Est-on sur le point de voir le boum du poker en Inde franchir un nouveau palier ? C’est en tout cas à envisager après que les professionnels indiens Nipun Java et Aditya Sushant ont remporté les deux premiers bracelets en or de l’histoire de l’Inde à l’occasion du tournoi par équipes à 1 000 $ des World Series of Poker.
Pour célébrer cette magnifique performance, les organisateurs ont même passé l’hymne national indien au lendemain de la victoire. C’est la première fois qu’un hymne est joué au Rio, et cela n’a pas échappé à Java :
« C’était vraiment un grand moment. Je suis extrêmement heureux, surtout pour les gens qui sont venus ici spécialement.
Moi j’habite aux États-Unis, mais il y a des gens qui viennent de loin. C’est le genre de chose qui peut les inspirer à continuer. Le poker, ça peut être usant. Ce bracelet arrive à point nommé : le poker est en plein boom en Inde. » — (voir son interview en 2015 dans la deuxième partie de cet article)
L’Inde, un potentiel énorme
Le poker est en pleine expansion dans un certain nombre de pays, mais peu ont un potentiel aussi énorme que l’Inde et sa population de plus de 1,3 milliard de gens.
« Honnêtement, c’est presque étonnant qu’on n’ait pas gagné de bracelet plus tôt, avec la population qu’on a », renchérit Java.
En ce moment, le poker est en plein paradoxe en Inde. Il se développe à vitesse exponentielle, mais principalement via des parties clandestines. Le poker n’est légal que dans une poignée de villes.
« Si certaines choses se règlent au niveau de la législation, on verra un vrai boom. Pour l’instant, l’Inde fait face aux mêmes défis que les États-Unis en ce qui concerne le poker en ligne, les impôts, etc. », explique Java.
Pour lui, les WSOP représentent un défi bien particulier pour les Indiens, car leurs gains sont très durement impactés.
« Beaucoup de joueurs aimeraient venir, mais en gros, 30 % des gains sont prélevés, et on ne peut quasiment pas les récupérer en raison des lois anti-jeux d’argent en Inde, qui empêchent de faire entrer dans le pays de l’argent gagné aux jeux.
Ça décourage énormément de joueurs, 30 % c’est énorme. En gros, c’est comme jouer systématiquement en EV-. »
Agarwal : « Ce bracelet va changer les choses »
Malgré les impôts, quelques Indiens ont tout de même fait le voyage jusqu’à Vegas pour les WSOP. Ils sont d’ailleurs de plus en plus nombreux.
Pour Aditya Agarwal, figure de proue indienne de PokerStars et qui vient aux WSOP depuis plus de 10 ans, le nombre de joueurs indiens a progressé de manière significative cette année.
« Le sous-continent indien est de plus en plus représenté.
Je n’ai jamais vu autant de joueurs que cette année. Et grâce à ce bracelet, il y en aura encore plus l’année prochaine. »
Agarwal, qui est proche de Java et de Sushant, estime qu’il ne faut pas sous-estimer la portée de cette performance.
« Ça va forcément changer les choses pour le poker en Inde. J’étais très ému de les voir gagner.
Beaucoup de gens me soutiennent, donc c’était merveilleux de voir des joueurs indiens remporter un bracelet. On est très suivis et cela va encore augmenter la popularité des WSOP. »
De son côté, Java est particulièrement impressionné par les joueurs comme Agarwal et Sushant qui font le voyage depuis l’Inde, et ce malgré le casse-tête des impôts.
« Ces gars-là sont des passionnés. Ils viennent pour la gloire et pour se faire un nom. Ils veulent montrer que le poker n’est pas un jeu de hasard. »
Encore quelques obstacles
Malgré cette brillante victoire, le poker en Inde n’est pas au bout de ses peines.
« Le poker est vraiment en plein boom en Inde, mais il fait face à de véritables entraves », ajoute Java.
« C’est différent de la situation au Brésil ou dans le reste de l’Amérique latine par exemple. »
Java est déjà retourné plusieurs fois en Inde pour jouer, mais principalement dans des parties privées.
« Seules quelques villes comme Bangalore ou Goa disposent de salles de jeu. Il y a quand même du poker en ligne, comme PokerStars par exemple. »
Le poker en ligne se trouve dans une zone de flou législatif en Inde, parce qu’il n’a pas encore été classé comme jeu de stratégie (comme le rami ou les échecs).
