Il y a de ces légendes du poker dont on parle un peu moins de nos jours. Pourtant, un homme comme TJ Cloutier fait toujours partie des joueurs hautement compétitifs. En plus d'avoir toujours de bonnes histoires à raconter.
À 76 ans, T.J. Cloutier a terminé 14è sur 6927 au Monster Stack à 1 500 $ la semaine dernière.
Et lorsque l'on parle de Cloutier, un gros tapis ne passe pas inaperçu.
Quand il est revenu de sa pause dîner un peu plus tôt que prévu lors du premier jour, c’est un flot d’admirateurs qui est venu saluer la performance du sextuple vainqueur de bracelet alors qu'il se classait dans le Top 5 des plus gros tapis.
Son scooter électrique ressemblait plus à un trône mobile, depuis lequel Cloutier racontait des histoires, serrait des mains et prenait des photos avec ses fans.
« J’ai entendu que tu avais un sacré stack dans ce tournoi », lui dit Barry Greenstein de la team PokerStars.
« Je veux être comme toi quand je serai grand », lança un autre.
Il n’est certainement pas le seul. Cloutier a remporté des dizaines de grands titres et compte 10 millions de dollars de gains en tournois. Son CV et son âge lui donnent même un petit côté papal.
Pendant son interview, les fans sont restés autour de lui, écoutant et pouffant aux bonnes histoires de cette légende du poker.
Le pire bad beat
« Je leur ai mis le pire beat jamais vu, et ce n’était que pour 465 $ dans un cash game », raconte Cloutier.
Cette main, c’était contre Al Krux au casino Bicycle. Krux n’était pas dans un bon jour, il était à tapis pour ses derniers 465 $.
Un joueur à sa gauche envisagea de suivre, mais finit par jeter sa main.
« Ensuite, c’était à mon tour, au bouton. J’avais deux 10, je savais que je devais suivre. »
Mais le croupier n’avait pas vu le geste de Cloutier et avait lâché le deck. Après avoir compris son erreur, il remélangea les cartes et sortit le flop : 6-10-4.
Au turn, Cloutier toucha un quatrième 10. Krux avait une paire de rois pour un full.
« Mais ce n’est pas ça la meilleure partie de l’histoire ! Le joueur qui a failli suivre avait deux 10. Il les a jetés, et c’est l’erreur du croupier qui les a remis en jeu. Ces cartes n’auraient même pas dû être en jeu, et elles sont revenues juste pour le faire sortir.
Honnêtement, c’est le pire bad beat que j’ai jamais vu. »
Toujours en quête du Graal
Cloutier en a pourtant aussi vécu quelques-uns. Et le plus gros dure depuis des années.
« Il y a une chose que je n’ai jamais gagnée, c’est le Main Event. J’ai gagné 60 grands tournois, un record. Mais celui-ci, jamais.
J’ai terminé 2è deux fois, 3è et 5è. J’aimerais le remporter avant de mourir. »
La première fois que Cloutier est parvenu en heads-up au Main Event, c’était en 1985.
« Bill Smith, qui m’a battu en 1985, était un alcoolique fini », raconte Cloutier.
« Mais même à moitié bourré, il était le meilleur du monde. Au-delà de ce point, il ne valait plus rien.
Mais c’était quand même un grand joueur. Comme la plupart des joueurs à cette époque. »
Des tables finales vintages
Cloutier se souvient avoir participé à des tables finales remplies de star à l’époque. Il a notamment participé à une table finale au Four Queens avec Erik Seidel, Chip Reese et Doyle Brunson.
À sa table finale du H.O.R.S.E. à 50 000 $, il y avait Andy Bloch, Jim Bechtel, Patrik Antonius, Doyle Brunson, Dewey Tomko et Phil Ivey.
« Sacrée table hein. »
De tous les joueurs qu’il a croisés, Cloutier n’hésite pas une seconde pour choisir son adversaire le plus redoutable.
« Chip Reese, sans aucun doute », affirme-t-il.
