Vous vous souvenez ? Dans notre précédent article sur la variance, nous vous disions que celle-ci n'était pas un si gros problème pour les bons joueurs de cash games live. L'histoire est en fait un tant soit peu différente pour les joueurs de poker en ligne.
Il y a un "animal" en particulier qui doit être approché avec précaution : le win-rate (taux de gains ou ratio de victoires).
Pour (re)lire la première partie : Variance et poker : comment les bons joueurs dominent la chance
Evidemment il existe un certain nombre de différences entre le poker live et le poker online, sur Internet (certains iront même plus loin en disant qu'il s'agit de deux jeux différents).
Le plus important à propos de la variance pour nous c'est que :
1. Le poker en ligne se joue plus rapidement. Un joueur (semi) professionnel en ligne joue sur plus d'une table à la fois, et son nombre de mains jouées se situera en moyenne entre 200 et 1000 mains par heure. Le joueur de poker en live ne voit en général jamais plus de 35 mains par heure.
La variance est un paramètre majeur pour les meilleurs joueurs de poker en ligne.
2. Le poker en ligne possède un écart-type par 100 mains plus basse (voir première partie à propos de l'écart-type). Les joueurs live ont besoin de 3 heures pour jouer 100 mains, et peuvent connaître les hauts et bas ("swings") les plus sauvages durant cette période.
En ligne, vous pouvez n'avoir besoin que de 10 minutes pour jouer 100 mains, et vous connaîtrez généralement moins de swings sur cette période (en partie dû au fait que les parties sont en général plus serrées).
3. Le point le plus important : les joueurs de poker en ligne ont généralement des win-rates bien plus bas que les joueurs de poker en live.
Tandis que les joueurs live à bas enjeux peuvent se montrer capables de battre leur limite d'enjeux de 25 grosses blindes par 100 mains, on n'entend plus parler de tels win-rates dans le monde du poker en ligne de nos jours. La concurrence est bien meilleure, et des win-rates de 5 grosses blindes par 100 mains sont déjà considérés comme excellents.
Si les deux premiers points (plus de mains et un écart-type plus bas) pourraient indiquer que le poker en ligne connaît globalement une variance plus faible que le poker live, le troisième point (des win-rates plus faibles) prouve que la variance est un facteur majeur en ligne.
La Variance est d'une grande importance au Poker en ligne
Afin de montrer à quel point la variance est un facteur majeur, retournons voir John si vous le voulez bien.
John, le "grinder" live de notre premier volet, vient juste de découvrir le monde du poker en ligne, et il est un joueur décent aussi bien sur Internet que dans son casino local.
Disons qu'il bat les tables de No-Limit Hold'em en ligne à 0,50€/1€, avec un win-rate de 5 grosses blindes toutes les 100 mains (ce qui est déjà bien au-dessus la moyenne pour un joueur décent).
Son écart-type est de 100 grosses blindes pour 100 mains (il s'agit d'un écart-type habituel aux tables à 6 joueurs en ligne).
En live, John joue 4000 mains par mois. Voyons donc comment il se comporte en ligne sur la même période. A nouveau nous nous aiderons du site de calcul de variance sur Pokerdope.com. Entrons les trois paramètres (win rate, écart-type et nombre de mains), et jetons un oeil aux résultats :
Vous voyez ce qu'il se passe ? Ces échantillons deviennent fous !
Sur 4000 mains, John peut s'attendre à gagner 200 grosses blindes (ce qui correspond à 200€ aux tables 0,50€/1€) en moyenne. Mais il rencontrera de nombreux gros swings.
Vous pourriez avoir besoin de milliers (peut-être même des dizaines de milliers) de mains pour vous refaire de vos downswings en ligne.
Voyons quelques statistiques :
- La probabilité pour que John perde de l'argent sur 4000 mains est de 38%.
- Il y a 2,5% de chances (une fois toutes les 40 simulations) pour que John perde plus de 1000€ (10 buy-in ou plus) sur 4000 mains.
- En fait, plus de 30% du temps John se verra coincé dans une série perdante pour plus de 2000€.
