Un peu plus tôt cette semaine, 134 des tout meilleurs joueurs de heads-up en no-limit hold’em se sont retrouvés autour d’un écran au Rio.
Ils attendaient patiemment le tirage du championnat de heads-up en No-Limit Hold’Em à 10 000 $ des World Series of Poker.
Pendant que la majorité des joueurs étaient exemptés de premier tour, 30 allaient tout de même devoir en découdre pour avoir leur place dans les 128 du tableau principal.
Parmi ceux-là, Matt Marafioti, spécialiste des cash games en high stakes originaire de Toronto et qui compte plus de 2,7 millions de dollars de gains en tournois.
Marafioti, qui compte 22 places payées aux WSOP, était alors opposé à Valeriu Coca, un joueur moldave qui participait à son premier tournoi des WSOP.
D’ici la fin du tournoi, Coca était au centre de toutes les conversations.
Quelque chose qui cloche
Le premier jour du tournoi, Coca a littéralement écrasé tous ses adversaires. Tous étaient des joueurs expérimentés et tous ont eu la (sans doute désagréable) sensation qu’on lisait dans leurs pensées.
Les adversaires de Coca ont discuté et des rumeurs disant que Coca était banni de casinos européens ont commencé à courir.
Les WSOP ont aussitôt lancé une enquête et les adversaires suivants de Coca ont commencé à couvrir méticuleusement leurs cartes.
L’enquête préliminaire n’ayant rien révélé de suspect (pas de cartes marquées ni d’encre), le Moldave a pu continuer et terminer finalement 5è.
Coca, qui participe désormais à des cash games aux WSOP, estime pour sa part que les autres joueurs sont simplement nuls.
Mais les six adversaires concernés, qui comptent 17,6 millions de dollars de gains en tournois et 12 tables finales des WSOP à eux six, sont convaincus qu’il y a quelque chose qui cloche.
Premier tour : Coca vs Marafioti
Matt Marafioti a été le premier à se faire terrasser par Coca.
« Je suis tombé KO contre un joueur que je n’avais jamais vu de ma vie.
C’est déjà assez bizarre en soi, mais cela arrive parfois avec les spécialistes des high stakes qui ne participent qu’à très peu de tournois et se concentrent sur les heads-up.
Je me suis senti complètement impuissant, mais je n’avais pas spécialement l’impression qu’il y ait de triche au début. »
Et pourtant, le style de jeu de Coca a beaucoup déstabilisé Marafioti :
« Ce que j’ai trouvé étrange, c’est que le match juste à côté de nous a duré à peine 10 minutes ou un quart d’heure.
Tant que ce match était en cours, à chaque fois qu’il recevait ses cartes et que j’étais le premier à parler, il regardait toujours l’autre match en mélangeant ses cartes. Je me demandais pourquoi il suivait ce match aussi intensément. »
Il y a eu un tirage intégral après ce premier tour, ce qui signifie qu’il était impossible que leur vainqueur tombe sur celui de cet autre match.
Mais bien que cela soit effectivement étrange, ce n’était pourtant pas le pire :
« Ce qui m’a surtout fait douter, c’est qu’en plein milieu du match, il continuait à toujours tripoter ses cartes même lorsqu’il était le premier à parler », ajoute Marafioti.
« C’était comme s’il attendait que je regarde mes cartes, je me demandais s’il essayait peut-être de gagner du temps ? Il avait plus de jetons que moi, donc je ne comprenais pas vraiment son attitude. »
Alors Marafioti a décidé de copier Coca.
« J’ai commencé à mélanger mes cartes, comme lui. C’était juste de la psychologie inversée, je pensais que c’était juste une question d’attitude.
Alors j’ai commencé à faire pareil, et il a tout de suite demandé une pause. »
Suspicieux, Marafioti a refusé. Mais le match n’a pas duré beaucoup plus longtemps.
« Il ne m’a jamais suivi au tapis de toute la partie, et là tout d’un coup il y va avec dame-9 contre mon valet-7.
Et il a pris la décision tellement vite... À croire qu’il était sûr de ce qu’il faisait.
J’étais complètement déstabilisé. Je n’ai clairement pas joué la main de la meilleure manière possible, mais le match entier et son déroulement m’ont complètement perturbé. »
Et ça peut arriver en heads-up, mais battre ensuite Pratyush Buddiga, Connor Drinan et tous les autres, il faut vraiment savoir ce qu’on fait. »
Deuxième tour : Coca vs Buddiga
À 16 h, Coca était assis en face de son deuxième adversaire, Pratyush Buddiga.
« C’est marrant, on a tous la même histoire à raconter », a confié Buddiga, non sans ironie. « Au début, il jouait très lentement, toujours à tripoter ses cartes et à regarder à droite et à gauche.
Je pensais qu’il essayait juste de gagner du temps.
