Phil Laak est connu pour être l'un des personnages les plus fous et aventureux de la planète poker. Rencontre et interview avec un homme aux parcours et histoires incroyables.
Vous pensiez déjà tout savoir à propos de Phil Laak ?
L'un des pros les plus célèbres de la planète poker sur ces 10 dernières années, star de nombreuses émissions aux Etats-Unis (Poker After Dark, High Stakes Poker, I Bet You avec son grand ami Antonio Esfandiari, ...), on pourrait croire qu'on a déjà à peu près tout découvert de l'homme à la capuche.
Mais c'est loin d'être le cas.
Tandis que certains ne le voient donc que comme le pote un peu fou d'Antonio Esfandiari ou le partenaire de l'actrice Jennifer Tilly, Laak est également un joueur accompli et une personnalité aux multiples facettes. Et la vie de Phil est déjà suffisamment riche pour en écrire un livre, avec certaines tranches de vie et expériences tantôt étonnantes tantôt hilarantes.
Nous avons eu la chance de rencontrer Phil récemment à Paris. Un entretien captivant ou le sympathique et volubile américain n'a pas manqué de nous raconter certaines de ces histoires sortant de l'ordinaire. Un entretien passionnant à profiter parfois comme un bon roman !
Phil, pour commencer remontons un peu le temps. À l'époque où tu étais croupier, est-ce que tu savais déjà que le poker était fait pour toi ?
En fait je n'ai jamais été croupier, sauf dans une émission télé qui s'appelait E ! Hollywood Hold'Em. C'est Laura Prepon, de That 70s Show, qui en était la productrice. L'idée était que le croupier, donc moi, allait chez des célébrités pour organiser une partie de poker avec 3 célébrités et 3 de leurs amis.
On n'a fait que 6 émissions, mais c'était plutôt marrant. À part ça, je n'ai jamais officiellement été croupier.
Comment as-tu découvert le poker ?
En 1999, j'allais souvent dans un club new-yorkais pour jouer au backgammon. Là-bas, il y avait un gars qu'on appelait Chucky, qui jouait un peu au poker. Il était toujours en train d'essayer de me convaincre de l'accompagner, mais ça ne m'intéressait pas. Jusqu'à ce qu'il me dise les mots magiques : « Il y a une table de billard. »
Le truc, c'est qu'à New-York en 1999, si tu voulais jouer au billard il fallait attendre des heures et payer 14$ pour 1h.
Donc je l'ai suivi et j'ai joué au billard pendant qu'une trentaine de gars jouaient au poker. J'ai fait ça quelques fois, jusqu'à ce qu'un jour je prête attention à ce qu'ils faisaient. C'était le truc le plus énorme que j'ai vu de ma vie. Il y avait un énorme fish, et quand on est parti j'ai demandé à Chucky s'il venait souvent. Il m'a répondu : « Tous les jours. »
Je ne connaissais absolument rien au poker, mais c'est à ce moment précis que j'ai décidé de m'y mettre. Le soir-même, j'ai lu un bouquin de poker, et le lendemain je suis retourné au club pour jouer au poker. J'y suis allé pour l'argent, mais après 20 minutes, j'étais tombé amoureux du jeu. Ce qui est génial, parce que peu importe l'argent que tu gagnes, si tu n'aimes pas ce que tu fais, tu finiras par laisser tomber.
J'ai lu que tu avais exercé plein de professions différentes : tu as été jardinier, tu as éré "repo man" (un type d'agent de recouvrement qui fait des saisies), etc. Qu'est-ce qui était le pire ? Et le plus excitant ?
Je crois que c'est la même réponse pour les deux. Les saisies. C'était très excitant pendant deux semaines, et ensuite c'est devenu le pire boulot du monde.
Au début je trouvais ça marrant de voler les voitures – oui, on dit « voler » même si en réalité c'est légal – donc je m'éclatais. Mais au final, 92% du boulot consiste à retrouver la voiture, 4% à établir une stratégie pour la récupérer, et 4% d'action, ce qui est bien évidemment la seule partie vraiment excitante.