Java est convaincu que le poker en ligne favorise le développement du poker partout dans le monde.
« J’ai vraiment l’impression que le fait de ne pas légaliser le poker en ligne pénalise beaucoup l’économie du poker.
Je ne crois pas que cela favorise les casinos physiques, parce que cela freine l’afflux de nouveaux joueurs.
Avec le poker en ligne, il est facile de trouver de nouveaux joueurs. Alors que c’est très intimidant de se rendre dans un casino pour la première fois. »
Énormément de points communs entre les échecs et le poker
Évidemment, d’autres jeux ont su s’imposer en Inde. Le pays est notamment devenu un haut lieu des échecs, dont on sait déjà qu’il présente énormément de points communs avec le poker.
« Viswanathan Anand est resté très longtemps numéro 1 mondial et on a aussi beaucoup de très bons jeunes joueurs d’échecs. Les échecs sont une discipline très respectée en Inde. »
Bien que la variance soit beaucoup plus importante dans le poker, les deux disciplines demandent une réflexion critique et une prise de décision éclairée.
« La population indienne est tellement importante, et puis le poker a aussi un côté intellectuel.
La plupart des gens seraient intéressés par une discipline qui leur procure un certain épanouissement. Le poker correspond à la mentalité indienne.
On a beaucoup de bons joueurs d’échecs. »
Ironiquement, bien que les échecs soient bien plus acceptés en Inde, il est beaucoup plus difficile d’y gagner sa vie.
« Seuls quelques très bons joueurs peuvent le faire. C’est plus facile dans le poker, surtout si le système est plus favorable qu’actuellement. »
Un programme chargé pour les joueurs indiens
Les joueurs indiens ont débuté ces WSOP en fanfare, puisqu’ils ont donc remporté deux bracelets en un seul tournoi.
En outre, Aditya Agarwal a ajouté une nouvelle table finale à son palmarès le lendemain, pour finalement terminer 9è du tournoi de No-Limit Hold’em à 1 500 $.
Pour Java, ce n’est pas un hasard :
« J’ai remarqué que leur préparation a été très différente », estime-t-il à propos de l’ensemble des joueurs indiens.
« Culturellement, j’ai l’impression qu’il nous manque quelque chose en termes de préparation mentale et physique par rapport à d'autres pays. Niveau préparation mentale, ça va. Donc j’essaye d’amener quelque chose en plus au niveau de l’hygiène de vie en dehors de la table. »
Java a donc conseillé à ses compatriotes d’éviter de sortir toute la nuit et de se concentrer sur le poker.
« Honnêtement, je dois féliciter mon coéquipier Sushi Sushant. Il a perdu une vingtaine de kilos en un an. Il est en bien meilleure forme et les résultats le prouvent. Il joue beaucoup mieux et sa concentration est au top. »
Java estime que si les joueurs indiens sont capables de jouer à leur meilleur niveau, alors les résultats suivront.
« Je crois que ça pourrait être un véritable été indien aux WSOP. »
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Aditya Agarwal prédit une déferlante du poker en Inde
Depuis son arrivée dans la Team PokerStars Pro au mois de janvier dernier, Aditya Agarwal parcourt toute l’Inde pour promouvoir le poker.
par Alexander Villegas - Interview publiée en juillet 2015
Il y environ un mois, le poker a remporté une victoire très importante après que la Haute-Cour de Calcutta a émis un jugement autorisant l’ouverture légale de salles de poker au Bengal occidental, l’état d’origine d’Agarwal.
Mais son plus grand défi sera sûrement de défendre le poker devant deux de ses compatriotes : les parents de sa petite-amie.
Très conservateur, ce couple également originaire du Bengal occidental est propriétaire de jardins à thé dans tout l’état et ne sont pas du tout au courant du métier du petit-ami de leur fille.
Comme beaucoup d’Indiens, ils considèrent le poker comme un jeu de hasard et d’argent comme les autres.
Pendant qu’Aditya mènera son combat, un autre Agarwal, “Bitti” (sans aucun lien familial), est lui toujours en train de fêter la décision de la Haute-Cour.
Légalisation
Bitti et son partenaire, Kizhakke Naduvath Suresh, sont à l’origine du procès qui a entraîné la légalisation des salles de poker au Bengal occidental.
