Dans cette série en plusieurs parties, PokerListings revient sur la riche histoire de Las Vegas et vous révèle la véritable histoire de certaines des figures les plus controversées du monde du jeu. Aujourd'hui, Major Riddle.
En termes de pertes d'argent au poker, Major Riddle était à part. Dans les années 50 et 60, vider les poches de ce propriétaire de casino légendaire était quasiment devenu un sport national.
Major Riddle, c'est le premier à avoir ouvert un cabaret dénudé (quitte à en découdre avec les autorités). C'est aussi le parrain de la première grosse partie de poker. Et sa première victime.
Co-propriétaire du Dunes Casino, il l'a perdu petit à petit.
Voilà donc le premier volet de l'histoire de ces hommes qui ont façonné Las Vegas, la ville la plus merveilleuse et la plus folle du monde.
Travail dur et honnête ? Pas toujours...
Après avoir grandi dans le Kentucky et l'Indiana, Riddle s'installe à Chicago pour monter une société de transport. En quelques années, elle devient la plus grande du Midwest.
Ainsi, alors que la Grande Dépression des années 30 plonge des millions de personnes dans la pauvreté, Riddle, lui, devient immensément riche. Et bien évidemment, tout cela ne s'explique pas que par le travail et l'honnêteté...
À l'époque, Chicago est contrôlée par la mafia et beaucoup pensent que Major Riddle y a un certain nombre de "connexions". Par ailleurs, les méthodes qu'il utilise pour diriger son entreprise sont parfois assez discutables.
Par exemple, il incite fortement ses routiers à acheter leur camion (en utilisant une partie de leur salaire)... puis les renvoie juste avant qu'ils aient terminé de payer. En gardant bien sûr les véhicules.
En 1956, Riddle quitte Chicago pour Las Vegas et investit dans le casino Dunes, flambant neuf mais un peu en difficulté.
La rumeur veut que Riddle ait utilisé une partie des fonds de retraite des Teamsters (syndicat des conducteurs) pour investir à Vegas. Les Teamsters, Jimmy Hoffa à leur tête, étaient un groupe très puissant à Chicago à l'époque. Hoffa a d'ailleurs ensuite payé ses liens avec la mafia puisqu'il a tout bonnement disparu en 1975 alors qu'il était au restaurant dans le Michigan.
Premier spectacle seins nus du Strip
C'est à Las Vegas que la carrière de Riddle prend véritablement son essor. À peine un an après son arrivée, le casino Dunes décolle enfin, et ce en partie grâce à une idée révolutionnaire.
En effet, Riddle engage le groupe de danseuses burlesques « Minsky's Follies », très connues à l'époque, et fait ainsi du Dunes le premier établissement de Vegas à proposer un spectacle seins nus.
Évidemment, cela crée le scandale : l'Église et la Ligue pour la vertu, choquées, manifestent et interpellent les autorités.
Encore aujourd'hui, on a du mal à imaginer que cela ait causé un tel scandale compte tenu de tout ce qu'offrait déjà Vegas à l'époque.
De toutes façons, pas de quoi perturber Riddle. Le spectacle attirait 16 000 spectateurs par semaine, un record qui a tenu jusqu'en 1990.
Et il n'y a pas que pour l'innovation que Riddle était doué. C'était également un excellent communiquant : lorsqu'il se rend au Tonight Show pour parler de son livre The Weekend's Gambler Handbook, il n'oublie pas de glisser quelques mots à propos du casino.
Passionné de poker... mais tellement nul
Pourtant, difficile d'imaginer un auteur moins bien placé que Riddle pour parler du jeu. Car s'il était fou de poker, sa passion n'avait d'égal que son manque de talent.
À tel point que dès qu'il s'installait à une table, une longue liste d'attente se formait instantanément. Pas étonnant, vu sa bankroll et ses difficultés à jouer.
C'est comme ça que de grandes figures de la mafia comme Tony Spilotro l'ont dépouillé de plusieurs milliers de dollars, pendant que d'autres le poussaient à prendre des paris qu'il ne pouvait pas remporter.