Je ne me rendais même pas compte à quel point c'était dangereux. Une fois, je me souviens, j'étais à San Diego et on avait conduit jusqu'à Escondido, à 80km de là. C'était un endroit très étrange. Honnêtement, on se serait cru dans Breaking Bad, il aurait pu y avoir un labo de méthamphétamine.
Enfin bref, j'étais plus ou moins l'apprenti du mec le plus expérimenté, mais aucune des clés qu'il avait ne démarrait le vieux tacot qu'on devait récupérer. Du coup il commence à faire ça à l'ancienne, mais ça prend un certain temps. Et là un chien commence à nous aboyer dessus, donc bien sûr un mec sort de la maison. Je n'ai jamais eu aussi peur de ma vie. Ou peut-être 2 ou 3 autres fois. Mais en tout cas j'étais terrifié.
Le mec sort de chez lui avec un fusil à la main, le pointe à travers la vitre (nous étions à l'intérieur les portes fermées), et... disons qu'on voyait bien qu'il avait déjà dû l'utiliser dans sa vie. Moi j'étais sur le siège passager, pétrifié. Et là le gars qui était en train de voler la voiture se tourne vers moi et me fait : « T'inquiètes. » (rires)
Il y a un psychopathe en train de lui hurler dessus avec un fusil à la main, et lui il continue tranquillement à bosser sur la voiture. Le mec casse la vitre, lui pointe le fusil sur le cou et dit : « T'as trois secondes pour te barrer ou je tire. »
Honnêtement, c'était pas du bluff, il était fou. On est sortis de la voiture et avons tracé le long de la longue allée, mais tous les potes du gars avaient eu le temps de sortir et nous balançaient des pierres. Heureusement, il était 2h du matin et ils ne nous voyaient pas très bien. Tant mieux parce que vu la taille des trucs qu'ils balançaient, on aurait pu mourir.
Naturellement, après ça j'ai démissionné. Je leur ai demandé si ce genre de choses arrivait souvent, ils m'ont dit que c'était à peu près une fois par mois. Il aurait pu me prévenir avant ! (rires)
Mais bon, c'était marrant.
C'est aussi à cette époque-là que j'ai appris la filature, comment localiser quelqu'un quand tu n'as aucun moyen de les contacter. Il faut arriver à trouver les bons prétextes, faire croire que t'es leur cousin ou je ne sais quoi, jusqu'à ce que t'arrives à savoir où ils traînent.
J'ai aussi fait un peu de day trading, avec les fonds spéculatifs et tout ça. C'était après que j'ai travaillé en tant qu'ingénieur, j'essayais d'apprendre le C++, ou plutôt de le réapprendre parce que j'en avais fait à la fac mais ça m'était passé au-dessus.
Mon objectif était de créer le meilleur jeu vidéo du monde, donc je voulais devenir le meilleur programmeur. Je croyais à la méritocratie, je pensais que si tu étais le meilleur programmeur du monde, personne ne trouverait rien à redire au fait que tu aies quitté l'école après le bac. Et surtout je voulais vraiment être le meilleur à quelque chose.
Pendant que je faisais ça, j'ai commencé à m'intéresser à la finance parce que je voulais investir. Mon obsession, c'était d'arriver à sortir du système, à battre la matrice. J'en avais marre de gagner de l'argent, rembourser mes prêts et finir le mois avec 8$. Donc j'ai commencé à aller voir du côté de la bourse, puis j'ai monté un fond spéculatif avec ma mère, mon père, mon cousin, etc. 22 personnes au total. Ce qui est fou aux États-Unis, c'est que du moment qu'il y a moins de 100 personnes sur ton fond, tu n'as besoin d'aucune espèce de qualification, peu importe qu'ils te donnent 1$ ou un million. À l'époque je trouvais ça génial, parce que je ne voulais pas retourner à la fac pour un diplôme.
