On entend parfois que le poker est à l'image de la société, que bien des comportements sociaux s'y retrouvent, notamment à la table. Certains ont rapidement su voir ce lien et conduire un projet autour du poker et de sa dimension psychologique et comportementale. C'est le cas de Richard Abad, fondateur du concept de Poker Coach Management. PokerListings l'a rencontré.
Pouvez-vous nous expliquer en quelques mots le principe du poker management ?
Le cabinet Coheliance est un cabinet de coaching qui s'occupe des entreprises, nous faisons donc de l'accompagnement au changement dans les entreprises à l'aide d'outils de psychologie, que ce soit auprès de dirigeants, des salariés, de groupes de commerciaux... Ou pour résoudre des problèmes.
En quoi le concept diffère t-il des séminaires, des jeux d'entreprise classiques ?
Nous ne les faisons pas jouer pour jouer, mais pour accompagner un travail, un changement.
En tant que joueur de poker, je me suis posé la question de savoir si je les mettais autour d'une table de poker et que je faisais émerger certaines situations, pourraient-ils faire un parallèle avec ce qu'ils vivent en entreprise ? Ce fut bien le cas.
La formation c'est un coach, un spécialiste de l'organisation qui fait aussi croupier. Je prends huit personnes au maximum que ce soit en individuel, dirigeants, directeurs d'entreprise, ou à l'intérieur d'une entreprise avec par exemple un groupe de commerciaux, et je les mets dans une situation de tournoi c'est-à-dire que je les fais jouer.
Donc avec tout le matériel adéquat, de vrais jetons ?
Vraies tables de poker, vrais jetons, vraies cartes... J'attache de l'importance à l'ambiance pour pouvoir créer ce qu'on appelle en terme de psychologie l'appel à l'enfant libre, c'est-à-dire de se débrouiller pour qu'ils oublient qu'ils sont en plein travail.
On imagine que le concept du jeu est également toujours mieux accueilli...
C'est un moyen d'oublier très facilement qu'on est en train de travailler. Le coach effectue ensuite ce qu'on appelle dans notre jargon l'effet miroir, c'est-à-dire qu'il repère des phrases dites ou non dites, ou des attitudes, et il interpelle la personne en lui disant par exemple « je vous vois faire ça est-ce que vous en avez conscience ? ». La personne voit si elle a conscience ou pas de ce qu'elle vient de faire, et effectue ensuite un parallèle avec ce qu'elle fait dans l'entreprise.
Vous faites donc partie des gens qui ont vu dans le poker plus de vertus qu'il pouvait paraître au premier abord.
Oui pour moi c'est une évidence. Ca fait 10 ans que je joue, en m'étant même sauvé la mise grâce à lui. L'idée du poker management elle est née il y a 3 ans. Un soir où j'étais en difficulté à'une table, je suis sorti, j'ai pris dix minutes pour moi, et je me suis coaché, c'est-à-dire que je me suis servi de mes outils de coaching pour revenir à la table et accompagner un changement chez moi. C'est-à-dire voir comment est-ce que je pouvais revenir dans la partie et changer mon fonctionnement. Et j'ai gagné.
Ce qui m'intéresse c'est le côté psychologique du poker, pour moi c'est absolument fabuleux. C'est un terrain de travail et de recherche vraiment intéressant. Cela fait deux ans que je mets en place cette formation, deux ans que j'en découvre encore.
Est-ce que vous sentez encore quelques réticences par rapport au jeu et à sa mauvaise réputation ?
Le poker a vraiment encore mauvaise réputation dans certains endroits, même si nos célébrités françaises ont fait beaucoup pour le faire connaître. Mais c'est vraiment intéressant pour moi et pour un coach, pour travailler sur les représentations.
Dans l'entreprise les représentations, c'est "le con de patron", le "feignant d'ouvrier", tout ce qui met un blocage à l'avancement d'un travail à l'intérieur d'une entreprise. C'est ce que nous appelons dans le jargon les représentations limitantes.
Donc quand quelqu'un me dit que le poker c'est un jeu de truand, un jeu de mafieux, c'est un régal pour moi parce car je peux travailler sur ces représentations limitantes.
En fait tous les paramètres du poker me servent pour le coaching. Que ce soit le rapport à l'argent, la gestion du stress, la prise de décision... On a même travaillé sur la crise économique. Pour un joueur de poker un temps de crise c'est comment gagner une partie avec une paire de 7. On n'a pas toujours un carré d'as dans les mains.
