Jouer à domicile n'est pas qu'un avantage comme dans de nombreux sports où les supporters sont là pour encourager l'équipe ou le joueur. Au poker aussi cela peut être une bonne aide.
C’est en décembre 2011 que j’ai vu le déclic se faire dans la tête de Marvin Rettenmaier.
Il était assis au Casino di Venezia. Pas le plus vieux casino du monde, non. Le petit casino miteux à côté de l’aéroport.
Il venait de terminer 8è du Main Event du World Poker Tour (WPT) à 3 300 € et avait le regard dans le vague.
« Je pensais que cette fois serait la bonne », m'avait-il confié à l’époque.
Pourquoi cela ?
Ce n’était pas encore la bonne. La bonne serait le printemps suivant, lorsqu’il allait remporter le WPT World Championship à Las Vegas pour 1,1 million de dollars.
Quelques mois plus tard, il devenait même le premier joueur de l’histoire à remporter deux Main Events d’affilée sur le WPT en remportant le WPT Merit Cyprus Classic.
Il a ensuite atteint deux autres tables finales de Main Event du WPT, remporté un WPT High Roller, et fait quelques bons parcours, dont une récente 18è place au WPT bestbet Bounty Scramble à Jacksonville.
En tout et pour tout, il a remporté plus de 6,2 millions de dollars en tournois dans le monde entier. Pendant un temps, il était même tout proche de Dominik Nitsche au classement des grinders les plus voyageurs du circuit.
Et pourtant, ses performances sur le WPT ont toujours largement dépassé celles sur les autres circuits. Pourquoi donc ?
L'avantage de jouer à domicile, un mythe ?
En 1996, pendant que Huck Seed devenait le sixième joueur à remporter 1 million de dollars aux World Series of Poker (WSOP), Manchester United perdait 0-1 à domicile contre Fenerbahce en Ligue des Champions.
En 40 ans, aucune des 56 équipes qui s’étaient rendues à Old Trafford n’avait réussi à battre les mythiques « Red devils » devant leur public dans une compétition européenne, jusqu’aux Turcs.
En 2002, Nick Neave et Sandy Wolfson ont analysé les données statistiques de matchs internationaux dans 30 pays différents. Le résultat ? 60 % des matchs à domicile se concluaient par une victoire. Le nombre de buts marqués était de 19,2 contre 13,3 à l’extérieur.
Ce n’est pas un mythe. Si vous jouez à domicile, vous avez un avantage certain.
Quand il se passe quelque chose
Le succès de Rettenmaier sur le WPT n’a rien d’un phénomène isolé.
Cate Hall par exemple a fait son entrée sur la scène live avec une cinquième place au WPT Maryland Live l’année dernière.
Depuis, il a atteint deux autres tables finales lors de Main Events du WPT, dont une autre table finale dans le Maryland pour une sixième place.
Autour de sa plus récente table finale, on retrouvait également Benjamin Zamani et Darren Elias. Pour Zamani, c’était la troisième table finale de la saison sur le WPT. Quant à Elias, il était en lice pour son troisième titre sur le WPT.
Et on ne trouve pas ça que sur le WPT. Je pense par exemple à Steve O’Dwyer sur l’European Poker Tour (EPT) ou à Phil Hellmuth aux WSOP.
Il se passe clairement quelque chose.
« C’est juste un exemple de biais d’échantillon », estime Dutch Boyd, vainqueur de plusieurs bracelets. « Peut-être que certains joueurs jouent différemment, ou avec plus de confiance, à certains endroits.
Mais j’ai tendance à penser qu’on cherche simplement à expliquer les bonnes performances de certains joueurs. C’est comme le fait d’avoir un multiple vainqueur de bracelets chaque année aux WSOP.
C’est comme pour les anniversaires : Si on rassemble 11 personnes dans une pièce, il y a 50 % de chances que deux d’entre eux aient le même anniversaire. Ça ne veut strictement rien dire. »
Je ne suis pas d’accord avec Dutch. Et je ne suis pas le seul.
Confiance, fierté, courage
« Ce phénomène existe aussi chez moi, aux Pays-Bas », estime le joueur pro Rolf Slotboom.
« Les joueurs de Rotterdam gagnent la majorité des tournois à Rotterdam, mais réussissent beaucoup moins à Amsterdam. Et vice-versa. C’est assez évident, en fait : quand on se sent à l’aise, « chez soi », on se sent plus en confiance. »
Et même si les joueurs de poker n’ont pas de « domicile » en tant que tel, Slotboom n’a pas tort. Un joueur peut se sentir comme chez lui n’importe où, même virtuellement.