J'ai fait ça pendant un petit moment, puis je me suis rendu compte que c'était plus marrant de ne parier que son propre argent. J'aime le jeu, mais jouer l'argent de ma mère ou de mon frère... Non. Ceci dit, je ne me suis pas trop mal débrouillé le temps que ça a duré, donc parfois que je me demande ce que ça aurait donné si j'avais continué.
Ça fait 20 ans que je fais ça, plus ou moins assidûment. Je me suis même presque replongé dans ce monde-là. Quand j'ai rencontré Antonio Esfandiari aux World Series en 2000, je revenais d'un an passé à voyager dans le monde en cherchant le meilleur endroit pour jouer au poker. J'ai appris à jouer au poker en 1999 et ensuite je suis parti faire le tour du monde des casinos : Londres, Paris, Vienne, le Costa Rica, les Etats-Unis, etc. À l'époque, je trouvais que c'était à l'Aviation Club qu'on trouvait les meilleures parties. Le problème c'est qu'ils n'avaient pas encore installé l'air conditionné et que la quantité de fumée de cigarette était insupportable. C'était horrible ! C'est dommage parce que je me voyais vraiment gagner pas mal d'argent à Paris, surtout que c'est une ville que j'adore. Mais la fumée... Non.
C'est pour ça que j'avais décidé de retourner voir le monde de Wall Street, cette fois en tant que daytrader. Mais ça ne s'est pas vraiment fait. Un de mes amis gérait environ 70 traders, et il m'a posté à côté du meilleur d'entre eux. Ce gars pouvait gagner entre 10 000 et 20 000 dollars par jour, il était brillant... mais complètement incapable de m'expliquer ce qu'il faisait. Et il ne voulait pas me laisser le filmer.
Au final, on s'est rapprochés quand on a commencé à parler poker parce qu'il jouait un peu, et il a essayé de m'apprendre quelques trucs sur le trading. Malheureusement, bien qu'il soit un très bon étudiant et que j'aie réussi à le faire progresser au poker, lui était définitivement le pire prof du monde.
C'est à ce moment-là que j'ai rencontré Antonio qui m'a dit : « Mais qu'est-ce que tu fais à Wall Street ? Mec, t'es un joueur de poker. » Il m'appelait tous les deux jours depuis le Bay 101 Casino à San Jose pour essayer de me convaincre de l'y rejoindre. C'était presque le seul casino que j'avais dû manquer au cours de mes tours du monde. Il me parlait des sommes incroyables qu'il gagnait, mais je n'y croyais pas. Finalement, j'ai fini par lui dire que j'allais venir y passer une semaine, jouer tous les jours, 10 heures par jour, et qu'on verrait bien.
Ce casino était presque surnaturel, c'est comme s'il y avait une espèce de bulle protectrice autour de lui, comme dans Dôme de Stephen King, qui faisait qu'aucun joueur pro ne connaissait son existence. En gros, il y avait 30 joueurs de très faibles à médiocres pour trois requins. C'était incroyable.
Rien que le premier jour, j'ai gagné 15 600$. Je n'avais jamais gagné autant d'argent en jouant de ma vie. Et sur la semaine entière, je crois que j'ai dû gagner à peu près 35 000$. C'était en 2000, donc ce n'était pas rien à l'époque.
C'est à ce moment-là que je me suis rendu compte que je ne serais peut-être jamais aussi bon en trading qu'au poker, donc autant me concentrer sur le poker.
C'est assez logique finalement, entre ton amour du jeu et ton esprit de compétition.
Complètement ! Mais si Antonio ne m'avait pas harcelé, je pense que je ne m'y serais peut-être jamais mis sérieusement. J'aurais sûrement fini par comprendre comment fonctionne le trading et je n'aurais pas fait le tour du monde en jouant au poker. Merci aussi au dieu du poker de m'avoir permis de faire un carton cette semaine-là à San Jose, parce que si je n’avais gagné que 2000$ en une semaine, je serais retourné faire du day trading sans me poser de questions.
Tu as aussi joué au backgammon avant de te lancer dans le poker. Quels sont les points communs entre les deux ? Est-ce que ton expérience du backgammon t'a aidé avec le poker ?