On peut considérer le poker juste comme un jeu de hasard. Mais il peut aussi être une façon de travailler, une façon de prendre de l'information dans votre environnement pour prendre une décision et réduire à sa plus simple expression ce hasard.
Même si de plus en plus de gens connaissent le jeu aujourd'hui, tout le monde ne sait pas forcément jouer au poker dans vos formations ?
J'ai plus de personnes qui ne savent pas jouer, même certaines qui ne savent pas jouer aux cartes du tout. C'est passionnant puisque c'est encore une fois un outil dont je peux me servir. Dans l'entreprise les dirigeants se retrouvent en effet parfois face à des situations qu'ils ne connaissent pas.
Dans la formation la plus classique qu'on propose, sur deux jours, il y a une partie dans la matinée où on apprend à jouer au poker.
Certains se découvrent ensuite à travers le jeu ?
Le plus souvent quand je reçois des dirigeants, des gens un peu sûrs d'eux, ils me disent qu'ils ne jouent pas au poker comme ils dirigent leur entreprise. Ce à quoi je leur répond que c'est ce qu'ils pensent pour le moment. Et à la fin de la matinée, tous finissent par me dire que c'est incroyable, qu'ils ne s'en étaient pas rendu compte, et qu'au fond leur comportement dans le jeu est exactement comme ils dirigent leur boîte.
Pour moi c'est un régal. Je fais ce métier depuis longtemps et je me suis déjà aperçu que le jeu, et pas seulement le poker, fait appel à cette partie de nous qu'on appelle donc l'enfant libre en terme de psychologie. C'est un vrai révélateur, c'est là que l'enfant qui est en nous joue, et se révèle. Mais le poker est un démultiplicateur de tout ça, parce qu'il y a une notion d'enjeu, d'argent. Le jeu est déjà un révélateur de nos comportements, et encore plus le poker.
Que sont les retours sur vos accompagnements ?
Les gens qui viennent faire un coaching apportent avec eux un objectif, donc ils disent pourquoi ils sont là.
Concrètement cela se passe sur deux jours, à 8 autour d'une table de poker. La première journée on fait un tournoi, en Limit le matin et No Limit l'après-midi. Une fois qu'ils ont joué et que je les ai coachés, et qu'ils ont fait attention à leurs réactions à leur comportement, le lendemain matin on fait ce que l'on appelle de l'analyse de pratique, autour d'une table qui n'est cette fois pas une table de poker, et les gens travaillent sur ce qu'ils ont vu, ce qu'ils a émergé de tout ça.
Enfin, l'après-midi du deuxième jour , on rejoue au poker pour qu'ils puissent mettre en application ce qu'ils ont travaillé.
La plupart du temps les gens ont dépassé leur objectif. Ils n'imaginaient pas qu'avec le jeu ils puissent aller aussi loin.
Et puis pour que naissent encore plus de comportements on met une récompense au bout. Évidemment les jeux d'argent sont interdits alors on met une bonne bouteille de Bourgogne. Et croyez-moi que c'est un enjeu suffisant quelquefois.
De quoi faire naître des vocations ?
(rires) Ca c'est la problématique. J'ai participé à un congrès d'une entreprise l'été dernier, où j'avais 55 personnes à former, à coacher. Trois jours dans un château au bord du lac d'Annecy étaient au programme. La première journée j'ai fait une première partie de jeu avec un groupe. Le lendemain je me suis aperçu qu'ils avaient joué au poker toute la nuit Alors qu'il y avait les trois quarts de gens qui n'étaient pas joueurs de poker...
Mais une telle formation enseigne peut-être aussi les actes de prudence par rapport au jeu ?
Je donne toujours ce genre de précautions, des avertissements, d'autant plus que je coache aussi des joueurs de poker qui veulent développer leurs performances, ainsi que des traders. Ils subissent le même syndrome que les joueurs de poker sur lequel je travaille avec eux et qui s'appelle la dissonance cognitive.
C'est-à-dire ?