Rettenmaier, Hall, Elias et Zamani se sentent chez eux sur le WPT, quelle que soit la ville. Et dans le cas de Rettenmaier, c’est même dans le monde entier.
Voici ce que pense Roberto Romanello de l’idée de « jouer à domicile » :
« Je ne crois pas que ce phénomène soit limité au poker. À mon avis, quand on accomplit de belles choses, comme décrocher un nouvel emploi, avoir un enfant ou atteindre ses objectifs, cela fait ressortir quelque chose en nous.
Cela inspire la confiance, la fierté et le courage. Cela nous donne une certaine aura et nous met sur une bonne dynamique. C’est pour ça qu’on voit souvent des joueurs qui enchaînent sur une bonne période après une bonne performance ou un événement heureux.
Et c’est précisément pour ça qu’on voit souvent des joueurs faire de belles performances à un endroit particulier, même un an après leur bonne performance. Je suis persuadé que cela fait ressortir quelque chose de spécial en nous, fait ressurgir de bons souvenirs et nous donne envie de revivre ces bons moments. C’est comme ça que cette dynamique s’installe.
Je pense que le fait de revenir à un endroit particulier même un an après une belle victoire permet de faire comme si c’était bien plus récent. Personnellement, je joue toujours bien à Prague. J’ai l’impression que j’ai toujours ce petit je-ne-sais-quoi en plus. »
Quant à Zimnan Ziyard, vainqueur sur l’EPT, il pense que ce phénomène est probablement réel mais que plus de recherches sont nécessaires pour l’analyser.
« En tant que joueurs de poker, nous essayons toujours de comprendre les choses en prenant en compte autant d’éléments que possible. Parfois on finit par appliquer ces principes à un échantillon de données et à en mesurer les paramètres, mais sans les confronter contre le groupe de données dont il est tiré.
Si l’on veut vraiment comprendre la signification de cette corrélation, il faut étudier des échantillons de joueurs qui ont obtenu au moins un bon résultat en gros tournoi et analyser leurs autres performances par rapport au nombre de villes ou d’établissement.
Par exemple, si un pro moyen joue dans 30 casinos différents et obtient 3 ou 4 bons résultats pendant sa carrière, les chances qu’ils obtiennent deux grands résultats au même endroit ne sont pas si faibles. »
Comment arriver à « jouer à domicile » au poker ?
Après avoir écouté les recommandations de plusieurs joueurs de poker professionnels et fait quelques recherches, voici nos conseils pour tenter de créer les conditions nécessaires pour « jouer à domicile ».
1. Trouvez votre « domicile »
Trouvez un « domicile » près de chez vous et établissez votre domination. Faites en sorte d’y jouer régulièrement et faites tout pour vous y sentir à l’aise.
Ensuite, n’allez pas ailleurs tant que vous n’y êtes pas obligé.
« C’est une question de confort », estime Shane Schleger. « Ça aide à être plus présent à table. »
2. Soyez sympa
Pas la peine d’être un con à table. Pour se sentir comme chez soi, il faut aussi ne pas trop se faire remarquer. Apprenez à connaître les croupiers et le staff.
Utilisez leurs prénoms. Faites pareil avec les joueurs : parlez-leur et apprenez à les connaître. Être sympa ne peut que vous aider.
« Si vous jouez souvent au même endroit, vous finissez forcément par connaître les habitués », estime Seth Berger. « Et même les amateurs qui viennent de temps en temps.
Et puis c’est aussi comme ça qu’on apprend à connaître le personnel du casino. Il n’y a plus à vous inquiéter de votre arrivée ou de vos pauses, tout devient une deuxième nature. »
3. Apprenez à connaître tout le monde
Fût un temps, Marvin Rettenmaier faisait partie intégrante de l’essence du WPT, et ses performances s’en ressentaient.
Il était devenu une véritable star. Il connaissait les croupiers, le staff, les directeurs de tournoi, les caméramans, les journalistes et tous les gens impliqués dans le tournoi.
Mais surtout, il était modeste et facile à aborder. Il faisait partie de la famille, et je suis convaincu que cela lui a permis de jouer mieux et de plus s’amuser.
« Le niveau de confort et de familiarité avec les adversaires peut être un facteur important », explique Thayer Rasmussen.
