Selon Kathy Liebert elle-même, elle n’a jamais eu l’intention d’ouvrir la voie aux femmes dans le poker. Mais après plus de vingt ans sur le circuit, c’est pourtant bien ce qu’elle a fait.
Avec une première place payée en 1994, Kathy Liebert a depuis remporté plus de 6 millions de dollars de gains en tournois live.
Elle a été la première femme à remporter une première place à 1 million de dollars, même si un deal avait été passé pendant ce tournoi. Lorsqu’elle a commencé, elle était l’une des seules joueuses sur le circuit.
Kathy Liebert a également terminé deux fois 17è du Main Event des WSOP, remporté un bracelet en 2004, et atteint six tables finales sur le WPT. Cette année elle est encore une fois allée loin dans le Main Event, éliminée lors du Jour 5 en 251è place, pour un peu plus de 40 000 dollars.
Après son élimination, Liebert s’est longuement entretenue avec PokerListings.com, de ces premières années sur le circuit aux joueuses qu’elle a inspirées.
Est-ce que ta longue expérience te permet plus facilement de tourner la page et de repartir après un tournoi ?
Oui, j’ai l’habitude. Avant, je jouais beaucoup plus. Pendant longtemps, j’ai participé à la majorité des WPT, mais ça m’a pas mal épuisée. J’ai enchaîné les mauvais résultats pendant un certain temps, j’avais l’impression d’avoir toute la malchance du monde.
J’ai décidé de prendre un peu de recul, de jouer localement pour moins me fatiguer.
Si je n’ai pas envie de jouer, je ne joue pas. Je ne grinde plus pour payer mes factures.
Tu es sur le circuit depuis le milieu des années 90. C’était comment d’être une femme sur le circuit à l’époque ?
Dans les années 90, il n’y avait quasiment aucune autre joueuse. On disait que j’étais la meilleure joueuse du circuit, c’était un compliment, mais il n’y en avait presque pas d’autres. Alors quand on me disait ça, je répondais : « Est-ce que tu peux nommer cinq autres joueuses ? »
Je sais que c’était un compliment, mais c’était aussi un peu ridicule tellement on était peu nombreuses.
Il y avait eu quelques joueuses avant moi, comme Marsha Waggoner ou Barbara Enright. Elles étaient de très bonnes joueuses qui avaient connu le succès, mais elles n’étaient pas vraiment sur le circuit. Elles étaient là de temps en temps, mais j’étais la seule à vraiment écumer les tournois.
Quand le World Poker Tour est né, je participais à la majorité des tournois. Et s’il y avait toujours une ou deux autres joueuses, j’étais la seule à être présente régulièrement.
Est-ce que le fait d’être une femme dans un milieu très masculin présente des difficultés ?
Je pense qu’en général, la majorité des gens pensent que les femmes jouent moins bien, mais je n’ai jamais laissé ça m’affecter. M’intégrer n’était pas ma priorité. Je voulais juste jouer.
On m’a parfois manqué de respect, mais cela ne m’atteignait pas vraiment. Je laissais couler et continuais à jouer.
Est-ce que les choses ont évolué ?
Je trouve qu’on entend moins des choses comme « Elle joue bien, pour une femme ». Il y beaucoup de très bonnes joueuses désormais. Et si tu joues bien, on le dit simplement.
À l’époque, on était tellement rares que j’avais l’impression qu’on ne voyait que nous. Aujourd’hui, c’est normalisé.
Est-ce que tu te considères comme une pionnière ?
Mon objectif n’était pas d’ouvrir la voie aux autres femmes. Je voulais juste faire ce que j’aimais, et puis ça marchait bien. Mais c’est vrai que beaucoup de femmes m’ont dit que je les avais inspirées, et j’ai aussi beaucoup été soutenue par d’autres femmes.
Dans l’ensemble, c’est assez difficile. Le poker est souvent peu gratifiant, très frustrant. Ça peut être très compliqué, donc c’est important d’être soutenue. Mais ce n’est pas pour ça que je le faisais. Ce n’était pas intentionnel.
Que cela ait été intentionnel ou pas, tu as donc véritablement ouvert la voie aux femmes dans le poker. Pourquoi y a-t-il plus de joueuses qu’avant à ton avis ?
Quand on a commencé à pouvoir jouer sur Internet, énormément de femmes ont pu progresser.
C’est difficile et coûteux d’apprendre à jouer en live, donc Internet a vraiment tout changé. Énormément d’informations sont devenues disponibles en ligne. D’ailleurs la plupart des meilleures joueuses d’aujourd’hui ont appris sur Internet.
Quand j’ai commencé, tout cela n’existait pas. Maintenant les choses sont un peu plus simples pour tout le monde.
Tous les joueurs se sont approprié les informations disponibles et ont appris de nouvelles manières de jouer sans avoir à pratiquer pendant 10 ans.
Parlons un peu de la PartyPoker Cruise, que tu as remportée pour 1 million de dollars. Est-ce que tu as vraiment empoché le million de dollars ?
On avait un accord. Quand il restait neuf joueurs, nous avons décidé de mieux répartir les prix, parce que le premier allait gagner un million et le neuvième 8 000 $. Étonnamment, le neuvième n’était pas d’accord sur cet arrangement.
On a donc fait ça une fois qu’il est sorti.
Une fois qu’on était plus que quatre on a reparlé d’un deal, et il y avait un jeune qui avait beaucoup de jetons et qui battait Phil Hellmuth à chaque main.
Il n’avait jamais rien gagné, donc il voulait passer un accord. Hellmuth et moi avons refusé, mais il a sacrifié 50 000 $ de son propre stack pour cet accord.
Je ne me souviens plus exactement de ce que j’ai gagné, mais ça devait être 400 ou 500 000. Ça restait une grande victoire pour moi.
Est-ce qu’elle a influencé le reste de ta carrière ?
Avant ce tournoi j’avais déjà pas mal de succès, mais rien d’exceptionnel. J’envisageais même de moins jouer. Mais grâce à cette victoire, j’ai décidé de jouer plus et à des buy-ins plus élevés.
J’étais plutôt prudente avec ma bankroll. Il y a des joueurs qui dès qu’ils gagnent 100 000 $ participent à tous les tournois à 10 000 $ qui passent, mais moi quand je gagnais 100 000 $, j’en rejouais 20 000 et je mettais le reste à la banque ou dans la bourse.
Cette victoire m’a permis de viser beaucoup plus haut.
Est-ce que tu t’es déjà retrouvée avec une bankroll à zéro ?
J’ai eu de très bonnes périodes et de très mauvaises. Mais je ne me suis jamais retrouvée sur la paille parce que je n’ai jamais tout risqué.
Dès que je gagnais, j’en investissais une partie. Je connais quelqu’un qui a gagné un million aux WSOP et qui maintenant voyage partout pour des tournois à 25 000 $ et 50 000 $. Or même en étant un bon joueur, l’argent peu s’envoler très vite.
Personnellement, j’ai vendu beaucoup d’actions, même pour des buy-ins que je pouvais me permettre de payer, parce que je ne voulais pas tout perdre.
Maintenant, je n’ai plus besoin du poker pour payer mes factures. Cette indépendance financière, c’est ce que j’ai toujours voulu avoir. Je ne me suis jamais sentie obligée de prouver que je méritais d’être là ou de devenir une star. Je sais que je suis une bonne joueuse et je n’ai pas besoin de participer aux tournois les plus chers pour le prouver.
Je suis juste heureuse d’avoir assuré ma sécurité financière et de pouvoir jouer quand et où je le veux.