Le désir de maximiser ses profits ne s'applique pas qu'au poker : on le retrouve dans l'économie, la politique et bien d'autres domaines.
Les gens ont toujours envie d'atteindre, voire de dépasser, leurs limites.
Il y a plus de 40 ans, un duo de scientifiques canadiens, Laurence J. Peter et William Hull, ont développé ce qu'on a ensuite appelé le « principe de Peter ». Ce principe établit que dans une entreprise donnée, les bons employés seront promus jusqu'à ce qu'ils atteignent leur « niveau d'incompétence », niveau où ils finissent par rester bien qu'ils n'aient plus aucune utilité.
Comme la rétrogradation est impossible dans nos hiérarchies modernes, l'employé reste alors dans une position qu'il ne peut assurer convenablement. L'apogée de sa carrière devient alors une impasse.
La seule raison pour laquelle ce système survit, c'est parce que les employés n'atteignent pas tous leur niveau d'incompétence en même temps. Ainsi, ce sont ceux qui ne l'ont pas encore atteint qui accomplissent le travail.
Nous pouvons voir ce principe se vérifier régulièrement, même dans notre entourage. Les professionnels du management du monde entier prennent très au sérieux le principe de Peter. Le livre dont il est tiré a été traduit en de nombreuses langues et il est encore publié aujourd'hui.
Mais quel rapport avec le poker ?
Si vous appliquez ce principe au poker, vous comprendrez pourquoi de nombreuses parties aux mises élevées sont remplies de joueurs complètement dépassés.
Prenons un exemple : Joueur A est jeune, ambitieux et talentueux. Il s'entraîne beaucoup en limites basses et monte de limites (augmente ses enjeux) lentement mais sûrement. Il fait aussi très attention à la gestion de sa bankroll, parce qu'il est intelligent et qu'il veut arriver le plus haut possible.
Plus il grimpe, plus son ratio de BB gagnées / 100 mains diminue, mais il ne se laisse pas décourager. Il finit par atteindre les high stakes (hauts enjeux) et trouve que c'est un peu compliqué. Mais comme il n'est pas du genre à abandonner, il continue à travailler pour arriver à progresser. Après environ 200 000 mains, il se rend compte que la compétition est trop forte et qu'il n'a pas le niveau. Il retire alors l'argent qui lui reste (réduit à peau de chagrin) et laisse tomber le poker.
Ce parcours ressemble à celui de milliers d'anciens joueurs. Dans notre civilisation occidentale, le seul credo qui vaille est « plus haut, plus vite, plus loin, plus fort », et on assimile la stagnation à une régression. C'est ça qui a poussé notre protagoniste à aller toujours plus loin, et quand il s'est rendu compte de son erreur, il était déjà trop tard.
Cependant, l'avantage des joueurs de poker par rapport aux cadres supérieurs, c'est qu'ils peuvent toujours arrêter sans entacher leur réputation. Certaines personnes auraient pu remarquer que Joueur A était redescendu à des limites inférieures, mais tout cela se serait tout de même limité à l'anonymat d'Internet.
Notre héros a subi le principe de Peter de plein fouet. D'ailleurs, notre cher Joueur A ne vous a-t-il pas fait penser à Viktor « Isildur1 » Blom ?
Alors oui, sa visibilité bénéficie à l'industrie du poker, mais au final ses résultats sont négatifs. En 2013, Blom a perdu près de 2,7 millions de dollars en ligne, ce qui faisait de lui le deuxième plus grand perdant de l'année derrière Guy LaLiberté.
Avant d'être connu, Viktor Blom a gravi plusieurs fois l'échelle des limites, avant d'atteindre son point de rupture et de perdre tout son argent.
Tous les joueurs de poker devraient prendre en considération le principe de Peter. Même si celui-ci ne s'applique pas à 100% au poker, il n'en demeure pas moins essentiel.
Tout le monde a des limites, et les connaître est particulièrement difficile au poker en raison de la variance, ce qui peut vous rendre trop confiant. Si vous enchaînez les bons résultats, vous risquez de vous voir meilleur que vous ne l'êtes, et si vous perdez, vous pouvez tout mettre sur le dos de la malchance.
En outre, des jeunes joueurs aux dents longues débarquent chaque jour dans le poker et le jeu évolue sans cesse. Ce qui veut dire que même un joueur qui se sera stabilisé à un niveau élevé pendant longtemps pourra un jour se retrouver dépassé par des nouveaux joueurs.
Être capable d'admettre que l'on n'est pas en mesure de rester au niveau est essentiel afin d'éviter de vous retrouver ruiné.
Si vous n'arrivez pas à éviter les écueils du principe de Peter, il y a fort à parier que vous finirez comme notre pauvre protagoniste anonyme, Joueur A.