Les choses changent beaucoup en 6 ans, et le poker n'échappe pas à la règle : Le jeu est aujourd'hui bien différent qu'il ne l'était en 2010.
Ma vie a totalement changé en 2010.
Un instant j’étais dans mon bureau des Port Tablot Steelworks à réfléchir comment empêcher mes employés de se coincer les doigts dans la porte des wagons.
L’instant suivant, j’étais à côté de Joe Hachem au Main Event de l’European Poker Tour (EPT) à Londres, où on me prenait pour un serveur.
Je ne connaissais rien au poker à cette époque. Je n’en savais pas beaucoup plus sur les cocktails. J’étais un fish, et pourtant je débordais de confiance.
Je travaillais à l’EPT Londres pour gagner un peu d’argent et m’aider dans mes débuts dans le poker. Ce n’était pas gagné.
J’ai fini par devenir journaliste à plein-temps, mais avec les années et les interviews des meilleurs joueurs du monde, j’ai pu voir évoluer la stratégie du poker.
1. Qualité et disponibilité des ressources
Cela ne fait aucun doute : le plus gros changement de ces 6 à 10 dernières années, c’est la disponibilité et la qualité des ressources à la portée des joueurs de poker en herbe.
Quand je me suis lancé, il y avait quelques bons livres de poker sur le marché et des sites de coaching prometteurs. Mais rien à voir avec la qualité qu’on trouve aujourd’hui.
Il y a six ans, les joueurs étaient encore terrifiés de partager leurs « secrets ». Ce n’est plus le cas. RunItOnce est un excellent exemple de site d’excellente qualité qui emploie les meilleurs joueurs et coachs au monde.
Et ces ressources ne concernent pas que le côté technique du poker. Even Jarvis de Gripsed.com apprend aux joueurs une approche complète, centrée notamment sur la santé et le bien-être.
Quant à Mental Game of Poker de Jared Tendler et Barry Carter, l’un des livres de poker les plus populaires, il se concentre sur l’état d’esprit. Justin Bonomo, lui, croit que le développement d’Internet et du poker en ligne est le principal facteur expliquant la rapidité de ces développements :
« Le poker en ligne a catalysé l’évolution globale de la stratégie poker », explique Bonomo. « Des sujets dont Doyle Brunson discutait avec deux ou trois amis reçoivent aujourd’hui l’attention de milliers de joueurs dans le monde, sur plusieurs forums de poker.
Des choses qu’on estimait vaguement sont aujourd’hui étudiées méticuleusement à l’ordinateur. »
Et surtout, la majorité de ces informations sont gratuites. Pas besoin de débourser un centime pour accéder à la chaîne Twitch de la Global Poker League (GPL) et voir Bonomo décrire ces simulations informatiques pendant ses heads-ups.
Outre la GPL, de nombreux joueurs diffusent leurs parties gratuitement, ce qui m’amène au point suivant.
2. L’écart de niveau se réduit
« Grâce aux ressources disponibles, le niveau des joueurs est bien meilleur et les écarts se réduisent », explique Billy « b8chatz » Chattaway.
Le poker est plus difficile parce que la queue du peloton a énormément progressé. La plupart des bons joueurs ont désormais des bases très solides.
Comme le dit Talal Shakerchi, « Il est plus difficile qu’avant de catégoriser les joueurs, puisqu’on a tous accès aux mêmes livres, vidéos, etc. C’est plus équilibré.
Les joueurs comprennent également mieux comment gérer les mains moyennes ou faibles après le flop. »
À une époque, un jeu ABC efficace suffisait pour faire d’une table de poker lambda une machine a sous. Ce jeu académique est non seulement essentiel aujourd’hui, mais même pas suffisant !
Ce qui a amené un autre changement...
3. Les joueurs sont plus créatifs
Lorsque les joueurs se sont rendu compte que le poker ABC ne suffit pas, ils ont dû inventer des moyens plus créatifs de battre leurs adversaires.
Encore une fois, les sites de coaching en ligne y sont pour beaucoup dans ce développement. Il y a dix ans, personne ne savait ce qu’était un reverse float. Aujourd’hui, c’est aussi fréquent qu’un parasol sur la plage. Les joueurs le font comme s’ils avaient fait ça toute leur vie.
« Les joueurs cherchent constamment à innover », explique Chattaway. « C’est ce qui les rend d’autant plus difficiles à lire et à jouer. En 2006, le double float n’existait pas. Les joueurs développent leur créativité pour remporter les pots. »
Et pour Bonomo, c’est un plaisir de suivre cette évolution.
« En tant que pro, c’est fascinant de voir le poker changer. Pour continuer à être au meilleur niveau, il faut se tenir au courant des dernières tendances.
Par exemple, ces dernières années on voit beaucoup de joueurs hors de position au flop qui C-bet 30 % du pot quand il y a une petite paire sur la table.
On appelle ça le range-charge, et l’idée c’est que la carte favorise tellement ton éventail que le joueur qui a l'initiative ne continuera pas à miser.
Ce sont des choses qu’il faut comprendre, non seulement pour pouvoir les mettre en pratique, mais aussi pour savoir les contrer. »
4. Les joueurs sont plus agressifs
L’un des changements les plus manifestes ces dernières années, c’est le niveau d’agression.
« Il y a plus de bagarres avant le flop, » explique Chattaway. « On ne voyait jamais de 5-Bet il y a 10 ans. Et le 3-Bet est devenu très courant. »
Shakerchi renchérit :
« Les joueurs sont beaucoup plus agressifs avant le flop. On voit beaucoup plus de 3-Bet et de 4-Bet. Quand j’ai commencé le poker, on disait qu’une quatrième relance c’était forcément des as. C’était dans le livre de Phil Gordon Little Green Book.
C’était vrai à l’époque, mais certainement plus maintenant. »
Cette agressivité se retrouve à tous les niveaux et traduit là aussi l’accès aux ressources de coaching. On ne limpe plus qu’aux mises les plus basses, et encore, c’est vu comme un signe de faiblesse.
Même avec un stack bas, on joue de manière très agressive, surtout avec des outils comme les tableaux qui permettent de savoir quand aller à tapis pour systématiser quelque chose qui demandait autrefois beaucoup de réflexion. Et tout ça, on le doit à certains joueurs...
5. Les joueurs mathématiques dominent
Je pense qu’à l’époque, il y avait un mélange plus équilibré de joueurs « instinctifs » et des joueurs « mathématiques ». The Mathematics of Poker de Bill Chen est l’un des livres de poker les plus vendus ces dix dernières années, et c’est mérité.
Quand vous demandez à un pro de vous expliquer une main ou qu’il le fait sur Twitch, la profondeur de son raisonnement mathématique est incroyable.
Il est absolument évident pour moi que pour réussir dans le poker moderne, il faut maîtriser les mathématiques du poker.
Les joueurs « instinctifs » ont toujours du succès. Mais la balance penche en faveur des matheux, et on prête moins attentions aux tells physiques qu’à une époque.
Les choses ont donc beaucoup changé. Mais pour Bonomo, il y a encore beaucoup de chemin à faire.
« Malgré toutes les évolutions stratégiques, je crois qu’on a encore beaucoup de marge. Si on propulsait les professionnels d’aujourd’hui dans une partie dans 10 ans, ils auraient sûrement beaucoup de mal. »
Voilà comme je vois l’évolution de la stratégie poker depuis 2010 (avec un peu d’aide de Billy Chattaway, Talal Shakerchi et Justin Bonomo).
Qu’en dites-vous ?