« Si on prend en compte toutes les variantes. Il était génial en Limit, mais bon en NLHE aussi. C’était un grand joueur.
Johnny Moss aussi. Doyle Brunson aussi.
Les jeunes, je ne sais pas. Je ne connais même pas leurs noms. Mais si je dois jouer contre eux, je le fais ! »
Une chose est sûre, il devra continuer de faire face à certains d’entre eux dans les jours qui viennent.
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Bio express TJ Cloutier
Football américain, armée, champs de pétrole… De simples passades dans la vie de T.J. Cloutier avant qu'il ne se lance pour de bon dans le poker. Avec le succès que l'on connaît, pour celui qui fait aujourd'hui parties des plus légendes du jeu.
T.J. Cloutier commence par fréquenter l'Université de Californie à Berkeley en suivant une scolarité sportive type, baseball et football américain. Il est plus tard drafté dans l'armée, armée où il commence à améliorer son jeu de poker.
Au sortir de celle-ci, il défend les couleurs des Alouettes de Montréal dans la Ligue Canadienne de Football, avant d'être transféré aux Argonautes de Toronto. Le football canadien est au moins aussi rude que le jeu américain et T.J. y connaît quelques expériences qui même si pas tout à fait aussi sauvages que les légendaires fusillades autour des tables de poker au Texas, ne sont pas piquées des vers. Un jour, alors qu'il joue pour les Alouettes, il reçoit un coup de coude au visage et se fait casser trois dents. Il se souvient : « Deux de mes dents m'ouvrirent la lèvre. On me l'a recousue sur la touche, avant que je ne doive retourner sur le terrain et disputer la fin de la partie. »
Finalement, T.J. doit abandonner le football, mis sur la touche par des problèmes au genou. Après avoir travaillé un court moment dans les champs de pétrole près de Longview au Texas, il part à Shreveport, Los Angeles. C'est à cette même époque qu'il avait commencé à jouer sérieusement au poker, se rendant à Dallas trois fois par semaine pour y disputer des parties de Pot-Limit.
Cette route finit par le mener jusqu'au jeu en tournoi à Las Vegas, où il aura pu prouver tout son sens du jeu. Il aura à ce titre un temps été le troisième plus gros gagnant de l'histoire des World Series of Poker en terme d'argent (il est aujourd'hui classé en 21ème place, avec 4 336 189 $).
Le palmarès de T.J. est des plus conséquents depuis 1985, avec une régularité impressionnante : plus de 50 places payées dans les WSOP (dont une presque majorité de tables finales), et surtout 6 bracelets récoltés : Limit Omaha à 1 000 $ en 1987, Omaha 8 or better à 1 500 $ et Pot-Limit Omaha à 2 500 $ en 1994, Pot-Limit Omaha à 2 500 $ à nouveau en 1998, Seven-card Razz à 1 500 $ en 2004, et No-Limit Hold'em à 5 000 $ en 2005. A noter également une 2ème place dans le Main Event 2000 derrière Chris Ferguson, pour son plus gros gain à ce jour, soit 896 500 $.
Une dizaine de places payées en WPT viennent s'ajouter à son palmarès, dont une 3ème place aux Legends of Poker 2003.
Ses gains en tournois s'élèvent fin 2010 à près de 10 millions de dollars.
T.J. a écrit quatre livres sur le poker avec Tom McEvoy, et rédige fréquemment des articles poker pour CardPlayer.com.
Les bonnes histoires de T.J.
T.J. est aussi célèbre pour avoir un jour gagné une "main mystère". Il raconte :
« Je jouais en Pot-Limit Hold'em du côté de Shrevport. Nous jouions depuis environ quelques heures et il y avait beaucoup d'argent sur la table. Arriva une main où j'avais le jeu max absolu à la quatrième carte.
J'avais 5 000 $ en face de moi, je fais une mise de 2 000 $. En face de mois se trouvait Wayne Edmunds, qui avait pour habitude de baisser la tête après avoir suivi mise, du coup il ne voyait jamais ce qu'il pouvait se passer ailleurs.
