues pour 2€, après tu joues sur Internet, et c'est parti ! En quelques mois tu es dedans.
Et comment décide-t-on d'arrêter le tennis de table pour se mettre au poker ?
Pim : Disons qu'à l'époque, je sentais que je touchais un peu aux limites du tennis de table.
Viktoria : En fait, la différence de niveau entre le niveau junior et le niveau senior est très importante et peut être difficile à gérer. On peut avoir un excellent niveau européen en junior et avoir plus de mal en senior.
Pim : Oui. Pour faire simple : à 18 ans j'étais 600ème mondial, et je me suis rendu compte que je ne pourrais jamais atteindre le top 100 avant mes 28 ans, au mieux !
Viktoria : C'est compliqué de s'entraîner et de jouer tout en sachant qu'il faudra attendre 10 ans pour pouvoir peut-être gagner sa vie. Et puis au tennis de table, on ne gagne pas les mêmes sommes qu'au foot ou au tennis... Il faut vraiment faire partie des 100 premiers mondiaux pour pouvoir en vivre.
Combien gagnent les membres du top 100 justement ?
Viktoria : Ça dépend énormément de l'endroit où tu joues. Par exemple, en France les joueurs de Pro A et de Pro B sont assez bien payés.
Pim : Oui, surtout qu'en France les municipalités aident les sportifs et investissent dans les clubs, etc. C'est pour ça que les Français sont bien payés par rapport aux joueurs hollandais par exemple.
Quant aux joueurs du Top 100, ils ne gagnent pas plus de 20 ou 25000€ par an. Ça ne suffit pas pour vivre et financer les tournois.
Viktoria : Après, tout dépend des contrats, des sponsors qui peuvent te payer les équipements, etc. Bref, le top 100 mondial peut à peu près vivre du ping-pong.
Viktoria, tu n'en étais pas loin toi, non ?
Viktoria : Oui, c'est ça, j'étais dans le top 200, mais c'est un peu différent pour les femmes. Très peu de joueuses peuvent en vivre.
Pim : Par contre, en France c'est pareil pour les joueuses et les joueurs. C'est vraiment là que la situation est la meilleure.
Viktoria : Oui, c'est pour ça que je joue toujours en France, actuellement au SU Schiltigheim depuis deux saisons.
En habitant à Malte, comment arrives-tu à gérer cet emploi du temps ?
Viktoria : C'est un peu compliqué, notamment au niveau des allers-retours toutes les deux semaines. Du coup je pensais réduire un peu. Et puis finalement on s'est maintenus en National 1, et le club m'a demandé de continuer à jouer tous mes matchs, donc on verra bien.
Pim : C'est vrai que tu as la chance d'évoluer dans un excellent club.
Viktoria : Oui, et puis j'ai vécu en France pendant 5 ans donc j'aime bien revenir, et voir mes amis.
Vous êtes venus en France, à l'origine à Reims, pour jouer au tennis de table ?
Viktoria : Oui, le club m'a proposé un bon contrat donc on est venus tous les deux des Pays-Bas. J'y suis restée 5 ans – j'y ai aussi travaillé en tant qu'entraîneur, et quand mon contrat s'est terminé je suis venue à Malte.
Pim : D'ailleurs c'était juste avant que soit votée la nouvelle loi sur le poker en France.
Selon vous, est-ce qu'il y a des similitudes entre le tennis de table et le poker ?
Pim : C'est très différent. Tout ce que je peux dire, c'est qu'au tennis de table, je n'étais pas un des plus talentueux ni un des plus forts physiquement, mais je travaillais énormément et c'était un de mes points forts.
Je pense que c'est pareil au poker et dans mes études, je travaille beaucoup et ça me donne un certain avantage sur mes adversaires.
Peut-être que ça a également permis de développer votre esprit de compétition ?
Viktoria : Oui, c'est sûr ! Je pense aussi qu'on a appris à contrôler nos nerfs, à rester calme. Au tennis de table, il faut être au top physiquement mais il faut aussi être toujours concentré car un match peut se perdre en 5 minutes. Un peu comme au poker.
Pim : C'est vrai qu'on peut comparer un tournoi de poker à un match de tennis de table à ce niveau-là.
Par contre, moi j'étais toujours très énervé quand je jouais au tennis de table...
