Le poker n’est certainement pas la première chose à laquelle on pense lorsqu’on parle de la Chine. Pourtant, cela pourrait bientôt changer.
“En fait, le poker est un véritable phénomène en Chine” explique Xuan Liu qui a d’ailleurs participé au WPT China en novembre dernier.
Le tournoi était organisé sur l’île de Hainan, que l’on décrit souvent comme le Hawaii chinois. Cette petite île tropicale s’étend sur près de 2 000 km² et compte 685 408 habitants. C’est aussi là que sont organisés les plus grands tournois de poker du pays.
Et si la popularité du poker en Chine ne cesse de grandir, sa légalité reste cependant incertaine.
“C’est très compliqué à cause du gouvernement. Si le fils d’un politicien décide qu’il aime le poker, ils vont le légaliser et s’arranger pour qu’il fasse du profit. Mais il faut être prudent dès qu’il s’agit de poker, un peu comme aux Etats-Unis.”
Liu, qui est née en Chine mais a grandi au Canada et habite aujourd’hui à Toronto, garde des liens très forts avec son pays d’origine et parle parfaitement le mandarin.
C’est pour cela que Ourgame, un fournisseur de services de divertissement chinois, a choisi d’inviter Liu à participer au WPT Sanya.
Elle qui avait participé à des cash games à Macao il y a quelques années, a été très surprise de l’évolution du poker dans la région.
“Aux WSOP, les sponsors sont Natural Light, NetTeller ou GPI. En Chine, ils avaient de très gros sponsors comme iRobot et Red Bull. Cela a fait forte impression, beaucoup de gens sont venus.”
La culture chinoise du jeu encourage les joueuses
Et ce n’est pas tout : Liu a également été surprise du niveau du tournoi, compte tenu du développement encore récent du poker.
“Ils sont bien meilleurs qu’à l’époque où je jouais à Macao, en 2009. Maintenant, tout le monde essaye de bien jouer, les joueurs participent à des forums, tout ça. On peut dire que la Chine aime le poker, et 1 milliard de gens, c’est énorme.”
Il y a autre chose qui a sauté aux yeux de Xuan à Sanya : le nombre de joueuses présentes. Liu, qui a atteint la table finale du PCA 2012, de l’EPT7 à San Remo et de l’APPT7 à Seoul, a l’habitude d’être l’une des seules femmes du tournoi, et souvent la dernière en course.
Ce n’était cependant pas le cas en Chine.
“Sans parler des jeux d’argent, les jeux de stratégie sont mieux acceptés en Chine et les filles commes les garçons sont encouragés à y jouer lorsqu’ils sont enfants.
Quand j’étais petite, on m’a appris à jouer aux cartes, aux échecs et au jeu de go. Les parents insistent là-dessus parce qu’ils se rendent compte que c’est très précieux pour le développement des enfants.
Il y avait énormément de femmes au tournoi. Le chip leader était une jeune fille toute mignonne qui vient de terminer sa Licence.
Aux WSOP, il doit y avoir à peu près 5% de femmes. Là, c’était plutôt entre 10 et 20%.”
Un modèle pour la nouvelle génération de joueuses chinoises
Et avec autant de nouvelles joueuses de poker en Chine, Liu a conscience que son succès fait d’elle un modèle pour beaucoup d’entre elles.
“J’aime être proche de mes fans pour qu’ils me voient comme un modèle. Même si j’ai encore du mal à me faire à l’idée que je gagne ma vie en jouant à un jeu et que j’ai des fans. Mais c’est le cas, alors autant l’accepter. Pour moi, communiquer avec les fans n’est pas du travail.”
Et la motivation de Liu augmente en même temps que ses fans et sa notoriété.
“Je suis extrêmement motivée cette année, je joue bien et je veux faire de mon mieux pour bien représenter mes sponsors.”
Mais ce n’est pas la seule chose qui a permis à Liu d’améliorer sa motivation et son endurance (elle a participé à près de 37 events des WSOP cet été !), elle a également le même secret que beaucoup de joueurs : le sport.
“Je n’ai jamais été aussi en forme. Je fais du sport presque tous les jours, jamais moins de quatre fois par semaine. Je suis très heureuse. Je me lève en pleine forme tous les matins, prête à jouer au poker.”
Et l’optimisme de Liu ne se limite pas à cet été, elle vise le bonheur à long terme.
“Je n’ai pas besoin de gagner des millions, je veux juste être contente de ce que je fais. Être heureuse, pas triste. Je ne veux pas que l’argent me change et devenir une personne horrible. Je veux aussi être bien entourée.”