Frank Rosenthal, journaliste et spécialiste de Las Vegas, estime qu'il n'y ajamais eu de système de tricherie plus efficace que celui qui ciblait le co-propriétaire du Dunes.
« On lui a volé des millions de dollars » affirme Rosenthal. Même les croupiers étaient dans le coup, comme John Martino, ainsi que des arnaqueurs notoires comme Marty Carson.
Mais honnêtement, même lorsqu'il n'y avait pas de tricherie, Riddle était un énorme fish. En tant que joueur de Stud, il faisait une proie idéale pour les spécialistes du Hold'em. Il n'a jamais pu s'habituer au No-Limit.
Une de ses mains a même marqué l'histoire du poker. La scène a eu lieu dans son propre casino.
Des choix pas toujours judicieux
Face à lui, Johnny Moss, l'un des plus grands joueurs de l'époque. Il est alors au sommet de son art. Et Riddle, de son côté, avait manifestement quelques problèmes au niveau de ses prises de décisions.
Le flop (K-K-9) tombe, et Moss dégaine le premier. Tout le monde se couche, sauf Riddle qui suit. Un nouveau 9 sort au turn, Moss relance à nouveau et Riddle continue à suivre.
Lorsqu'un valet sort à la river, Moss va au tapis. Riddle décide quasiment instantanément de le suivre et le pot s'élève alors à près de 300 000 $.
Moss dévoile alors, avec un grand sourire, une paire de neufs qui forme un carré. Et Riddle ? Une paire de deux. DE DEUX !
Tous les joueurs autour de la table se retiennent d'éclater de rire. En effet, après le turn Riddle n'avait quasiment aucune chance d'améliorer son tirage.
Joe Rubino, un bookmaker de l'Alabama, commet même l'erreur de s'inquiéter à haute voix des décisions de Riddle.
« Il devrait récupérer l'argent des deuxièmes et troisièmes streets, puisqu'il ne pouvait même pas battre le tirage » déclare ainsi Rubino.
Moss, réputé pour son sale caractère et ses accès de colère, explose :
« Mais qu'est-ce que tu racontes ? Parfois la main la plus forte est sur le tapis ! »
Le tout accompagné de quelques remarques l'invitant à s'occuper de ses affaires.
Comment perdre un casino à la table de poker
Riddle n'était donc pas fait pour le poker, ce qui ne l'a pas empêché de miser (et perdre) tout ce qu'il avait.
Un soir, il joue au Sahara et relance avec le certificat de propriété du Dunes. Heureusement pour lui, il remporte cette main, mais il a effectivement fini par perdre petit à petit toute sa propriété.
Lorsque les plus grosses parties de poker ont déménagé du Dunes vers l'Aladdin (juste en face), Major Riddle a déménagé avec elles.
C'est à peu près à cette époque qu'il perd tout contrôle sur son casino. En moins d'un an, ses parts passent de 90% à 15% - qu'il a même fini par perdre.
Aujourd'hui, l'Aladdin se targue d'être le berceau du « Big Game ». Et il est connu pour deux événements :
Un : C'est là que Tom Abdo, membre du Hall of Fame, est mort d'un infarctus lors d'une partie high stakes. Il paraît que ses derniers mots furent : « Gardez mes jetons, je reviens. »
Deux : Major Riddle y a perdu tout un casino.
Tout perdre et repartir à zéro
Mais Riddle ne se laisse pas abattre. Peu affecté par ses pertes, il repart à zéro.
En 1977, il achète donc le Thunderbird Casino, qu'il renomme Silverbird. Il convainc Eric Drache et Doyle Brunson de l'y rejoindre pour lancer un nouveau « Big Game ». Les mises n'y sont pas aussi élevées qu'au Dunes ou à l'Aladdin, mais c'est suffisant. De quoi perdre une voiture ou une maison, mais pas un casino entier en somme.
Riddle a longtemps continué à être aussi heureux en affaires que malheureux au jeu. Il a investi dans de nombreux hôtels et casinos et était très riche lorsqu'il est mort, en 1980.
Lorsqu'elle a perdu Major Riddle, Las Vegas a certes perdu son plus gros fish, mais aussi l'une de ses figures les plus emblématiques.