Comparez ces nombres à la performance de John en live. En live, ses chances de perdre de l'argent sur 4000 mains étaient de seulement 9%.
Alors pourquoi la variance est-elle si dévastatrice en ligne ?
La Variance est une s.....
La raison pour laquelle la variance possède un tel impact a déjà été donné plus haut : le win rate.
Un joueur de poker en ligne décent peut gagner 5 grosses blindes par 100 mains - peut-être 8-10BB s'il est vraiment brillant - tout en jouant à un niveau relativement bas.
Bien qu'en théorie il s'agisse d'un résultat sympathique, ce n'est que minuscule fraction de l'écart-type pour 100 mains.
Cela signifie que la variance vous bottera les fesses de temps en temps, et il n'y a pas grand chose que vous puissiez y faire. Votre win rate est simplement trop bas pour annihiler un gros downswing en quelques centaines de mains.
Vous pourriez en fait avoir besoin de milliers (peut-être même dizaines de milliers) de mains pour vous refaire de vos downswings (périodes perdantes).
Un autre obstacle ? Vos adversaires en ligne sont sobres. Et probablement plutôt bons.
Si vous vous asseyez à une table de poker en ligne et que vous espérez en faire fi et terminer gagnant avec beaucoup d'avance comme dans votre casino local, vous risquez d'en être pour une désagréable surprise :
- Vos adversaires en ligne ne sont généralement pas des locaux ou touristes à moitié saouls.
- Vos adversaires en ligne sont (pour la plupart) sobres et savent généralement ce qu'ils font.
- Vos adversaires en ligne peuvent avoir une expérience de centaines de milliers de mains et "grinder" les tables virtuelles pour en vivre.
Aussi même si vous gagnez, vous gagnez avec une marge bien plus faible qu'en live. Et un win-rate plus petit conduit à de plus gros downswings et accroissent de manière significative la variance (négative).
Plus de Mains, Moins de Variance
Jetons un oeil à comment quantifier le problème de la variance.
La clé pour garder votre variance sous contrôle, est de jouer plus de mains. Presque tous les "grinders" professionnels en ligne jouent des dizaines de milliers de mains par mois - certains jouent même plus de 100 000 mains (absolument chaque mois).
Si vous êtes un joueur gagnant, accumuler les mains réduira inévitablement l'impact de n'importe quelle variance à court terme. Les downswings ne disparaîtront pas, mais vous pourrez les dominer.
Revenons-en donc une nouvelle fois à notre bon vieux John des exemples précédents. Celui-ci a décidé de vraiment tenter sa chance au poker en ligne, et a commencé à jouer 20 jours par mois, avec une moyenne de 2 000 mains par jour (en jouant 4 à 6 heures par jour).
Par mois il joue donc 40 000 mains. Il joue en No-Limit Hold'em aux limites 0,50€/1€ et obtient un win-rate moyen de 5 grosses blindes par 100 mains. Son écart-type est de 100 grosses blindes par 100 mains.
Les résultats que John peut espérer sur un mois de jeu ? Eh bien entrons encore une fois ces chiffres dans notre calculateur de variance :
Bien que cela ait l'air toujours un peu sauvage cette simulation ne semble pas trop lugubre.
- Il y a seulement 16% de chances pour que John termine sur un mois perdant.
- Il y a 5% de chances pour que John soit perde plus de 2000€, soit gagne plus de 6000€ en un mois.
Après 40 000 mains, la variance est toujours un facteur bien présent, mais c'est un facteur déjà bien plus faible qu'au bout de seulement 4 000 mains.
Nous pouvons aussi simuler les résultats possibles de John au-delà de 400 000 mains (ce qui correspond à 10 mois de jeu pour John) :
- Ses chances de perdre de l'argent sur 10 mois (400 000 mains) sont minuscules : 0,08%.
- Ses chances de gagner une somme comprise entre 7 350€ et 32 650€ sont de 95%.
- Ses chances d'être pris dans un downswing de 2 000€ à tout moment sont légèrement supérieures à 30%.
- Ses chances d'être pris dans un downswing de 5 000€ (soit 50 buy-in !) à tout moment sont autour de 4%.