Un mini-documentaire sur Xuan Liu tourné à Toronto
Xuan Liu : Loisirs et équilibre pour gérer les mauvaises passes
Le poker ne se résume pas à ce que vous faites autour de la table. C’est aussi un état d’esprit général, une question d’équilibre entre le poker, les loisirs et le repos.
seconde interview publiée le 16/02/15
C’est précisément ce que la Canadienne Xuan Liu essaye de faire lorsqu'elle joue. Alors qu'elle vient d'annoncer la fin de son contrat avec 888poker, elle avait récemment partagé avec nous sa recherche de cet équilibre, ce qu’elle fait en dehors du poker, son ancienne obsession pour World of Warcraft, mais aussi sa poursuite d’un nouveau grand titre.
Qu’est-ce que tu aimes faire quand tu n’es pas autour d’une table de poker pour t’assurer que le poker ne t’use pas trop ?
J’essaye de rester active et en bonne santé. J’aime aussi lire. C’est chiant, mais j’aime bien quand je voyage.
J’aime aussi beaucoup les jeux vidéos, à une époque j’étais obsédée par World of Warcraft.
Ce genre de jeu peut prendre encore plus de temps que le poker, non ?
Quand j’étais à l’université, ma vie c’était : 2 heures de sit-and-go, 6 heures de WoW et à nouveau 6 heures de WoW.
Les heures passées à jouer à WoW rappellent vraiment le poker, si ce n’est que c’est une question de plaisir et pas d’argent. La seule récompense est d’arriver à franchir les niveaux et de trouver de nouveaux équipements.
Donc oui, c’est un peu comme grinder, sauf que c’est encore pire puisqu’on ne gagne pas d’argent.
Trouves-tu que les jeux ou la lecture sont importants pour te permettre de te déconnecter du poker ?
Oui, j’ai vraiment besoin de déconnecter. Quand j’ai découvert le poker, je suis devenue complètement obsédée. Mais aujourd’hui, j’ai besoin de trouver un certain équilibre et de jouer seulement lorsqu’il le faut.
Est-ce que c’est d’autant plus important lorsque tu joues loin de chez toi, comme en Australie ?
J’envisageais d’en profiter pour jouer un peu sur Internet, mais le programme des WSOP APAC est très chargé.
Par contre j’en ai profité pour dîner quelques fois avec des amis à Melbourne. Je ne savais pas que c’était une ville de gastronomes !
J’ai aussi joué au ping-pong, au babyfoot, aux fléchettes et tout ça. C’est sympa de faire connaissance avec les joueurs australiens.
Tu as signé en 2014 un contrat d'un an avec 888Poker. Est-ce que cela a changé ton approche du poker ?
J’ai toujours été un peu entre deux : jouer sérieusement et être amatrice. Quand j’ai commencé à participer à des MTT high stakes, j’ai enchaîné directement quelques bons résultats, donc ensuite j’en ai profité pour prendre un peu de temps pour moi.
J’étais à l’université, puis je me suis mise au poker, j’avais besoin de faire une pause. Là je suis en train de revenir à un assez bon niveau en termes de bankroll, j’essaye de faire les choses correctement.
Je n’ai pas eu de gros résultat depuis un certain temps, c’est toujours difficile de se dire qu’on ne sait pas quand on gagnera de l’argent.
Alors forcément, être pro chez 888 aidait à ce niveau-là. Je savais où j'allais être toute l’année.
Est-ce que tu te vois continuer à jouer toute ta vie ?
Si je suis réaliste, je dirais que le poker ne sera probablement bientôt plus aussi rentable qu’il l’est actuellement. L’idée est donc de me lancer à fond et d’en profiter au maximum.
As-tu une idée de ce que tu pourrais faire après le poker ?
J’ai étudié le Développement Social à l’université, mon côté philanthrope me pousse à vouloir aider à changer le monde.
Tu ne penses pas déjà être en train de le faire ?
On ne peut pas dire que le poker permette de changer le monde en soi. Ceci dit, ça procure quand même une certaine joie à certaines personnes, c’est déjà ça.
Je pense quand même que le poker a des côtés sombres dont on ne parle presque pas.
Quid de ta nouvelle addiction... au jeu des Loups-Garous de Thiercelieux (www.loups-garous.com) ?
J’ai découvert ça pendant les World Series of Poker à Las Vegas. Melanie [Weisner] m’a invitée, j’ai amené quelques amis et je suis devenue accro.
C’est vraiment très amusant. C’est un jeu à la fois très social, stratégique et en temps réel. C’est parfait pour les joueurs de poker parce que tout se joue sur le bluff.
Pour jouer aux Loups-Garous, il faut quelques cartes et beaucoup de mensonges. On attribue à chaque joueur une carte qui détermine son identité : deux loups garous, une voyante, un chasseur, une sorcière et des villageois.
Le jeu se déroule sur deux phases distinctes : le jour et la nuit. La nuit, les villageois ferment les yeux et les loups-garous s’éveillent. Ils choisissent quels joueurs tuer puis referment les yeux.
La sorcière peut alors choisir de ramener un joueur à la vie et la voyante, qui a le pouvoir de révéler l’identité d’un des joueurs, peut également le faire.
Le jour, le maître du jeu annonce les joueurs tués (ou sauvés). Les joueurs tentent ensuite de déterminer qui sont les loups-garous et choisissent un joueur à lyncher.