“Bitti a ouvert une salle de poker qui a été fermée le jour-même par la police”, explique Agarwal.
“C’était une question de licence à payer, mais ils ont traîné ça au tribunal et la cour leur a donné raison. C’est un tournant très important pour le poker en Inde. Il va rouvrir sa salle cette semaine. Tout est prêt, et je pense qu’il ne sera pas le seul à rouvrir très rapidement. Calcutta regorgera de salles de poker, ça sera génial.”
Avant le verdict, Bitti organisait des parties de poker au Bengal occidental en s’appuyant sur une loi de 1957 qui autorise spécifiquement le bridge, le poker, le rummy et le nap.
Pas de quoi empêcher la police de le traquer dans tout Calcutta pour fermer ses parties cependant.
Après la dernière fermeture le mois dernier, Suresh, avocat connu et reconnu qui a mené la lutte pour la légalisation du poker à Bangalore, s’est emparé du cas pour le présenter à la plus haute cour de Calcutta et en finir enfin après ce flou juridique.
Et le poker l’a emporté.
Une législation nationale trop complexe
Si le poker est désormais légal au Bengal occidental, il n’en reste pas moins interdit dans la majorité des autres états du pays.
Agarwal explique que, contrairement aux Etats-Unis où les états créent eux-mêmes leurs lois, les états indiens s’appuient sur des lois existantes pour prendre des décisions.
“Chaque état a sa législation et il n’y a eu aucun changement depuis très longtemps”, explique-t-il.
“Ils utilisent ces lois datant du siècle dernier pour décider d’ouvrir ou non les salles de poker. A Bangalore et au Bengan occidental, la Cour a tranché en faveur du poker, mais les jeux d’argent restent totalement illégaux à Bombay et à Maharashtra. C’est comme ça. Je ne sais pas comment les choses vont évoluer.”
Et si Agarwal est loin d’être certain du futur du poker en Inde, cela ne l’empêche pas de se donner corps et âme pour le promouvoir dans tout le pays en tant que sport professionnel.
Le poker, un sport de l’esprit
Comme d’autres joueurs, Aditya Agarwal tente de promouvoir le poker en tant que sport de l’esprit.
“Varun Goel s’implique énormément dans la lutte pour la légalisation du poker en tant que sport de l’esprit. Il mène la charge et est en train de mettre sur pied la Fédération indienne de poker. C’est lui qui va arriver à faire bouger les choses en Inde”, affirme Agarwal.
Agarwal utilise son statut de joueur professionnel pour assurer la promotion du poker dans le pays, mais il apprécie également la reconnaissance que lui procure sa place dans la Team PokerStars Pro :
“Je suis tellement honoré. Tous ces gens contre qui je joue depuis des années qui viennent me féliciter. En Asie, des gens que je n’ai jamais vus viennent me prendre en photo et me poser des questions.”
71è sur 6420 du récent Main Event des WSOP, il aura à nouveau pu compter sur un soutien incroyable : “Ca a été extraordinaire, de la part de tout le monde en Inde. Il y a eu tant de gens qui m'ont encouragé sur Facebook et Twitter. C'est fou de voir tant de gens qui me supportent au poker.”
Les sites de poker indiens n’ont pas non plus tardé à suivre l’exemple de PokerStars.
“Après avoir signé pour PokerStars, les sites indiens ont commencé à faire signer beaucoup de joueurs.”
D’après Agarwal, un site a notamment fait signer quatre joueurs, et un autre six.
L’aura PokerStars
En Inde, il n’y a qu’un seul membre de la Team PokerStars Pro.
“Il y a beaucoup de joueurs professionnels, mais faire partie de PokerSrars c’est vraiment particulier. Tu deviens un peu le centre de l’attention.”
Agarwal espère en tout cas que cette popularité grandissante du poker lui permettra de convaincre ses beaux-parents. Il a même sauvegardé un graphique le comparant à Shakin Tendulkar, légende du cricket, pour le montrer au père de sa petite-amie.
Comme beaucoup d’Indiens, celui-ci est fan de Tendulkar.
“Avec un peu de chance, ça facilitera un peu les choses.”
Et si cela ne suffit pas, Agarwal espère que ses résultats et son statut de star du poker feront le reste.
Lui qui, il y a quelques années, n’était même pas le seul Aditya Agarwal à jouer au poker dans son quartier a aujourd’hui une particule qui rend son nom bel et bien unique.