Bien que ces nombres puissent sembler intimidants, malheureusement, c'est le mieux que l'on puisse faire.
Bien jouer, éviter le tilt et accumuler de nombreuses mains est la seule façon de pouvoir combattre les montagnes russes des downswings.
Ces statistiques montrent aussi que si vous êtes un joueur décent (comprenez : un joueur gagnant), vous pouvez annihiler la variance négative en jouant le volume nécessaire.
Laissez la Variance être votre esclave
Nous avons déjà établi que la variance était une... - bon vous avez compris, on ne va pas prononcer le gros mot :) - , mais aussi qu'il y a une manière selon laquelle le poker ne marche certainement pas : vous ne pouvez juste pas jouer sur une ou deux tables quelques heures par semaine et vous attendre à gagner conséquemment de l'argent.
Si ce sont vos espoirs et vos attentes, le poker en ligne n'est probablement pas fait pour vous.
Il est toujours possible de marcher sur l'eau au poker. Gagner régulièrement est une autre paire de manches.
Vous devrez soit travailler sur votre jeu et jouer un volume décent, ou vous devrez apprendre à vivre avec le fait que la variance est un facteur d'influence énorme, et que quel que soit le mois que vous connaîtrez (gagnant ou perdant), cela sera principalement déterminé par la chance.
Vous ne devriez également pas trop surévaluer les downswings. Ils arriveront plus fréquemment et dans une ampleur plus grande que ce à quoi vous vous attendrez de toute façon.
Même si vous venez de gagner 10 buy-in en l'espace de quelques heures ne veut pas dire que vous êtes le nouveau Daniel Negreanu / la nouvelle Vanessa Selbst pour autant. Et ce n'est pas non plus parce que vous venez juste de perdre 10 buy-in en deux soirées que vous êtes nécessairement un mauvais joueur.
Même les joueurs à bas enjeux et qui jouent principalement dans un esprit de compétition (pas pour payer leurs factures) devraient s'habituer au fait qu'ils auront besoin de beaucoup d'endurance pour battre de manière régulière leurs parties / limites.
Mais cela ne veut pas dire que la variance ne peut pas être votre "esclave" (pour parler plus poliment) une fois pour toutes. Oui tout le monde peut connaître une vraiment mauvaise série. Mais de l'autre côté, tout le monde peut aussi connaître la réussite.
Il est bien connu que certains joueurs d'un niveau en-dessous de la moyenne parviennent à réaliser d'énormes performances dans de gros tournois (pensez à Jamie Gold ou à Darvin Moon terminant vainqueur ou 2ème du Main Event des WSOP par exemple - respectivement en 2006 et 2009).
Il est toujours possible d'être béni durant un tournoi de poker... Mais prendre le poker au sérieux et apprendre à gagner de manière constante est une toute autre histoire.
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Bonus : 5 Astuces pour Sortir d'une Mauvaise passe
Si vous jouez sérieusement au poker depuis un certain temps, vous avez donc probablement déjà vécu une mauvaise passe, un downswing.
Toutes les mauvaises séries peuvent être franchement démoralisantes.
Si vous jouez au poker depuis suffisamment longtemps, elles sont pourtant tout autant inévitables que le soleil couchant. Ou voir vos as craqués à la bulle.
Ce qui sépare les excellents joueurs des bons, est leur capacité à faire avec ces "downswings."
Nous en avons tous été là. Les défaites commencent à s'enchaîner jour après jour et vous accumulez les pertes. Vous sentez que vous jouez bien, mais les cartes ne vont simplement pas dans votre sens.
Le poker est un jeu régi par la chance à court terme. Si vous aviez une machine à voyager dans le temps et la possibilité de changer une carte dans chacune des éditions des WSOP, vous pourriez garantir de pouvoir changer l'issue du tournoi tout entier avec cette simple carte.
Cela devrait vous faire prendre conscience du poids placé dans les cartes qui sortent.
Lorsque les cartes ne sont pas avec vous, il est tout à fait possible de jouer votre meilleur poker et de quand même perdre 20 000 mains, 600 tournois, ou même plus.