Quand tu n’es pas très bon en heads-up, gagner du temps peut être une solution pour faire grimper les blindes et donc la variance.
Une fois que les blindes ont augmenté, il s’est mis à jouer beaucoup plus rapidement et à être très agressif.
Il était super agressif quand il y avait un as, avec des check-raises quand je n’en avais pas et des folds quand j'en avais un. »
Buddiga nous a confié avoir l’impression de n’arriver à remporter que les pots avec des cartes faibles.
« Je me souviens d’une main en particulier : je check-raise au flop et retourne deux paires alors que la carte la plus haute était un as. Il check-raise au turn, et je le suis.
Il a eu l’air surpris que je suive, son expression était très étrange.
La river n’a rien changé, j’y vais à fond après qu’il a checké et il m’a juste fixé, l’air confus. Je n’avais pas d’as et c’est sûrement ce qui le perturbait, alors il s’est couché. »
Mais en dehors de ces rares occurrences, Buddiga était sans cesse sous pression.
« Il gagnait tous les pots, j’ai fini par aller au tapis avec 10 BB avec dame-2 assortis, il a suivi avec roi-dame. Rien de très original. C’est tout le reste qui est perturbant. »
Comme Marafioti, Buddiga a d’abord cru s’être fait battre par un amateur.
« Quand j’ai perdu, j’étais sonné. Tout était un peu bizarre, mais je me suis dit qu’il avait simplement été meilleur.
Ça m’arrive tout le temps. Mes amis se foutent de moi en disant que j’ai beaucoup de mal contre les amateurs. C’est constant. »
Et voilà en tous les cas un autre joueur KO et Coca qualifié pour le tour suivant.
32è de finale : Coca vs Mermelstein
À 19h, Aaron Mermelstein était assis en face de Coca. Mermelstein a d’abord été très surpris de la passivité de son adversaire.
Mais au fur et à mesure du match, Mermelstein a vu s’approcher la défaite à grands pas.
« Au début, c’était très facile », nous a expliqué Mermelstein. « Je n’arrivais pas à croire qu’il ait battu Pratyush. Je me disais que ça avait dû se jouer sur un bad beat, parce qu’il n’était vraiment pas bon.
Avec tout le respect que je lui dois, les 10 ou 15 premières minutes, j’étais largement au-dessus.
Et puis les choses se sont peu à peu inversées, j’avais l’impression qu’il savait toujours quelles cartes j’avais. L’impression qu’il lisait dans mes pensées.
À chaque fois que j’avais une bonne main, il se couchait. Dès qu’il y avait de grosses cartes sur la table, il savait quoi faire. »
D’après Mermelstein, le comportement de Coca à table était assez étrange pour qu’il le remarque :
« Sur le moment, tu n’as pas assez de recul pour que ça te choque vraiment, mais quand tu y repenses, beaucoup de ses manières et tout ça étaient bizarres. Toujours à tripoter les cartes et avec ses lunettes. Et puis il voulait toujours voir mes jetons.
Je veux dire, on était en heads-up. J’aurais dû m’en rendre compte plus tôt, il lui suffisait de regarder son propre stack pour savoir ce que j’avais. »
Comme Buddiga avant lui, les plus gros pots remportés par Mermelstein sont ceux avec de petites cartes. Comme cette fois où Mermelstein avait 6-2 et a touché deux paires grâce à un flop dame-6-2.
Ou cette autre main où Mermelstein a réussi à remporter un pot grâce à une suite. En dehors de ces rares exceptions, Coca était intouchable.
« J’étais très triste après le match. J’ai eu l’impression de me faire avoir, je n’arrivais pas à y croire. »
16è de finale : Coca vs Drinan
22h : les 32 derniers joueurs en lice se préparent pour leur dernier match de la journée. Après avoir terrassé Mermelstein, Coca était opposé à Connor Drinan.
Avant le match, Buddiga a briefé Drinan sur son adversaire du soir.
« J’ai donné quelques trucs [à Drinan] par rapport aux mains avec un as sur la table et à son attitude agressive », a expliqué Buddiga.
Mais même avec ces précieux conseils, Drinan n’a pas fait long feu.
« Je me suis dit ‘wow, c’est exactement ce qui m’est arrivé’. Puis j’ai parlé avec Aaron, et c’était pareil pour lui. Et puis on a parlé avec Matt Marafioti, et il nous a dit la même chose. »
Autant dire que les soupçons commençaient à se faire assez pesants, ce qui a encore empiré lorsque Drinan a reçu un message d’un de ses amis tchèques.
