Tout le monde qui joue des tournois de poker ou des sit-and-go finira inévitablement par se retrouver dans des situations de bulle. Comment bien les gérer ?
Ces situations, c'est bien sûr ce moment fatidique du tournoi où tous les joueurs hormis un seront assurés de terminer dans l'argent et de ne pas repartir les mains vides.
Naturellement, le jeu avant et pendant la bulle est généralement tendu, et peut parfois demander de l'audace.
Certains joueurs prétendent n'avoir rien à faire d'être dans les places payées (ceux qui jouent pour la victoire), mais lorsque la bulle est là, personne ne veut être le dernier joueur à quitter la salle ou la table sans rien.
Les situations de bulle sont encore plus fréquentes lorsque vous jouez des sit-and-go (qu'on appelle aussi les tournois à une table). Ces tournois réunissent jusqu'à 10 joueurs, avec généralement 2 ou 3 joueurs payés et recevant leur part du prizepool.
Le vainqueur reçoit le plus souvent 50% de ce prizepool, le deuxième 30%, et le troisième 20%.
Ainsi, en sit-and-go, la différence entre terminer 4ème et 3ème est de 20% du prizepool total. C'est la même différence qu'entre la 2ème et la 1ère place.
Cela montre à quel point le moment de la bulle est important, et l'importance de vous y entraîner.
Prenons donc un exemple d'une situation de bulle classique dans un sit-and-go.
En pratique : Exemple de jeu à la Bulle d'un tournoi
Imaginons que vous jouez un sit-and-go à 50€+5€ avec 9 joueurs, et que vous êtes parvenu à atteindre cette bulle.
Voici l'échelle des paiements :
- 1ère place : 225€
- 2ème place : 135€
- 3ème place : 90€
- 4ème place : 0€
Vous êtes à la grosse blinde avec 3000 jetons. Les blindes sont de 150/300 avec un ante de 25. Voici les montants des tapis (avant postage des antes et blindes) :
- UTG : 2000
- Bouton : 3500
- Petite blinde : 5000
- Grosse blinde (vous) : 3000
Après avoir posé leur ante et les blindes, les deux premiers joueurs se couchent. Le gros tapis en petite blinde part alors all-in. Vous savez que ce joueur est très agressif et aime chasser de plus petits tapis autour de lui.
En fait vous estimez que dans cette situation, il partira à tapis avec le top 80% de toutes les mains. Aussi il jette seulement des mains vraiment horribles comme 8-3 ou 5-2 dépareillés.
Les Questions Faciles
Vous jetez un oeil à vos cartes et vous découvrez Que faites-vous ?
Ok, la réponse à cette question devrait être vraiment facile. Vous avez une réelle bonne main face à un relanceur très agressif en petite blinde. Bien sûr vous payez.
Rendons à présent la chose un peu plus intéressante. Admettons que vous ayez Payez-vous toujours le all-in ?
Bien qu'il s'agisse d'une paire et d'une main au-dessus de la moyenne, votre paire de 3 ne semble pas très bonne ici. Vous êtes globalement en coin-flip face à l'éventail de votre adversaire en petite blinde.
Cela ne sent pas excessivement bon. Il est pratiquement sûr que vous trouverez une meilleure situation au cours des mains futures, et que vous n'avez pas à compromettre vos jetons avec une petite paire. Aussi vous devriez vous coucher.
Les Questions Difficiles
Nous avons donc maintenant "appris" à payer un tapis avec une très bonne paire, et à se coucher avec une paire faible. Bien que cela soit déjà intéressant à savoir, ce n'est certainement pas non plus le pinacle des connaissances à avoir en tournois.
Ce qui est plus intéressant en revanche, est de savoir ce que vous allez faire avec des mains telles que h ou dans cette situation ?
Et de manière plus générale : avec quel éventail devriez-vous payer ce tapis ?
Un bon joueur de tournoi sait tout de suite quelles mains sont assez bonnes pour payer, et lesquelles ne le sont pas.
Qu'en pensez-vous ? Devriez-vous payer avec le top 10% de votre éventail ? Le top 20% ? ou même plus de mains ?
Vous pourriez nous dire que vous réfléchirez à ces questions lorsque vous serez en situation. Il est sans doute plus facile d'évaluer une situation lorsque vous connaissez votre main au lieu de vaguement chercher des pourcentages ou des éventails.
Mais à la table vous n'avez un temps limité (particulièrement en ligne), et votre instinct peut être mauvais conseiller, résultant en un désastre potentiel. Par exemple quand vous payez cet all-in avec une main qui semble belle mais inférieure.
Pour entraîner votre instinct et être capable de prendre de bonnes décisions à la table, il est vital d'essayer de vous entraîner en dehors de la table.
Résoudre le Problème
Trouvons donc une manière d'assigner un éventail de suivi approprié pour cet all-in à la bulle.
Premièrement, jetons un coup d'oeil rapide à la cote du pot. Nous aurions à investir tout notre tapis (2675 après avoir posté la grosse blinde et l'ante), en pouvant gagner 3400 jetons.
Ce qui signifie que nous n'avons besoin que de 44% d'équité pour que ce call soit correct lorsque nous regardons à cette cote du pot.
Mais la cote du pot ne raconte toujours qu'une seule chose dans un tournoi. Parce que si nous perdons, nous ne faisons pas que perdre nos jetons, nous sommes également sûrs de quitter le tournoi sans le moindre argent.
Si nous gagnons, il est des plus probable que nous gagnerons au moins quelque chose, mais ce n'est pas certain.