Les deux sont radicalement différents parce que le backgammon est un jeu ouvert, comme les échecs ou le jeu de go. Cependant, tant au poker qu'au backgammon, plus tu étudies le jeu, plus tu développes ton intuition et plus tu t'améliores. Et puis l'aspect mathématique est assez important dans les deux jeux également, même s'il faut aussi une bonne dose de talent. Bon, tu peux te débrouiller au backgammon et au poker sans avoir à faire aucun calcul, mais il faut quand même connaître quelques ratios, etc.
C'est ça que j'aime au poker : ça te pousse à utiliser la partie reptilienne de ton cerveau. Ce n'est pas nécessaire au backgammon parce qu'il y a toujours un schéma de jeu idéal que tu dois suivre, sans nécessité de lire son adversaire. Mais au poker il faut sentir le jeu et avoir cette partie reptilienne du cerveau affutée pour aider à faire de bonnes lectures. Tu peux quand même gagner de l'argent, ou du moins ne pas en perdre, si tu as de mauvaises cartes. C'est impossible au backgammon.
Est-ce que l'Omaha est en train de devenir une de tes variantes préférées ?
Disons que je pense être meilleur en No-Limit mais que je préfère jouer en Pot-Limit. Je sais que ce n'est pas là que je suis le plus fort, mais j'aime le côté intense, j'aime le fait que les gens gagnent de l'argent plus vite, j'aime voir deux joueurs aller all-in et voir monter la tension autour de la table. J'adore ça.
En tournoi, je préfère le NLHE, mais il vaut mieux pour moi que je joue en Pot-Limit pour gérer la petite voix en moi qui a tendance à parfois péter un câble. Au moins en Pot-Limit tu as moins de chances d'exploser en vol. Du coup, le Pot-Limit Hold'Em et le Pot-Limit Omaha sont une espèce d'assurance contre ma folie. Mais le NLHE reste mon préféré, parce que j'aime aussi me battre contre cette bombe à retardement de mon alter ego en moi. C'est ce genre de défi qui me permet de continuer à avancer.
Surtout qu'en termes de rentabilité, on ne fait pas mieux que les cash games de NLHE. Et puis au NLHE, quand tu commences à écraser un gars, c'est fini. En Pot-Limit c'est plus compliqué.
(...)
Je ne suis pas du genre à prétendre que je ne fais pas attention à l'argent... J'y fais attention. Je suis concentré là-dessus. Ça m'obsède.
Quand j'ai gagné mon bracelet, ce n'était pas ça mon objectif. Tout au long du tournoi, j'étais concentré sur chaque main, je voulais juste arriver à survivre à la prochaine main, et ainsi de suite. Quelques fois, je me suis dit que ça y est, c'en était fini, mais à chaque fois j'ai été sauvé. Il faut avoir un objectif direct comme cela, ça te force à survivre.
À ton avis, le poker est-il plus ou moins amusant et excitant qu'avant ?
Les deux. C'est un peu moins marrant parce qu'il y a beaucoup plus de bons joueurs, mais c'est plus excitant parce qu'il y a plus de poker qu'avant, dans le monde entier et de haut niveau. En 2000, quand j'ai commencé, il y avait peut-être un tournoi à 10 000$ dans l'année, pas grand chose d'autre. Les casinos ne laissaient pas les joueurs jouer comme ils le voulaient, donc on faisait des parties de no-limit en secret... Autant te dire que les croupiers touchaient de bons pourboires. Ce genre de choses serait impossible aujourd'hui, tout est beaucoup plus strict.
Mais en 2003 ou 2004, ils ont commencé à organiser des parties de no-limit à 10/10 et c'était parti.
Donc oui, d'un côté les joueurs sont bien meilleurs qu'à l'époque, mais il y a tellement plus de poker aujourd'hui... Tu peux jouer au poker n'importe où dans le monde, ou sans même sortir de ta chambre !
Puisque tu évoques le poker en ligne, que penses-tu de la situation aux États-Unis ?
Honnêtement, c'est très étrange. Mais bon, l'Histoire est pleine de trucs bizarres, alors qui sait ?
