Ema Zajmovic fut la première joueuse de poker à remporter un tournoi du WPT open. Pour elle, les filles doivent encore lutter pour être reconnues.
Du haut de ses quelques six ans d’expérience dans les tournois de poker en live, Ema Zajmovic ne détient "que" 10 places payées à son palmarès. Mais 6 d’entre elles sont des tables finales.
En février dernier, Zajmovic a remporté en grande pompe le Main Event du WPT Playground après s’être qualifiée sur PartyPoker : elle est ainsi devenue la première joueuse à remporter un titre WPT ouvert à tous.
Trois mois plus tard, Mike Sexton remportait son premier titre WPT après 10 années de tentatives. Après sa victoire, Sexton s’est auto proclamé « plus grand fan » d’Ema et a affirmé que l’on « entendra davantage parler d’elle à l’avenir. »
Quelques mois après cette grande victoire, nous avions retrouvé Ema Zajmovic à Barcelone.
Malgré ses récents succès, Ema ne joue pas à plein temps au poker. Avec un diplôme en relations publiques et en communication politique, elle travaille toujours pour une entreprise dans ce domaine. Elle a aussi la chance « d’avoir un supérieur compréhensif qui lui permet de travailler à domicile ou à partir de lieux insolites comme une terrasse avec vue sur la Baie de Monaco. »
Ema Zajmovic : Je travaille 20 heures par semaine, mais je ne suis plus du tout raisonnable dès qu’il s’agit de poker. Je ne pense pas pouvoir dire que je ne joue que 20 heures par semaine au poker.
Quand tu participes à des tournois, ils rythment ton emploi du temps. Ils décident quand tu joues, quand tu peux faire une pause...
Je me sens ensuite coupable si je n’arrive pas à assurer mon autre boulot. Alors la seule chose que je peux réduire, c’est le temps de sommeil.
Je dors 4 heures et quand je me lève, je vais faire de la gym. Mais j’ai besoin de lire, et je dois aussi faire ceci et cela, et ça continue encore et encore. C’est épuisant physiquement et mentalement, mais tu as besoin de te sentir équilibré(e) pour pouvoir participer à des tournois.
J’avais l’habitude ne de jouer qu’en cash games. Mais après ma première victoire, j'ai ressenti la montée d’adrénaline et j’ai commencé à jouer tournoi sur tournoi.
PL : Alors quelle sera ta profession principale à l’avenir ?
Le poker sera toujours très important pour moi, car j’adore ce jeu. J’étais vraiment mauvaise quand j’ai débuté. Je ne dis pas que je suis exceptionnelle maintenant, mais j’ai évolué.
De nombreux amis ne ressentaient pas cette même passion, mais chez moi elle existera toujours. Après ai-je envie de devenir une joueuse professionnelle ? Non.
J’ai aussi besoin de faire d’autres choses et je ne pourrai certainement pas continuer à jouer autant que je le fais actuellement. Jouer au poker est également très égoïste et j’ai un peu de mal avec ça.
En tant que joueur, tu ne crée rien et tu ne penses qu'à toi. Ce n’est pas ce à quoi j’aspire en tant que femme, ce n’est ce que je souhaite faire de ma vie.
Ce qui est sûr, c’est que je ne me sens pas comblée juste en jouant au poker.
Ton nombre de places payées n’est pas énorme, mais tu en as dans le monde entier.
J’ai adoré voyager, mais maintenant je commence à m’en lasser.
Peut-être est-ce parce que je ne me sens pas vraiment chez moi à Montréal et que je me mens, et que c’est pour ça que j’ai envie de continuer à voyager.
Ce n’est qu'une question de temps avant que je me pose à nouveau. Je souffre du décalage horaire et je suis tout le temps fatiguée ; en plus, je ne sais jamais à l’avance où je serai la semaine suivante. Je ne planifie rien longtemps à l’avance.
Parfois, je ne sais même pas où je serai le lendemain. C’est un désordre total ! (rires)
T'arrive-t-il de te demander où tu es lorsque tu te réveilles ?
Honnêtement, parfois avec le décalage horaire je me réveille et je me dis "OK, alors ça, ce n’est pas ma chambre, c’est un hôtel, alors où est-ce que je suis ?"
L’astuce est de vérifier quelle est la langue parlée par le service en chambre. Mais revenons-en au poker. Presque tous tes résultats sont des deep runs. As-tu un talent spécial ?
Non, soit j'ai de la réussite soit pas. Mais si c'est le cas alors je vais la prendre sérieusement. C’est ça, le secret !
Après ta victoire au WPT, tu as dit qu’il y avait une forte « compétition entre les filles. » Qu’as-tu voulu dire ?
Cela voulait dire que les filles n’étaient pas nombreuses mais que celles qui ont commencé à jouer ne s’attendaient pas à être aussi fortes que les gars ; il s’est donc instauré une compétition entre personnes qui se ressemblent.
Bien sûr j’étais vraiment jeune, mais je me rappelle qu’à l’époque où j’ai démarré il y avait beaucoup de parrainages, parce que les sponsors étaient nombreux.
Alors on ne faisait pas attention à la fille qui était bonne joueuse mais à la fille qui était sponsorisée. C’était courant à l’époque de penser que les filles n’étaient tout simplement pas de bonnes joueuses au poker.
Et c’était vraiment mauvais pour l’évolution des femmes au poker, parce que je pense que les gars se soutiennent bien plus les uns les autres. Il nous manque cette solidarité entre filles.
Mais tout cela est en train de changer. Maintenant, nous savons que nous pouvons nous engager dans la compétition et nous avons plus de respect les unes pour les autres.
Malgré cela, quand as-tu réalisé que tu pouvais rivaliser que ce soit contre des gars ou des filles ?
Au début tu ne fais que cliquer. Tu ne sais pas où tu en es dans une main ; tu ne sais pas vraiment ce que tu es en train de faire.
Puis, il arrive un moment où tu découvres que tu ressens de l’intérêt pour ce qui se passe. L’étape suivante est que tu comprends que tu n'y comprends rien et c’est là que tu apprends à jouer.
C’est un processus sans fin. Tu apprends sans cesse. Et tu ne peux pas pas juste jouer contre les filles... parce qu’il n’y a pas de fille.
Pourquoi ? Parce que c’est un vieux jeu et qu’il faut du temps pour que les mentalités changent. De plus au poker, les filles sont les serveuses, les filles sont les masseuses. C'est comme ça !
Du coup c’est intimidant d’évoluer dans ce monde où les gars voient les filles comme des agents de service. C’est ça la mentalité du poker et cela représente un sacré défi.