Dans un sujet sur 2+2, Drinan a écrit :
En me réveillant ce matin, j’ai vu qu’un ami tchèque m’avait envoyé un message : « salut mec, je viens de voir que tu étais en HU contre un gars qui a gagné beaucoup d’argent en cash game à Prague. Il a été banni des casinos ici pour tricherie. Il marquait les cartes. On pourra en reparler en personne quand je serai là pour les sngs au Rio, n’hésite pas à faire passer le message pour que les gens puissent faire quelque chose.
Drinan et Buddiga ont donc prévenu le personnel des WSOP et le prochain adversaire de Coca, Byron Kaverman.
8è de finale : Coca vs Kaverman
Le lendemain, à 13 h, tous les regards étaient braqués sur le match entre Coca et Kaverman.
Coca était surveillé de très près, les employés des WSOP étaient aux aguets, les médias se pressaient autour de la table et tous les adversaires de Coca avaient les yeux rivés sur le match.
Même Matt Marafioti, en train de participer à un autre tournoi, n’arrêtait pas de venir y jeter un œil.
Malgré cela, Coca a réussi à battre Kaverman et à atteindre les quarts de finale.
Dans le même message sur le forum, Drinan a ensuite écrit :
J’ai parlé avec Byron après son match, il était 100 % sûr que le mec essayait de tricher. Il regardait les cartes de très près quand elles étaient distribuées, mais lui essayait de les couvrir à tout prix. Les decks étaient changés régulièrement, ce qui a compliqué ses affaires.
Malgré tout, Kaverman était dépassé et a fini par aller au tapis avec T♥ T♣. Coca l’a suivi avec 4♥ 4♣ et touché une suite : 2♠ 5♠ 6♥ 6♦ 3♦.
Et pendant que Kaverman terminait 9ème, Coca continuait son chemin.
Quarts de finale : Coca vs Lehr
L’adversaire suivant de Coca était Keith Lehr, qui a finalement réussi à mettre un terme au parcours de Coca et a remporté le tournoi.
« On m’a prévenu qu’il était banni de certains endroits et qu’il y avait pas mal de soupçons.
J’ai fait mon possible pour l’empêcher de tricher et j’ai changé les decks. »
Comme les autres avant lui, Lehr a remarqué que Coca regardait très attentivement les cartes lors de la distribution. Il a donc fait son possible pour protéger sa main à tout prix.
« J’ai très bien caché mes cartes », a confirmé Lehr.
« J’ai gardé mes cartes à un endroit où il ne pouvait absolument pas les voir, et j’ai fait très attention de les cacher très rapidement après que le croupier les a distribuées. S’il a essayé de tricher en début de match, il a probablement arrêté ensuite. »
Lors de la dernière main du tournoi, Coca est allé au tapis avec 6♥ 3♣, et Lehr l’a suivi avec A♥ J♣. Avec un valet au flop, Lehr a donc pu éliminer Coca en cinquième place.
Coca a récupéré son argent, nié toutes les accusations et a continué à participer à des cash games.
Alors, triche ou pas triche ?
L’enquête préliminaire menée par les WSOP n’a rien révélé. Les cartes n’étaient pas marquées et ils n’ont trouvé aucune trace d’encre invisible.
Mais il y a une chose que les WSOP n’ont pas encore examinée :
« Il portait une marque de lunettes que je n’avais encore jamais vue », a remarqué Marafioti. « Je leur ai demandé s’ils les avaient examinés, mais non. »
Cependant, Marafioti n’était pas surpris qu’on ne trouve pas de preuves contre Coca.
« Quand tu triches en cash game high stakes et que tu remportes des centaines de milliers de dollars, tu ne viens pas à Las Vegas pour te faire prendre », a-t-il ajouté. « Tu es déjà au point. »
Beaucoup soupçonnent les lunettes de Coca soit d’être des espèces de loupes lui permettant de voir des cartes marquées ou de lire une sorte d’encre invisible.
Cette passivité suivie d’une agressivité systématique est, selon certains, typique de quelqu’un qui se concentre sur les cartes marquées pendant les premiers tours.
Sans preuves, difficile cependant de formuler des accusations concrètes.
« Est-ce que j’ai l’impression qu’il a triché ? No comment. » Voilà ce qu’avait à dire Lehr. « J’ai gagné, donc s’il a triché il ne l’a pas fait assez bien puisque je l’ai battu. »
D’autres sont plus catégoriques que lui quant au fait que Coca soit malhonnête.
« Ce n’est pas rien d’accuser quelqu’un de tricher, mais même s’ils ne trouvent pas de preuve concluante, je suis 100% convaincu que c’est un tricheur. Et puis tout le monde n’arrête pas de dire qu’il est facile de marquer ces cartes », a affirmé pour sa part Buddiga.
Mermelstein est d’accord avec lui et ne voit que deux explications au parcours de Coca :
« Pour moi c’est simple : soit c’est le meilleur joueur du monde, soit il triche. »
Une chose est sûre, seul Valeriu Coca a lui la réponse.