En théorie, les États-Unis sont un pays libre, mais c'est aussi le pays le plus surveillé du monde. Ils surveillent tout, c'est dix fois pire que Big Brother.
J'adore mon pays, mais qui a envie que ses e-mails soient stockés et cryptés ?
C'est comme quand les gens me demandent si je trouve que la valeur des bracelets WSOP a diminué depuis qu'il y a des WSOP dans d'autres pays. C'est idiot. Une entreprise doit se développer pour faire du profit, et les WSOP sont une entreprise comme une autre. Pourquoi est-ce que je devrais être avantagé parce que j'habite à Vegas et Los Angeles ? Ca ne s'appelle pas les United-States Series of Poker.
Il faut être réaliste : pour se développer, il faut s'internationaliser.
J'aime aussi beaucoup le principe du GPI. En gros, je pourrais partir au Tibet et devenir moine, revenir 10 ans plus tard et retrouver un classement GPI décent en 2 ans. Ils font vraiment un boulot de fou, avec toutes ces statistiques, ces données, etc.
Tu sembles plus calme aujourd'hui qu'il y a quelques années, où on te voyait souvent te rouler par terre, sauter sur la table, etc. C'est la maturité ?
Je n'en sais rien. Je fais toujours ce que j'ai envie. Je suppose que j'ai juste moins envie de me rouler par terre qu'avant. (rires)
Enfin j'ai quand même fait des pompes aujourd'hui, tu m'as vu ? Pas besoin d'une salle de sport quand tu peux faire des pompes et des abdos n'importe où.
Et puis je suis plus susceptible de faire un peu l'idiot s'il y a un ou deux gars que je connais autour de la table. Ce genre de trucs n'est marrant que si les autres sont dans le même délire que toi.
En tournoi ou pendant une partie à hauts enjeux, je ne parle jamais pendant les mains. Il y a trop de joueurs qui seraient capables de détecter des trucs dans ma voix. Alors pas un mot. Les autres joueurs sont trop intelligents.
J'ai lu que tu étais fasciné par le cerveau humain et des sujets comme la télépathie, etc. Tu as même déclaré que tu pouvais lire dans les pensées. Peux-tu nous en dire plus ?
Je ne sais plus pourquoi je me suis lancé là-dedans, mais ça a commencé après la fac, quand j'ai commencé à jouer. J'étais très impressionné par les gens qui étaient capables de lire sur les lèvres depuis l'autre côté de la pièce, ça me semblait impossible. On m'a expliqué que c'était en réalité très facile et qu'il suffisait de s'entraîner en regardant la télé sans le son. C'est très surprenant, mais c'est en effet très facile, surtout si la conversation reste autour du même thème.
Donc je me suis entraîné et je suis devenu très bon, je pouvais suivre des conversation à 20 mètres. Ensuite c'est devenu un peu extrême, j'avais l'impression de pouvoir le faire depuis une autre pièce, sans même voir la personne. Tu te sens tellement connecté aux gens que c'en est presque télépathique. Bon, c'est peut-être juste moi qui suis un peu fou, mais ce n'est pas grave.
Il y a juste des trucs qui sont vraiment bizarres. Par exemple, je ne prends jamais les allumettes qu'ils offrent dans les restaurants, pour la bonne raison que je ne fume pas. Sauf une fois, je ne sais pas pourquoi, j'en ai pris deux ou trois boîtes. On est rentré à la maison, et là le courant a sauté. Jennifer cherchait des allumettes partout sans pouvoir en trouver, mais moi bien sûr j'avais ces boîtes que j'avais récupérées. C'est quand même étrange.
Tout le monde a déjà vécu ce genre d'expériences. Comme quand tu as envie de parler à ta mère, le téléphone sonne et c'est elle qui t'appelle. Ces moments de synchronismes un peu bizarres. Quand tu y réfléchis un peu, tu finis par te demander si nous ne faisons pas juste partie d'une espèce d'énorme truc cosmique, une toile qui connecte les 7 milliards d'humains.