Malheureusement (si l'on peut dire), c'est la nature du jeu.
Si vous avez déjà connu une de ces mauvaises séries et pendant une longue période, vous pouvez sans doute attester que cela vous fasse vous interroger sur tout ce que vous avez toujours fait au poker.
Vous commencez à vous demander si vous avez déjà vraiment été bon. Vous vous demandez si les joueurs deviennent tous meilleurs ou si le paquet de cartes est monté contre vous.
En réalité, vous êtes probablement tout aussi proche, à quelques cartes, d'une bonne série.
Voici cinq conseils pour vous remettre sur de bons rails.
1) Faites une Pause
Quand vous en arrivez à un stade où vous n'avez même plus envie de jouer au poker, justement arrêtez. Vous risquez d'être stupéfait de voir à quel point vous vous sentirez mieux après avoir pris un jour ou deux de repos loin du jeu pour vous relaxer.
Au milieu d'une mauvaise série, la frustration prendra souvent le meilleur de vous. Personne ne joue son meilleur poker lorsqu'il tilte. Même un petit peu.
Une coupure bien méritée après s'être pris un "2-outer" ou une couleur à la rivière vous permettra de vous changer les idées et de revenir dans le jeu avec l'esprit frais.
2) Gardez la Perspective des Choses
Vous êtes un joueur gagnant. Vous avez fait de belles choses au poker pour en arriver là. Pour sûr tout n'a pas été qu'une histoire de chance.
Les mauvaises passes arrivent à tout le monde, elles font partie du jeu. Il peut sembler que vous ne pouvez pas gagner sur une période, mais en réalité rien n'a changé - vous jouez à un jeu dominé par la chance à court terme.
Sur le long terme, les bons joueurs gagneront toujours, et les mauvais perdront.
Vous n'avez pas le choix, comme dans la vie : il vous faut prendre les bonnes choses avec les mauvaises. Si vous voulez profiter de ces jours à 10 buy-ins remportés qui vous font vous mettre en arrêt maladie pour la journée, vous devez aussi savoir encaisser le revers de la médaille, ces séries noires prolongées.
3) Descendez d'une Marche
Les downswings peuvent être durs à supporter à la fois pour votre moral et pour votre bankroll. Une bonne façon de retomber sur vos pieds, est de descendre de limite, d'enjeux.
Jouer plus bas vous donne déjà une chance de jouer avec un niveau de stress plus bas. Avec vos épaules libérées du poids de l'argent, vous pouvez mieux vous concentrer pour battre vos adversaires.
Lorsque vous "run bad" pour reprendre l'un des termes anglais à la mode, il ne faut parfois que quelques sessions gagnantes pour vous remettre en confiance. Vous pouvez alors remonter de niveau d'enjeux pour revenir dans votre partie habituelle dès que vous vous sentez prêt !
4) Jetez un œil à votre Jeu
Bien que les downswings soient donc inévitables, plus longtemps ils durent et plus vous devriez quand même jeter un œil à votre jeu pour analyse.
Tout le monde se croit plus fort qu'il ne l'est réellement. Et connaître un down-swing est une bonne opportunité pour vraiment se pencher sur votre jeu et de voir si vous jouez vraiment votre meilleur poker.
Les mauvaises séries conduisent à la frustration, et la frustration conduit au tilt. Puis le tilt conduit au côté obscur. Et par côté obscur nous voulons parler de mal jouer.
Passez donc en revue vos historiques de mains avec un ami joueur. Êtes-vous vraiment malchanceux ou vous embringuez-vous dans trop de situations marginales ?
Vous serez peut-être surpris de ce que vous trouverez une fois que vous aurez passez l'étape du "pauvre de moi".
5) A-tten-tio-nné !
Rien ne peut mieux vous sortir d'une mauvaise passe que de bonnes prises de décision. Vous devez juste continuer de jouer en attendant que l'orage passe.
Si vous vous appliquez à prendre la meilleure décision possible à chaque fois que c'est à vous d'agir, vous retrouverez votre courbe de gains avant même que vous ne vous en rendiez compte.