De ce fait, la cote du pot n'est pas ce qu'il nous faut pour savoir quoi faire dans les situations de bulle. Nous devons aller plus en profondeur.
L'ICM est magique
L'ICM est l'aconyme magique ici. C'est une abbréviation pour Independant Chip Model (à propos duquel nous avions publié un article cette année).
Comment cet ICM est-il une aide ?
Cet Independant Chip Model prend en fait en compte les situations futures et évalue la valeur des jetons d'une manière plus complexe.
Le double de jetons ne vaut pas deux fois plus dans un tournoi, et rester en vie est souvent bien plus important que de gagner plus de jetons.
L'explication présente dans l'article donné en lien ci-dessus montre comment l'ICM fonctionne, et nous allons simplement appliquer cette logique à notre exemple.
Premièrement, jetons un oeil aux tapis de tous les joueurs si nous venions à jeter notre main. Nous pouvons évaluer la valeur de chaque tapis avec une calculatrice d'ICM.
- UTG : 1975 = 80€
- Bouton : 3475 = 120€
- Petite blinde : 5375 = 149€
- Grosse blinde (vous) : 2675 = 101€
Voyons maintenant ce qui arrive si nous payons et remportons ce all-in :
- UTG : 1975 = 84€
- Bouton : 3475 = 122€
- Petite blinde : 2000 = 85€
- Grosse blinde (vous) : 6050 = 159€
Et enfin ce qui arrive si nous perdons le all-in :
- UTG : 1975 = 122€
- Bouton : 3475 = 144€
- Petite blinde : 8050 = 184€
- Grosse blinde (vous) : 0 = 0€
Analysons maintenant ces résultats en réunissant le tout. Si vous vous couchez, vos jetons restants valent 101€. Si vous payez et gagnez, vos jetons valent 159€. Et si vous payez et perdez, vous aurez n'auront plus de jetons, ce qui équivaut donc à 0€.
Conclusion ? Vous avez des cotes ICM terribles. Vous devez gagner environ 64% du temps pour rendre ce call profitable.
C'est là le nombre magique dont nous avons besoin. Pour suivre de manière profitable vous avez besoin d'une main qui ait au moins 64% d'équité contre l'éventail de la petite blinde.
Etant donné que nous savons (ou imaginons) que la petite blinde pousse son tapis de manière très libérale et qu'il le fait avec 80% de ses mains, nous avons maintenant juste besoin de trouver toutes les mains qui gagnent au moins 64% du temps contre son éventail.
Trouver votre éventail pour suivre
Il se trouve que très peu de mains de poker ont 64% d'équité contre l'éventail de la petite blinde - bien que celui-ci soit incroyablement large. Ces mains sont :
- 8-8 et toute paire supérieure
- A-J assortis ou mieux
- A-Q ou mieux
C'est tout.
Au total ce sont seulement 6% de toutes les mains de départ ! Autant dire que selon l'ICM, vous devriez être aussi serré qu'un noeud de cravate dans cette situation.
6% était-ils votre réponse lorsque nous vous avons posé la question à propos de votre éventail de suivi un peu plus tôt ? Probablement pas, et c'est pourquoi il est important d'entraîner votre instinct à cette affaire et sur comment l'ICM fonctionne.
Ce n'est effectivement pas toujours intuitif, et cela demande beaucoup de pratique. Mais aller au devant d'exemples comme celui-ci aide à développer d'excellentes sensations et le bon instinct pour des décisions correctes une fois en jeu.
ICM > Cote du pot à la Bulle
Jetons un dernier coup d'oeil à cet exemple.
A en juger par la cote du pot nous avions besoin de seulement 44% d'équité pour rendre le call profitable. Mais selon l'ICM, nous avions en fait besoin d'un énorme 20% supplémentaires, soit 64%.
Cela montre à quel point un stack en bonne santé a de la valeur, particulièrement à la bulle. Votre stack vaut tellement plus que juste les jetons que vous avez devant vous...
Il s'agit de votre outil, votre instrument pour maneouvrer, et votre assurance. Aussi longtemps que vous avez des jetons, vous êtes en vie et avez une chance d'atteindre l'argent.
L'ICM prend ça en compte. La cote du pot ne le fait pas. C'est pourquoi utiliser l'Independant Chip Model est bien plus approprié dans des situations comme celles-ci. Et il a même une signification immense et dicte comment vous devriez jouer à la bulle.
Dans notre exemple le joueur de petite blinde jouent des plus logiquement de manière téméraire et avec audace, en sachant que nous ne pourrez payer qu'avec très peu de mains.
Dans cette perspective, il serait même correct de pousser son tapis avec n'importe quelle main sans même la regarder. Ce joueur exploite simplement la situation de la bulle.
Payer plus souvent vous punit le plus
L'ICM conseille généralement de jouer un jeu serré lorsqu'il s'agit de payer des all-in à la bulle, et il n'y a rien que vous puissiez faire contre ça.
Même le fait que nous savons que notre adversaire pousse ses jetons avec quasiment toutes ses mains ne nous aide pas. Nous ne pouvons pas le punir simplement en payant plus souvent.
Si nous le faisons, c'est surtout nous-même que nous punissons plus sur le long terme. Et nous aidons aussi les autres joueurs à la table en leur donnant une bonne chance de rentrer dans l'argent sans qu'ils aient besoin de compromettre leurs propres jetons.
Le bon côté des choses cependant, c'est que l'ICM va aussi probablement forcer vos adversaires à se coucher face à un tapis de notre part lors d'une main prochaine, ce qui nous donnera beaucoup d'espérance de les faire coucher !
A lire aussi sur l'ICM : Calculs ICM et stratégie de super short stack en tournoi