Au poker, quand je suis à la table télévisée et que je pense aux gars de la régie qui voient mes cartes... Tu sais, il y a une théorie, la résonance morphique. C'est censé être comme ça que les oiseaux arrive à s'orienter, comme ça qu'ils sont connectés. Ce serait aussi grâce à ça que certains animaux « découvrent » les mêmes choses presque au même moment alors qu'ils ne sont pas du tout au même endroit.
Bref, je me dis que si tous les gars qui supportent mon adversaire et qui voient mes cartes en direct concentrent toute leur énergie pour lui dire : « Non, n'y vas pas, n'y vas pas. »… S'il ne suit pas, est-ce qu'on peut prouver qu'il y a eu une influence ?
Je me souviens avoir lu un bouquin sur une expérience assez folle. C'est une expérience qui a été effectuée plusieurs fois d'ailleurs. L'idée c'est que si tu es seul dans une pièce avec une caméra pointée sur toi et que tu sais qu'à n'importe quel moment de la journée il peut y avoir quelqu'un qui te regarde, en fait ton corps réagit quand quelqu'un te regarde, même si tu ne t'en rends pas compte.
Tout ça est un peu bizarre, mais je pense qu'il y a une espèce de connexion, une énergie. Je ne prétends pas détenir la vérité, mais il y a encore tellement de choses qu'on ignore sur le cerveau ou sur nos instincts ancestraux par exemple.
Un mot sur ton record du monde de la plus longue session de jeu ? Tu le referais ?
Ah, c'était marrant. Je suis vraiment content de l'avoir fait parce que je savais que ça serait ma seule chance de le faire. Je pense que j'aurais pu continuer encore plus longtemps, parce qu'en fait c'est devenu assez facile une fois passée la barre des 100 heures.
Quand je suis arrivé à 110 heures, j'ai soudainement pris conscience que je pourrais très facilement et sans aucun effort continuer à jouer encore deux jours. C'est ça qui m'a perturbé en fait. Je me suis rendu compte que ce n'était probablement pas bon signe. Quand quelque chose d'aussi extrême devient facile, c'est que quelque chose ne va pas. En réalité, j'ai arrêté parce que c'est devenu facile.
Cette expérience a fait de moi quelqu'un de meilleur. Littéralement. J'ai plus d'empathie, je suis plus intelligent, je suis plus patient, etc. Continuer à jouer plus longtemps n'avait aucun sens. Je suis content d'avoir eu assez de lucidité pour m'arrêter.
Et puis je savais que 115 heures n'avait rien de surhumain. « 7-Day Ted » n'a pas gagné son surnom en jouant au poker 4 jours d'affilée, il l'a gagné en y jouant une semaine entière sans pause ! La seule différence c'est que les gars du Guinness n'étaient pas là pour homologuer son record.
Est-ce que Jennifer (Tilly) et toi jouez souvent au poker tous les deux ?
De temps en temps. Avant, on avait une petite machine à heads-up, donc on y jouait. Et puis parfois quand on prend l'avion. Mais au total on a dû jouer à peine 7h tous les deux, donc ce n'est vraiment pas grand chose.
Tu aimes venir en France ?
Oui. Jenny et moi adorons venir ici ensemble parce qu'elle parle plutôt bien français. C'est une autodidacte, elle a appris avec une cassette. Elle fait la timide mais elle parle vraiment bien. C'est très impressionnant.
Dans les films, on lui donne souvent des rôles de filles un peu stupides, mais c'est une femme très intelligente. Quand elle était gamine, elle et ses frères et sœurs écrivaient des pièces de théâtre qu'ils jouaient ensuite, et puis ils lisaient beaucoup. Ils n'étaient pas très riches mais leur mère les emmenait tout le temps à la bibliothèque. Elle a lu tous les bouquins qu'elle a pu trouver là-bas. Sérieusement, je crois qu'à 10 ans elle savait plus de choses que moi à 20. Moi j'avais une télé, ça me bouffait.