Viktoria : Oui, il a même cassé des tables !
Pim : Voilà. Alors qu'au poker, je suis plutôt calme. Je tilte parfois, mais pas plus que ça et plutôt moins que mes amis.
Vous êtes donc venus à Malte pour jouer au poker en ligne ?
Viktoria : C'est surtout Pim, même si je joue pas mal sur les sites français.
Pim : Pour être franc, on a déménagé pour des raisons de fiscalité. Quand on a vu les nouvelles lois qui allaient être votées en France au niveau des impôts, on s'est dit qu'il valait mieux déménager.
Et puis on aime bien la vie à Malte aussi. Enfin surtout moi, Viktoria un peu moins. Mais c'est vrai qu'on n'a pas spécialement d'attaches ici, tout comme on n'en avait pas spécialement en France.
Justement, Pim tu es hollandais, Viktoria tu es slovaque, vous vous êtes rencontrés en Belgique, vous avez vécu en France et à Malte, vous voyagez à Vegas pour les WSOP... Vous êtes de vrais citoyens du monde !
Pim : D'un côté, c'est bien, mais il faut aussi faire attention à se « construire », à avoir quelque part où tu pourras passer ta vie tranquillement. En ce moment on pense beaucoup à trouver un endroit où nous installer.
Est-ce qu'il y a un pays auquel vous êtes plus attachés qu'un autre ?
Pim : Disons qu'on s'est beaucoup attachés à la France, c'est juste une question d'impôts...
Viktoria : Maintenant, soit je trouve un travail à Malte et on reste, soit on verra.
Pim : On s'était dit qu'on essaierait de vivre 6 mois à Malte, et finalement ça fait déjà presque deux ans qu'on est là. Quand on est parti de France, on n'était pas encore fiancés, mais maintenant on a une situation stable et on voudrait vraiment trouver quelque part où s'installer, et Malte n'est peut-être pas l'idéal. Ce n'est pas forcément génial d'investir dans l'immobilier ici par exemple.
Viktoria : Le contraste avec la France est un peu difficile, même si le climat est sympa. La vie culturelle française me manque, mes amis me manquent, je fais beaucoup de trajets en avion... C'est difficile.
Pim : Voilà, on doit faire des projets. On a vécu dans beaucoup de pays, donc on est chez nous partout... et nulle part.
Viktoria : Oui, je pense que c'est un problème qu'ont beaucoup de couples qui ont beaucoup voyagé. On a beaucoup d'amis dans la même situation.
Au niveau du poker, Viktoria tu as décroché ta première place payée aux WSOP cet été, toi Pim tu en as déjà quelques unes au compteur. Quels sont vos objectifs en termes de poker ?
Pim : Oui, on peut parler de Vegas. Le rêve serait de gagner un bracelet. Bon, ça n'a pas marché cette année. (rires)
Viktoria : Comme tous les joueurs de poker, l'idée est d'arriver à gagner ta vie et à décrocher un contrat, comme dans le sport professionnel.
Pim : Quand on vivait en France, j'espérais signer avec un groupe français, mais ça n'est pas arrivé. Je peux comprendre, mais c'est dommage parce que j'étais quand même un peu connu en France. On s'est rendu compte que c'était difficile de signer pour une poker room. Du coup on essaye de se faire plaisir et de gagner un peu d'argent.
Viktoria : Oui, et la dimension sociale est très importante.
Pim, tu as terminé 14ème de Battle of Malta l'année dernière, cette année c'est toi Viktoria qui est partie pour une performance (elle finira à la 44ème place NDLR), c'est peut-être ton année ?
Viktoria : Oui, j'espère ! Entre nous deux, on essaye toujours de minimiser la variance ! (rires)
Participer à des tournois à deux, on imagine que c'est pratique notamment pour s'échanger des conseils.
Pim : Oui, c'est sûr. On est toujours là pour se supporter et s'entraider. Disons qu'avant je regardais pour voir ce qui se passait à la table, mais maintenant je regarde pour voir jouer Viktoria, et c'est pareil pour elle. Et puis elle a beaucoup progressé.
Viktoria : C'est vrai que c'est bien. On retrouve nos amis, on parle poker, du coup j'en profite.
Retrouvez aussi Viktoria interviewée par Kara Scott à Battle of Malta (en anglais)