Mensonges, incohérences, tromperies et sournoiseries en tous genres sont encouragés. Pas étonnant que ce jeu soit très largement apprécié dans le monde du poker.
Lors de ma première partie, j’essayais de bluffer ma soeur, qui était juste à côté de moi. Je lui disais que je n’étais pas le loup-garou, mais elle m’a démasquée. Elle devait donc convaincre les villageois, son équipe, que j’étais le loup-garou, mais j’ai réussi à lui mettre des bâtons dans les roues. Il y a tellement de différents niveaux.
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Chine : Le plus grand tournoi de poker en ligne jamais organisé
Entre flou et succès : Alors que le poker n’est pas un jeu traditionnel en Chine, qu’il s’agisse des variantes occidentales ou asiatiques, sa popularité explose depuis le début des années 2000.
par Christine C. - article initialement publié en octobre 2016
On assiste de temps en temps à la tenue d’événements live. Ainsi pour les deux étapes du Asia Pacific Poker Tour qui se sont déroulées à Pékin en 2014, les autorités chinoises avaient fermé les yeux, malgré son côté « hors la loi ».
En 2007, la Fédération Nationale des Sports, le CLSAC (China Leisure Sports Administrative Center) a accordé une licence de 5 ans au WPT pour diffuser des tournois de Tractor Poker (Tuo La Ji) à la télévision nationale, après en avoir créé les règles en 2002. Tout cela contribue largement au boom chinois du poker, même si celui qui est pratiqué, le Tractor Poker, est différent des pokers occidentaux.
Autre signe de dégel, les amateurs asiatiques de poker sont de plus en plus nombreux à commenter ouvertement sur Internet l’ambiguïté des lois sur les jeux d’argent en ligne en Chine. En effet, s’il n’existe pas à proprement parler de sites de jeux d’argent chinois parce que ceux-ci sont illégaux, les joueurs en ligne, eux, n’enfreignent pas les lois en utilisant des sites internationaux.
Des lois avec failles... et peu appliquées
Premièrement, comme la police chinoise n'a « aucune compétence » sur des sites internationaux (et qu’elle ne s’intéresse pas aux particuliers joueurs), les amateurs de poker n’ont plus peur de jouer en ligne.
Ensuite, à l’heure des VPN, il est facile de déjouer les obstacles et les blocages de la censure pour jouer en toute discrétion sur n’importe quel site de poker en ligne… qui accueillent volontiers les joueurs chinois et leurs devises !
Enfin, les sanctions d’emprisonnement encourues en vertu de l’Article 303 de la loi chinoise qui qualifie les jeux d’argent de crime, sont de moins en moins appliquées aux joueurs : même si 80 % des 5700 mises en détention annuelles peuvent parfois durer jusqu’à 15 mois (!), il semblerait que la tendance soit plutôt aux amendes de maximum 3000 yuans (400 €).
Un tournoi à 100 millions de joueurs !
Dernière avancée en date : en septembre dernier, le CLSAC a autorisé la tenue du premier concours national officiel de Landlord Poker (Dou Di Zhu), un poker d’équipe opposant deux « paysans » à un « propriétaire », très populaire dans le pays. Il y a quelques mois, les autorités avaient publié des règlements, un système d'évaluation par points et un système de classement pour cette variante du poker. Certains sites qui proposent ce poker comptabilisent chaque mois plus de 10 millions de joueurs !
Ce concours prend la forme d’un concours en ligne, gratuit et ouvert à tous. A l’issue des épreuves préliminaires qui se tiennent jusqu'en juin 2017, les 2000 meilleurs concurrents seront sélectionnés pour poursuivre la compétition sur table cette fois-ci. A la clef, 5 millions de yuans (environ 675 000 euros) et un classement au tableau national des joueurs de Landlord…
On comprend mieux pourquoi cette première a attiré plus de 100 millions d’amateurs !
Un champion du monde parmi les premiers ambassadeurs
Finalement, avec tous ces signes d’assouplissement, on est en droit de se demander si la Chine n’est pas elle aussi en train d’adopter la même position envers les jeux d’argent que les puissances occidentales et certains de ses territoires (Hong Kong, Macao), qui consiste à légaliser les jeux d’argent pour mieux les contrôler et les taxer, et faire rentrer de l’argent dans les caisses de l’État…
En avril dernier, le champion du monde 2014 Martin Jacobson avait même été invité en Chine pour une opération de promotion.
Et dans une interview pour CalvinAyre, le Suédois a déjà pu mesurer la folie qui pouvait s'emparer des choses du côté de l'Empire du Milieu :
« Dès l'aéroport j'ai été accueilli par des fans qui voulaient des autographes même sur eux. J'ai même appris que certains avaient fait des heures de route juste pour l'opportunité de me serrer la main. J'ai dû faire plus de 100 photos en quelques jours. Je n'ai jamais rien vécu de tel. »