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Bio Express Phil Laak
par PokerListings
Phil Laak est de ses joueurs qui apportent fantaisie et fraîcheur dans le monde du poker, l'une des figures que l'on n'oublie pas. L'homme est également aventureux à l'extrême, pratiquant notamment la moto, la plongée en scaphandre, le parachutisme, et le judo.
Phil évita d'ailleurs un jour une sérieuse blessure lors d'un accident, où il sauta par-dessus une voiture, laissant sa moto derrière lui pour retomber sur des pieds ! Et il est même cette fois passé à côté de la mort lors d'un accident de quad au cours de l'été 2010.
Plus calme, la culture des cartes fit elle partie de son éducation. Sa famille aimait en effet jouer pour quelques pennies au Tripoli. Phil dit qu'il y observa une « logique des cartes », qu'il utilisa ensuite dans sa carrière.
Phil est particulièrement intéressé par ce qu'il appelle une « réflexion de premier ordre », et l'emploie à la table. Il dit utiliser des techniques de réflexion avancées pour établir une connexion psychique avec les autres joueurs. Parmi ces techniques, les « rêves lucides », dans lesquels il joue les mains en rêve, encore et encore, lui permettant ainsi de percevoir le subconscient et les tells conscients des autres joueurs. « Ce dont je parle, explique Phil, c'est d'être capable de prendre de l'information sur mon adversaire qui ne soit ni visuelle ni verbale. En d'autres mots, de l'information qui ne sera pas appelée un tell. »
Phil est pour la première fois initié au poker à hauts enjeux dans un club underground à New York City en 1999. Il se prend alors au jeu comme si il y était tombé dedans quand il était petit. « C'était vraiment mon baptême au poker. A partir de là, une partie de moi a changé et je suis devenu un dégénéré du poker à temps partiel. »
Peu de temps après, Phil commence à prendre part à des tournois et y récolte un succès appréciable. La compétition, mais aussi la patience et le besoin de stratégies variées l'attirent, encore plus lorsqu'il y vit de nombreuses façons d'appliquer ses fameuses réflexions avancées pour prendre l'avantage dans les tournois.
Phil a la réputation d'être un joueur actif et large sur le circuit, ce qui tranche avec sa propension à être très ordonné en général. Son portefeuille est impeccablement tenu, tous les billets faisant face de la même manière, et rangés du plus petit au plus grand.
Phil réussit en tout cas dans le poker sans se torturer sur l'issue d'une main, à l'inverse des Hellmuth ou Matusow. Sa philosophie ? « Bien vivre est toute une affaire d'optimisation et d'un équilibre entre fun, liberté, et réussites. »
Au niveau du palmarès, Phil est rentré 9 fois dans l'argent des WSOP, dont une deuxième place dans le Pot Limit Hold'em à 2 500 $, et surtout la consécration lors des WSOP Europe à Londres en 2010, avec un premier bracelet enfin décroché dans le tournoi de No-Limit Hold'em 6-handed à 2500$. Il détient également une victoire en WPT, lors du WPT Invitational de 2004. A noter aussi de belles 15ème place au Partouche Poker Tour et 69ème place à l'EPT Grand Final de Monte Carlo, en 2010.
Ses gains en tournois s'élèvent à quelques 2,3 millions de $ à fin 2010.
« L'homme à la capuche » (également surnommé The Unabomber et célèbre pour son comportement fantasque et amusant à la table) partage la vie de l'actrice (et désormais joueuse de poker, à qui il a tout appris), Jennifer Tilly.
Divers et anecdotes
* Ancien courtier de bookmaker sportif.
* Spéculateur en marchés boursiers et investisseur immobilier à temps partiel.
* Surnommé « Unabomber » en raison de sa tendance à porter des couleurs et un sweat-shirt à capuche.
* Détenteur d'un diplôme en ingénierie mécanique.
* Partage la vie de l'actrice Jennifer Tilly.
* Très ami avec Antonio Esfandiari, avec lequel il a animé l'émission « I bet you », programme à tendance humoristique où les deux larrons se lancent les paris les plus fous ou les plus stupides.