La dissonance cognitive, c'est comment notre cerveau oublie une mauvaise information pour recommencer la même bêtise. Pour un trader ça sera "comment je viens de dépenser un million d'euros pour acheter des actions qui viennent de s'écrouler, et comment je vais oublier ça en voulant me racheter en essayant de doubler ma mise". Double erreur. Au poker c'est la même chose, quand vous prenez par exemple un mauvais coup parce que vous n'avez pas assez fait attention aux joueurs, à la possibilité de couleur, et comment dans le coup d'après avec l'envie de vous refaire vous recommencez la même bêtise.
Combien de coachs composent actuellement votre réseau ?
Le réseau est pour le moment constitué de 11 coachs. On est en train de former une nouvelle équipe de 6 car on est débordés. Ca ne va pas aussi vite qu'on le voudrait parce que l'on est vraiment attachés à faire du travail de qualité. On ne recrute pas n'importe quel coach. Beaucoup de gens se disent coachs mais n'ont pas fait les formations nécessaires. Donc on met beaucoup de temps à les recruter. Et après il faut aussi que ce soit des gens qui aient envie de jouer au poker, ce n'est donc pas aussi simple que cela.
Comme on travaille avec des outils de psychologie, il faut aussi qu'ils soient supervisés par des pairs, moi y compris. Sinon cela peut être dangereux. On prend toutes les précautions pour qu'il n'y ait pas de dérives.
Quels sont vos objectifs de développement ?
Déjà ce n'est pas notre seule activité, puisqu'on accompagne aussi les entreprises avec d'autres méthodes à travers le cabinet Coheliance. On a un réseau d'à peu près 30 coachs qui nous accompagnent dans l'entreprise. On travaille beaucoup sur Paris, sur Lyon, ...
On souhaite développer le réseau de poker management sur la France, avec au moins un coach par région. Ca avance petit à petit.
Devant le succès nous avons aussi quelques coachs anglais en Europe qui seraient intéressés pour développer ce produit.
Vous visez donc l'international ?
Oui. C'est pour cela qu'avec un collègue nous projetons également d'écrire un livre là-dessus. Car il y a beaucoup à dire sur le ce que l'on appelle la TOB, la Théorie Organisationnelle de Berne, un des grands principes pour accompagner les structures, associations, entreprises.
De quel œil voyez-vous l'ouverture du marché des jeux en 2010, à titre personnel et par rapport au Poker Management ?
J'ai une passion pour ce jeu, j'ai joué aussi sur Internet. Mais je sais que l'ouverture des jeux c'est un gros business. Il y aura grosse bagarre mais on va passer outre toutes les problématiques des joueurs "addict", et il y aura des soucis, c'est évident.
Cela permettra aussi de mettre un peu plus de contrôle, ce qui a des a inconvénients et des avantages.
Vous pensez que cela aura des incidences sur votre projet ?
L'ouverture en France et toute la publicité qui en est faite fait parler de nous c'est évident, mais ce n'est pas une nécessité.
Ce qui est vraiment important pour le cabinet Coheliance, ce sont nos valeurs, et l'éthique.
Les casinos ont un nouveau concept, celui du jeu responsable. Mais il faut que cela soit bien encadré sinon cela reste un coup de marketing. On travaille d'ailleurs avec le troisième groupe européen, Joa Casino, pour que le jeu responsable devienne quelque chose de vraiment important, parce qu'on pense que le poker est vraiment quelque chose de ludique, et que les gens peuvent s'y amuser et gagnent même de l'argent, même s'ils en perdent aussi, sans en faire des fous furieux.
A l'arrivée, comme pour tout, tout est affaire d'avoir conscience des choses...
Souvent il y a beaucoup de choses que l'on sait, mais qui sont dans l'inconscient. Le coach est là pour en faire prendre conscience. Quand j'accompagne des joueurs de poker, je ne leur donne pas des techniques pour gagner. Ce sont eux les professionnels. Ce que je m'évertue à faire c'est de développer leur propre potentiel, c'est-à-dire de voir quels sont les freins, les blocages psychologiques qui font qu'ils n'ont pas conscience de certaines choses et comment passer outre.
Le poker c'est aussi apprendre à vivre. Quand on développe son jeu on développe sa vie, on développe nos comportements face à toutes les problématiques que l'on peut rencontrer.
pour en savoir plus : www.poker-management.eu
Ou comment concurencer les acteurs de l’organisation de tournois/initiations/séminaires professionnels, avec des pseudos psychologues (qui ne sont donc pas du tout croupiers) qui n’y connaisent rien au Poker, pour 3 fois le prix d’un tournoi classique.
Bravo!!