Retour sur une main spectaculaire (et cruelle) entre deux grands joueurs qui a eu lieu cet été dans le tournoi le plus cher des World Series of Poker, et sans doute le plus difficile : le Players Championship à 50 000$.
Pour de nombreux joueurs, le tournoi du Players Championship à 50 000 $ des WSOP est le vrai Championnat du monde de poker.
Sans parler de son droit d'entrée le plus cher des Series, il s'agit en effet d'un tournoi de jeux mixés, de 8-Game (8 variantes) qui mettent les compétences des joueurs à très grande contribution.
Et seuls les tous meilleurs joueurs ont réellement une chance de le remporter.
Brian Rast l'a remporté deux fois : en 2011 et cette année après un gros retournement de situation (il était dominé à 4 contre 1 au démarrage du heads-up) et au terme d'une dernière main absolument incroyable et dramatique face à son dernier adversaire Justin Bonomo.
Du Flop à la River
Nous sommes donc en heads-up du Poker Players Championship 2016, avec les Américains Brian Rast (2 bracelets) et Justin Bonomo (1 bracelet) à la lutte.
Les deux joueurs ont détenu le chip lead à plusieurs reprises. Au moment de cette main, Rast est légèrement en tête avec 12 millions de jetons tandis que Bonomo possède 10,6 millions.
Les deux joueurs sont déjà assurés de repartir avec un minimum de 800 000 $, mais bien sûr en plus du premier prix de 1,3 million, tous deux jouent pour le prestige du titre.
Nous sommes ici en No-Limit Hold'em, un jeu que nous connaissons donc bien. Les blindes sont à 60 000 / 120 000 avec un ante de 40 000.
Rast possède donc 100 grosses blindes et Bonomo 88 - des tapis profonds.
Au bouton et de petite blinde, Bonomo découvre , et relance à 400 000.
Rast paie et il y a donc 880 000 dans le pot.
Le flop :
Rast checke, et Bonomo mise 350 000. C'est suivi par Rast.
Il y a à présent 1,58 million au pot, avec des tapis effectifs de 9,9 millions.
La turn est l'
Rast checke encore. Bonomo réfléchit rapidement et mise 2,2 millions.
Rast prend 90 secondes avant de décider d'annoncer son call.
Le pot monte désormais à 5,98 millions, et les tapis effectifs se trouvent désormais à quelques 7,7 millions.
La river est le
Rast checke encore une fois. Il ne faut ensuite guère longtemps à Bonomo pour annoncer all-in. Et bien sûr encore moins de temps à Rast de payer le tapis avec
Full house contre quinte : boum.
Bonomo est incrédule et n'a plus que ses yeux pour pleurer. Rast réalise le doublé dans cette épreuve en remportant le tournoi, et rejoint Michael Mizrachi seul autre double vainqueur au palmarès.
Analyse
Quel mauvaise fortune pour Justin Bonomo ! Il semi-bluffe deux fois, touche un monstre à la river, mais ne sait pas qu'il fait déjà face à un monstre encore plus gros.
Le piège se met en place.
Pré-flop Bonomo relance avec Q♣ J♠. Il est en position et a souvent la meilleure main ici, alors pourquoi ne ferait-il pas monter les enchères ?
Brian Rast prend une décision intéressante : un simple call avec A♦ T♣ , au lieu d'une sur-relance.
3 facteurs en font un move profitable :
- Il déguise sa main.
- Il garde toutes les mains plus faibles (en face) dans le coup.
- Il varie son jeu, renforçant ainsi son éventail de call. Si le coup va à l'abattage, Bonomo verra en effet que Rast peut juste suivre même avec des mains fortes.
En heads-up As-Dix est une main si forte que vous allez quasi toujours vouloir l'emmener jusqu'à l'abattage, même si vous ne touchez rien.
Bonomo tire encore une cartouche
Rast touche deux paires au flop et veut maintenant maximiser son profit.
Mais en premier de parole au flop, il checkerait avec n'importe quelle main, aussi il n'y a aucune raison pour lui d'agir différemment ici.
Lorsque Rast checke, Bonomo doit quasiment faire une mise de continuation. Le flop touche son éventail mieux que celui de son adversaire, et il a en plus un tirage par le ventre.
L'équité du pot et l'espérance de faire coucher son adversaire justifient définitivement une mise dans cette situation.
Un véritable tournant.
Mais Rast paye, et Bonomo doit maintenant se poser la question de savoir avec quoi Rast le fait.
Il y a beaucoup de mains raisonnables avec lesquelles il le ferait. Par exemple un 5, un 10, et bien sûr un As.
Il y a aussi des tirages, mais pas tant vu que le flop est arc-en-ciel (trois couleurs différentes).
Agression à la turn
Avec un autre as apparaissant à la turn, Rast checke à nouveau. Il a déjà son full et se demande avec quelle main son adversaire pourrait payer une mise ici.
Peu de mains se défendraient ici en effet : un as faible ou un dix. Mais ces mains miseraient de toute façon généralement.
Il y a aussi des mains possibles pour un bluff chez Bonomo, comme deux piques, K-Q ou Q-J. Aussi un check semble être le meilleur move.
Bonomo passe en revue ses options et décide de ne pas ralentir. Le tirage quinte par le ventre est toujours là, qui serait le jeu max s'il rentre pense t-il, et il peut toujours faire coucher un 10 ou un 5.
Justin Bonomo a de quoi faire la grimace.
En outre Bonomo fait une grosse mise pour préparer l'explosion des all-in à la river. Car il y a beaucoup de cartes qui tomberaient à la river qu'il pense utiliser pour envoyer son tapis.
Roi fatal à la river
Cette bataille fascinante pour l'un des titres les plus prestigieux des World Series of Poker a atteint son point de non-retour et son stade ultime lorsque la river aura créé un set-up (une rencontre de gros jeux) de laquelle Bonomo ne pouvait pas s'échapper.
Depuis le début de cette main Rast aura très bien réussi à sous-représenter sa main et cacher son jeu, si bien que Bonomo n'aura absolument rien vu venir.
Sous-jouer au poker n'est pas toujours la bonne option, mais elle aura diablement payé ici.