4. Préparez-vous
Qu’est-ce que vous allez manger ? Où est-ce que vous allez dormir ?
Il est absolument essentiel de prévoir pour vous sentir plus à l’aise à l’aube d’un tournoi. Les équipes qui jouent à domicile ont toujours une routine plus établie qu’à l’extérieur.
Selon moi, c’est particulièrement important en ce qui concerne les repas.
5. Soyez intraitable
Lorsqu’Antonio Esfandiari a été viré du PokerStars Caribbean Adventure (PCA) pour avoir uriné à table (à cause d'un pari), peut-être qu’il était simplement en train de marquer son territoire après tout.
Des chercheurs ont démontré que le taux de testostérone des joueurs qui se préparent pour les matchs à domicile est plus élevé qu’à l’extérieur. Selon eux, c’est une question d’instinct de défense du territoire contre les envahisseurs.
Il n’y a qu’à voir Phil Hellmuth aux WSOP. Il ne fait aucun doute qu’il se considère comme le roi de la jungle des WSOP, et ses 14 bracelets prouvent qu’il a su marquer son territoire.
« Les joueurs sont plus susceptibles de participer à des tournois auxquels ils ont déjà participé, ils ont donc probablement plus de chances d’obtenir des résultats lors de ces tournois », explique l’ancien vainqueur de l’EPT Zimnan Ziyard.
« C’est une histoire de nostalgie et de biais : ils se sentent particulièrement bon contre un certain type de joueurs qu’on retrouve dans ces tournois. »
Je sais ce que vous vous dites. Cate Hall ? De la testostérone ? Eh bien si vous regardez les meilleures joueuses de poker du monde, toutes sont assez agressives.
6. Ramenez du public
Si vous arrivez en table finale, faites votre possible pour ramener vos amis pour vous soutenir.
Avoir un public joue un grand rôle dans l’avantage statistique qu’apporte le fait de jouer à domicile. Alors ne lésinez pas !
7. Soyez sympa avec les arbitres
Dans les études menées dans le cadre du football que nous avons évoquées plus haut, il a été démontré que les arbitres sifflaient moins de pénaltys et donnaient moins de cartons jaunes/rouges aux équipes à domicile qu’à celles qui jouent à l’extérieur.
Les chercheurs ont également constaté que si l’on parvenait à éliminer le bruit du public, l’avantage du domicile disparaissait.
Il est donc essentiel d’avoir des supporters présents pour hurler votre nom.
Attention quand même à ne pas trop en faire. Travaillez dur à notre point n° 2 et soyez sympa avec les arbitres (croupiers, directeur du tournoi...), et ils auront plus de chances d’être sympas avec vous.
8. Soyez conscient de l’espace
Certains éléments suggèrent que le fait de bien connaître son « domicile » en termes d’espace permet d’obtenir un avantage.
Par exemple, bien connaître la taille d’un terrain et sa surface permet aux joueurs de se réorienter plus vite lorsqu’ils tombent ou veulent jouer rapidement.
Est-ce la même chose dans le poker ? Est-ce que les joueurs jouent mieux dans certains casinos parce que leur conscience de l’espace leur donne un avantage ?
Est-ce qu’ils connaissent mieux les tables ? Est-ce que les sièges sont plus confortables ? Est-ce que jouer à domicile est plus facile parce que vous n’avez pas à vous demander où sont les toilettes ?
9. Évitez la fatigue et le jetlag
C’est un point essentiel pour les joueurs de poker professionnels ou qui voyagent.
J’ai participé au Grand Prix Poker Tour (GPPT) de Cardiff il y a quelques semaines. Le casino était à 5 minutes de voiture de chez moi, je pouvais rentrer pour manger et même faire une petite sieste le soir.
J’étais à une table d’Irlandais qui se plaignaient de leur hôtel et avaient fait une nuit blanche. C’est pour cela qu’il est important d’arriver bien en avance et d’instaurer une routine pour minimiser la fatigue liée au voyage.
« Quand on découvre une nouvelle destination, cela demande plus de préparation. Il faut faire en sorte de se laisser le temps de tout faire pour arriver au mieux mentalement », explique encore Seth Berger.
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Voilà. 9 conseils à mettre en œuvre pour vous aider à construire votre propre avantage à domicile. Vous en avez d’autres ?
Merci à Roberto Romanello, Thayer Rasmussen, Shane Schleger, Dutch Boyd, Rolf Slotboom, Zimnan Ziyard, Steven van Zadelhoff et Seth Berger pour leur participation.