Alors que je faisais ma mise, le croupier agrippa mes cartes et les lança à la défausse. Bien sûr, Wayne n'avait pas vu ce qu'il s'était passé. « Qu'est-ce que je fais maintenant ? » me suis-je alors demandé.
J'ai de grosses mains alors je les ai juste gardées en face de mois comme si je protégeais mes cartes. Le donneur brûla une carte avant de retourner la river. J'ai misé mes derniers 3 000 $, et Wayne jeta sa main. J'ai remporté le pot sans cartes !
Tout le monde à la table avait vu ce qu'il s'était passé sauf Wayne, mais personne n'a rien dit. C'est donc ce que j'appelle mon coup spécial "main mystère". »
Mister Cloutier est cependant bien plus célèbre pour sa mémoire d'éléphant. Il parle de ce phénomène :
« C'est un peu comme des pages d'un livre s'ouvrant dans ma tête.
J'ai toujours été très observateur durant toute ma vie, et j'ai toujours eu une sorte de mémoire photographique sur la manière dont les joueurs jouent leurs mains dans certaines situations. Si vous et moi avions joué ensemble au poker cinq ans auparavant, je ne me souviendrais pas nécessairement de votre nom aujourd'hui, mais je me souviendrais de votre visage et de comment vous avez joué vos mains dans différentes situations, vos tendances.
Je pense que connaître vos adversaires est la chose le plus importante au poker à gros enjeux. Pour ce faire, vous devez être alerte à tout moment, même lorsque vous n'êtes pas dans le coup, parce que vous pouvez toujours apprendre quelque chose de valable. Si un moucheron a perdu une aile à l'autre bout de la table, je l'aurais vu. »
Et T.J. peut ainsi également narrer bon nombre d'anecdotes de poker pittoresques, dont celle-ci qui rend l'histoire de sa perte de trois dents au football presque aussi excitante qu'une réunion de tricot à Plouczeuil-les-Mimosas.
« Je vais vous parler du joueur le plus malchanceux du monde.
Il y avait cette grosse partie de cartes privée il y a quelques années, dans une maison située à Odessa ou Midland... je ne me souviens plus exactement.
Personne à l'exception de quelques hommes notables du coin ne pouvait prendre part à cette partie, et tous ces gars étaient bien "équipés" comme on dit au Texas... ils étaient armés.
Il semble qu'un gars en accusa alors un autre d'avoir triché (ce qu'ils faisaient tous), et les pistolets ont commencé à pétarader.
Deux hommes ont été tués, ici dans cette partie, et un autre fut touché en fuyant vers la porte.
Toutes les maisons étant collées les unes aux autres, les gens de l'autre côté entendirent la fusillade et appelèrent la police.
Et puis l'homme qui avait été touché sur le pas de la porte a commencé à frapper à la porte des voisins pour demander de l'aide, se tenant là en perdant tout son sang. Le voisin ouvrit alors la porte et le tua d'un coup de fusil de chasse, pensant qu'il essayait de la forcer.
Alors la prochaine fois que vous êtes dans un mauvais jour au poker, souvenez-vous juste de ce type ! »
T.J. possède à l'égard du poker une attitude à laquelle d'autres qui voudraient connaître le même succès feraient bien de faire attention. Ce qui lui fait conseiller la chose suivante : « Si vous n'apprenez pas quelque chose de nouveau à chaque fois que vous jouez au poker, alors vous ne faites pas votre boulot. »
Divers et anecdotes
* Auteur de nombreux livres de poker en compagnie de Tom McEvoy, dont Championship Pot-Limit and No-Limit Hold'em
* Détenteur de 6 bracelets WSOP
* Diplômé de l'U.C. Berkeley
* A joué au Rose Bowl en 1959
* A joué au football américain en pro avec les Montreal Alouettes et les Toronto Argonauts
* Voyage de tournoi en tournoi avec sa femme Joy.