Nicholas Dandolos était une légende vivante. Soutenu financièrement par des hommes d’affaires très riches, il a été guide touristique pour Albert Einstein et a participé au heads-up le plus mythique de l’Histoire face à Johnny Moss, lors de ce qui a plus ou moins marqué le début des World Series of Poker.
Aucun joueur de poker n’a probablement plus gagné (et perdu) d’argent que Nick le Grec. On estime qu’il a généré des mouvements d’environ 500 millions de dollars.
Nicholas Andreas Dandolos est né en 1883 à Rethymon, en Crête. Son père était vendeur de tapis et son grand-père, dans la plus pure tradition grecque, armateur.
Contrairement à la plupart des joueurs de cette époque, Nick a grandi dans une famille aisée et un environnement plutôt privilégié. Il a même décroché un diplôme de philosophie.
A 18 ans, ses parents l’ont envoyé aux Etats-Unis afin qu’il puisse devenir un homme d’affaires prolifique. Nick a préféré s’embarquer dans une autre carrière qui a commencé lors d’un petit voyage à Montréal grâce à sa rencontre avec un célèbre jockey, Phil Musgrave.
Le jour où il a placé son premier pari hippique, il a découvert sa vraie nature : joueur. Nick se chargeait des mathématiques et Phil partageait son expérience des courses hippiques.
Ce qui devait arriver arriva : ils ont fait fortune.
A la fin de la saison, le jeune Nick avait déjà un demi-million de dollars en poche. Il s’est alors précipité dans les casinos de Chicago pour tout dépenser au poker et au craps.
Reste que le jeune homme avait inventé un nouveau style de jeu : il jouait plus longtemps et de manière plus intensive que quiconque, et surtout il n’accordait aucune valeur à l’argent.
Perdre 100 000 dollars (soit environ l’équivalent de 1,6 millions de dollars aujourd’hui) en une seule session n’arrivait certes pas tous les soirs, mais c’est bel et bien arrivé.
A savoir que pour lui, une session pouvait durer jusqu’à 10 jours, d’après ce qui se disait à New-York. Personne avant lui n’avait perdu autant d’argent en une seule session.
Lorsque les jeux d’argent sont devenus légaux à Las Vegas en 1931, Nick était déjà très connu dans le milieu.
Joueur-né, il avait enfin trouvé son terrain de jeu de prédilection dans les casinos, à près de 50 ans. Rien de tel que de l’action 24 heures sur 24 pour satisfaire un tel joueur.
Un Joueur né
Fidèle à lui-même, Nick se débrouillait tout seul à Vegas et ne jouait qu’avec son propre argent (tout en payant le pizzo de temps en temps).
Les propriétaires de casinos l’adoraient. Benny Binion ne faisait pas exception. Un jour de 1949, Nick lui a demandé qui était le meilleur joueur de poker du Binion’s Horseshoe. Il voulait le défier en heads-up. Binion a décidé de faire appel à son ancien protégé Johnny Moss.
A l’époque, Moss écumait le sud des Etats-Unis avec les autres Texas Road Gamblers. Il était toujours à l’affût et Binion n’a pas eu à le lui demander deux fois.
Quelques jours plus tard, Moss et Dandolos se retrouvaient donc autour d’une table de poker. La légende veut que pendant les 5 mois suivants ils ne se soient levés que pour manger et dormir.
Bien inspiré, Binion s’est assuré que l’affrontement soit public. Les visiteurs pouvaient aller et venir comme ils le voulaient et la table était apparemment placée tout près d’une grande baie vitrée.
Ce qui était particulièrement intéressant dans cette partie, ce sont les personnalités complètement opposées des deux joueurs. Nick le Grec avait 67 ans et avait déjà battu tous les plus grands joueurs de l’est des Etats-Unis, comme le mafieux Arnold Rothstein. Moss était de 25 ans son cadet et il avait la réputation d’être le roi du sud. Le Grec était distingué, sociable et bavard. Moss, non-diplômé, était toujours distant, en total contrôle et ne montrait aucune émotion.
Une partie mythique de 5 mois non-stop
Dandolos avait l’habitude de jouer contre des joueurs du nord et de l’est des Etats-Unis, mais il n’était pas prêt pour Moss.
Beaucoup de spectateurs pensaient savoir pourquoi : les deux joueurs avaient à peu près le même niveau, il semble même que Dandolos ait dominé le début de la partie, mais Moss a su utiliser les faiblesses de son adversaire. Pendant que Moss profitait des (courtes) pauses pour se reposer, Dandolos partait jouer au craps.
Le Grec allait s’épuiser et ce n’était qu’une question de temps. D’autant que Johnny Moss était extrêmement patient et ça a fini par payer. Après une dernière session dévastatrice, Nick Dandolos s’est levé et a prononcé la phrase la plus connue de l’Histoire du poker :
“M. Moss, je dois vous laisser partir.”
Lorsque Benny Binion a lancé les World Series quelques années plus tard, il a déclaré que c’est cet affrontement qui l’avait inspiré.
Au moment de faire le point sur sa carrière, Nick Dandolos a estimé qu’il avait fait fortune puis tout perdu environ 73 fois dans sa vie.
L’un de ses amis disait de lui : “Il pouvait passer des jours à jouer sans dormir. Parfois, il était tellement épuisé qu’il fallait appeler un docteur qui l’examinait pendant qu’il continuait à jouer.”
Un joueur comme Nick le Grec attire les légendes comme la lumière attire les mouches.
On raconte qu’il connaissait très bien les oeuvres de Platon et d’Aristote et qu’il parlait six langues. On dit aussi qu’il était un poète talentueux.
“Il vivait comme un Socrate des temps modernes, sans accorder aucune importance aux possessions matérielles,” déclarait un de ses amis.
Ruiné 73 fois
On estime que Dandolos a perdu 4 millions de dollars contre Johnny Moss, une perte dont il ne s’est jamais vraiment remis.
Mais avant cela, il jouait des sommes énormes. Des gens comme Carl Leammle, fondateur d’Universal Studios, le soutenaient financièrement.
Par ailleurs, Dandolos était également très impliqué dans le caritatif. Il a donné près de 5 millions de dollars à différentes organisations, il finançait les études des enfants de ses amis et a payé les factures hospitalières de plus de 1000 personnes.
Vers la fin de sa vie, Dandolos s’était remis au Limit Draw Poker à 5$ à Gardena, en Californie.
Lorsqu’on lui a demandé si ce n’était pas trop étrange de jouer pour quelques dollars après avoir joué pour des millions de dollars toute sa vie, Dandolos a souri et répondu : “C’est quand même de l’action, non?”
Sa devise était : “En dehors de jouer et gagner, ce que je préfère c’est gagner et perdre.”
On ne sait pas s’il a vraiment fait visiter Vegas à Einstein, mais la légende veut qu’il ait présenté Einstein comme “Little Al from Princeton” pour éviter que les joueurs de Vegas ne sachent à qui ils avaient affaire.
Nick le Grec est décédé en 1966. En 1979, Johnny Moss et lui étaient les premiers joueurs à intégrer le Hall of Fame.